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XIX

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C’est là, sous l’œil terrible du maître, que nous avons longuement travaillé et rêvé plus longuement encore.

Que de distractions punies par de brusques bourrades! Car si mon corps pliait sous la domination d’une main de fer, mon esprit se mutinait et, laissant ce corps cloué à son tabouret de crin, s’élançait soit dans le jardin, à travers les belles vitres de couleur, soit vers la rue par la fenêtre que mon oncle laissait l’été presque toujours ouverte, aimant le grand air.

Nous restions là, d’éternelles heures, assis sur ces sièges durs qui nous blessaient les os, et, pendant l’énervante langueur des journées chaudes, nous entendions tous les bruits de la liberté : les joyeux éclats de rire des anciens camarades tout à leurs jeux de marbres et de toupie; les bonnes femmes qui se chuchotaient des cancans; les roues de brouettes qui chantaient en roulant; le marchand de plats et télettes (quincaillier ambulant) qui, entre deux cris, sifflait dans une flûte de Pan et qu’on entendait graduellement s’approcher ou s’éloigner au bruit plus ou moins retentissant de sa charrette cahotant sur le pavé inégal et sonore; et le marchand de cochons si habile à faire claquer on fouet, et les grognements de ses gorets qui parfois s’égosillaient en glapissements aigus; et la douceur traînarde des chants des brodeuses qu’en imagination je voyais là-bas, où la rue tourne, penchées sur leur métier...

Oh! comme le soleil ruisselait, allumant les poules et le fumier dans la cour ouverte de la vieille Thasie, que j’apercevais juste en face du balcon! Comment ne pas s’intéresser aux injures que cette commère lançait à son mari, le sourd Jeannot, personnage si étonnamment drôle dans sa petite taille, avec sa chemise toujours débraillée, qui laissait voir sa poitrine rouge et cuite par le soleil; avec sa face plus rouge encore, son front chauve, son nez gros et rond et sa grande bouche toujours fermée d’ivrogne sérieux et endurci; Comment ne pas écouter son fléau, qui, en cadence, battait le blé ; comment ne pas suivre ce fantastique paysan (dont Von Ostade me montrera plus tard l’équivalent), lorsque, pour se rafraîchir, il montait à son cerisier tout chargé de fruits dont la pourpre brillé dans le ciel bleu; comment ne pas suivre sur le plancher et sur le mur de notre cabinet d’étude, le lumineux rayon où montait et descendait un tourbillon de paillettes de poussière, que traversaient les bonds affolés de la mouche bleue qui fondait étourdiment dans la place et, de sa tête et de son dos, frappait éperdûment les vitres et le plafond blanc! Oh! surtout, comment ne pas me tordre d’impatience sur le crin de mon tabouret, le jour où j’entendis arriver les troupes qui revenaient du siège d’Anvers!...

Mais, cette fois, la consigne fut moins sévère et je pus bientôt, appuyé au balcon, voir, tout à mon aise, passer, passer, passer les épaulettes rouges et les épaulettes jaunes.

La vie d'un artiste : Art et nature

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