Читать книгу La vie d'un artiste : Art et nature - Jules Breton - Страница 12
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ОглавлениеLe soir, Joseph nous menait au jardin, tout baigné de brume et de lune bleue. Il tendait haut sa lanterne vers les arbres qu’il secouait: parfois, un moineau, réveillé en sursaut, effaré, fondait sur la lumière qu’il éteignait. Mais Joseph avait brusquement refermé la lanterne, emprisonnant l’oiseau.
D’autres fois, c’était la chasse aux pactoires. Nous appelions pactoire une sorte de filet fixé au bout d’une longue perche et tendu sur des cercles au moyen de bâtons fourchus. C’était une façon plus sûre et plus solennelle d’attraper les moineaux.
Certes, j’étais ému lorsque nous partions, dans la nuit, la pactoire à l’épaule. Les choses de la nuit prenaient un aspect fantastique. Nous étions là cinq ou six gamins, retenant notre souffle, nous si bruyants le jour; Joseph posait à terre sa lanterne au milieu de nous, et nos ombres s’allongeaient à l’infini sur le brouillard, comme les sombres rayons d’une immense roue. Une lueur pâle tremblait aux murs des granges, sous les vieux chaumes noirs perdus dans le ciel.
Joseph appliquait çà et là le pavillon de la pactoire. Des moineaux s’envolaient dans toutes les directions, aveuglés, se heurtant, poussant de petits cris d’épouvante avec ce bruit d’ailes nocturne inconnu au jour. Les prisonniers se débattaient convulsivement.
Nous restions muets de plaisir et de peur.
Parfois les bâtons fourchus se détachaient des cercles, la pactoire périclitait et c’était toute une affaire pour la remettre d’aplomb. Nous allions, cherchant les chaumes; nous traversions des cours dont Joseph connaissait les chiens. Ceux-ci commençaient par gronder, puis arrivaient amicalement, balançant leur queue. Mais il y avait là des fumiers, qu’on voyait trop tard, et où on enfonçait jusqu’aux genoux; nous passions dans des granges, où des objets se présentaient tout à coup, étranges; des charrues grimaçantes, moins effrayantes que le noir insondable des trous...