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XXVI

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Après fête de Pâques et la guérison de Louis, nous reprîmes nos occupations habituelles. Nous avions nos petites chambres contiguës à celle de mon oncle, au fond de la partie neuve de la maison.

Mon oncle se levait, en toute saison, à cinq heures, et venait se raser dans ma chambre, qui lui servait de cabinet de toilette. J’entends encore le bruit gras et précipité de sa savonnette, les coups glissés de ses rasoirs sur la plaque à repasser, leur grincement lorsqu’il s coupaient la barbe dure.

Bientôt il criait, invariablement: «Jeunesse, debout! » Et sortant de notre engourdissement nous nous levions, à la lumière dont les vacillements faisaient danser des ombres sur les bouquets de reines-marguerites de la tapisserie.

Aussitôt habillés, nous allions à nos tabourets de crin, sous prétexte d’étudier jusqu’à sept heures et demie. Que de fois j’ai souhaité d’être malade pour rester au lit! Le jour montait peu à peu, la lampe pâlissait. Ses rayons jaunes frissonnaient sur nos livres, dans les lueurs bleues du matin.

La vie rustique recommençait alentour, toujours pareille; dans les étables où des mugissements, par instants, se réveillaient; dans les basses-cours où des poules gloussaient; des portails de grange criaient sur leurs gonds.

Mon oncle ouvrait la persienne.

Lorsque l’aurore s’allumait, plus rose et plus belle, il nous appelait au balcon: il nous parlait de la Nature et de ses enchantements. Il nous disait cet air de je ne sais quel vieil opéra:

«Quand on fut toujours vertueux

On aime à voir lever l’aurore...»

Sous la pourpre du ciel, les champs très loin s’étendaient, encore plongés dans le sommeil des brouillards que bientôt le disque embrasé du soleil trouait violemment.

Sur cette claire et tranquille gloire, le vieux chaume de Jeannot tranchait vigoureusement comme un carré de velours noir, bordé d’une crête de flamme sombre, tandis que dans l’ombre grise, la mare de sa cour fumait silencieusement. Tout cela si paisible et si doux!...

A sept heures et demie nous descendions pour déjeuner. Le dîner avait lieu à midi et demi, le souper vers huit heures du soir.

Le temps consacré à l’étude durait de neuf à onze heures le matin et de deux à quatre heures le soir.

Bien que la rue et les environs nous fussent interdits, la maison, la cour, la basse-cour, les hangars, les greniers, le jardin surtout offraient un champ suffisant à nos longues récréations.

Il serait trop long de décrire nos rapports journaliers avec toutes les bêtes qui y pullulaient: oiseaux et papillons divers, grenouilles et salamandres, abeilles, bourdons, scarabées au ventre d’or, hannetons qui avec les gouttes de rosée tombaient des rosiers le matin; musaraignes dont le nez s’aiguise en petite trompe, les yeux comme des grains de poudre; taupes et mulots, limaçons et vous, bêtes à bon Dieu, et bêtes des asperges avec des persiennes dans le dos, et bêtes d’un si beau rouge qui habitez le cœur des lys, qui, retenus dans la main, lorsqu’on vous approche de l’oreille, Poussez comme un gémissement de petit chien naissant! Et cet insecte à mandibules terribles, qui dresse sa queue menaçante et que nous n’osions pas toucher..., et celui, couleur de poussière, qui se tient tout raide quand on le met sur le dos et saute tout à coup, tic-tac!

Que de fois les abeilles nous piquèrent! Quant aux boudons, surtout les culs roux qui sont les plus forts, nous les Prenions avec notre mouchoir, enlevions leur dard entre nos ongles et les faisions tirer de petits chariots par des bouts de fil liés à leurs pattes. Quelquefois, c’était bien drôle, ils s’envolaient avec leur fil dont le poids les empêchait de s’élever et ils tour noyaient à un pied du sol, au bord de la pelouse pauvres forçats traînant leur chaîne...

Ailleurs nous exercions la patience des nécrophores en poussant plus loin les taupes qu’ils avaient presque fini d’enterrer.

Que de fois il m’est arrivé de guetter pendant de longs quarts d’heure les sauterelles qui chantaient dans les arbustes, retenant mon souffle, car elles se taisent au moindre bruit, tendant l’oreille de côté et d’autre, sans pouvoir discerner l’endroit précis d’où venait le cri. Le même mystère enveloppe le coassement des petites grenouilles, si vertes, qui hantent les vignes.

Par exemple les crapauds me remplissaient d’horreur, soit qu’après l’orage ils se traînassent gluants et mouillés, ou que, par les temps secs, ils remuassent, couleur du sol, comme de vivants morceaux de terre, visibles seulement à leurs yeux d’or.

Tout cela frôlait, bruissait, bourdonnait, sifflait, chantait, et là-bas, là-bas, tout au loin dans les champs inconnus, ce bruit de mystère qui faisait tressaillir notre cœur d’un effroi plein de charme, ce cri de la Bête, du Torgeot: pan-pan pan! pan-pan pan!...

Il y avait aussi la plainte si triste de la fauvette dont nous avions pris le nid, âme en peine qui gémissait, dans sa douleur inquiète, lamentablement, d’arbre en arbre, et sans repos...

La vie d'un artiste : Art et nature

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