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I

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CE jardin délicieux, le berceau d’Adam, nous l’avons tous connu.

Les allégresses soudaines dont nous ignorons les causes, sourires mystérieux qui, sans raison, s’épanouissent dans nos cœurs, n’en sont que de lointaines réminiscences. Ainsi l’œil conserve l’image du soleil longtemps après l’avoir regardé.

Nous avons tous dans le souvenir l’éblouissement d’un âge merveilleux où la lumière était plus claire, l’aurore plus vermeille, l’air plus sonore, le ciel plus profond, l’azur plus doux.

Qui ne se souvient de ce premier printemps, quand les bourgeons d’un vert si tendre mêlaient à l’odeur de la terre leur sauvage arome; quand on sentait fermes et souples, sous les pieds, les voyettes des jardins encore humides de l’hiver et à moitié durcies par le soleil.

En ce temps-là, de joyeux arbrisseaux ouvraient des étoiles roses et blanches et, toujours frémissants, bourdonnaient dans des tourbillons de mouches d’or.

Où sont ces arbres qui vivaient et chantaient?

Et dans les jardins que d’animaux on ne rencontre plus! Ainsi cet éléphant tout petit, moins gros qu’une souris, qui passait sa trompe ténue par les fentes du mur et dont les yeux microscopiques me regardaient malignement dans l’ombre; qui vite disparaissait lorsque je m’approchais. Des oiseaux verts et pâles, ressemblant à nos sauterelles, chantaient dans les blés.

J’entendais des voix qui parlaient toutes seules et je n’en avais point peur; c’était le bon Dieu!

Et le soleil! Comme il se couchait plus grand et, par les chaudes soirées orageuses, que plus magnifiquement il resplendissait dans le troupeau des nuages d’or qui erraient, transformant à chaque instant leurs figures étranges. J’y voyais des animaux, des hommes ou bien la Vierge. — Pourtant ma mère ne m’y apparaissait jamais et mes yeux l’attendaient en vain aux célestes processions; cela me manquait, car je l’avais très peu connue sur la terre et je savais bien qu’elle était là-haut.

La vieille cousine qui venait, l’été, scier l’herbe de notre pelouse, l’y avait vue, elle! Cette femme et moi nous nous comprenions toujours: elle était si vieille et j’étais si petit. Elle savait tant de choses, elle chantait d’une voix traînante de si belles chansons!

Un jour de grand orage, elle se sentit soulevée avec son fardeau d’herbe et rejetée plus loin, et elle avait vu... passer le tonnerre «sous la forme d’un coq de feu avec des sabres dans la queue...»

Je l’aimais bien. Elle me semblait vénérable, surtout lorsque, partant au crépuscule, sa silhouette nocturne s’enfonçait dans l’ombre.

Je l’aimais à cause de tout cela et aussi à cause de sa faucille qui ressemblait tant à la lune.

La vie d'un artiste : Art et nature

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