Читать книгу La vie d'un artiste : Art et nature - Jules Breton - Страница 11
IX
ОглавлениеNous étions là, dans une petite pièce sans air, une masse d’enfants, nous touchant les coudes. Nos parents ne tardèrent pas sans doute à s’apercevoir du mauvais effet de ce régime au point de vue de notre santé, car ils nous retirèrent d’eux-mêmes de chez Mlle Rosalie. Ces quelques mois d’esclavage malsain me firent mieux apprécier les joies de la liberté.
Nous recommençâmes notre vie sous le grand ciel avec les petits camarades, et ce fut un bon temps.
Chaque saison amenait ses jeux et ses fêtes. J’aurai assez occasion de parler de l’été, je voudrais dire un mot de nos joies d’hiver, qui valaient bien les autres. L’hiver n’est pas toujours, comme nous le personnifions, ce triste vieillard tremblant, la barbe chargée de glaçons, ni cette femme frileuse, presque nue, la tête couverte d’un sac, qui, dans le jardin, grelottait repliée sur elle-même, malgré la flamme de plâtre figée que Fremy allumait d’un si beau vermillon. L’hiver, à certains moments, ne ressemble-t-il pas plutôt à une froide et belle jeune fille vêtue d’éblouissante blancheur, dont les yeux de pervenche rient à travers la brume d’un voile constellé de diamants!
Oh! lorsque la première neige tourbillonnait dans l’air en nuée de papillons blancs, et qu’avec un insaisissable bruit de velours effleuré elle touchait le sol, peu à peu recouvert de son froid et virginal éclat!
Comme nos cris de joie retentissaient sonores dans ce frémissant silence! Quel réveil, le lendemain! Le rose soleil illuminait en écharpe les toits blancs; l’azur, d’une fraîcheur extraordinaire, laissait tomber une cendre bleue dans la cour, sur la nappe lisse et blanche; au travers du cerisier tout blanc, de capricieux rayons se jouaient en rose parmi les innombrables étincelles du givre irisé.
Mes yeux s’ouvraient larges et ravis; toute cette merveilleuse gloire y pénétrait à la fois, toute cette blanche splendeur reflétait mon âme, qui devenait blanche aussi.
Je me levais bien vite, impatient d’imprimer mes pas dans la pureté qui couvre les allées.
Comme ce vif roitelet qui, ébloui, saute de branche en branche, et fait à chacun de ses bonds tomber une fine pluie de blancs flocons, mon cœur battait dans un débordement d’ivresse immaculée.
Que de surprises! Tout a changé d’aspect: le Chinois, dont le chapeau s’est orné d’une garniture de peluche, fume de la neige, immobile et gelé sur son temple; les murs du pigeonnier, ordinairement roses, sont comme badigeonnés de brun rouge. Voici Mylord, notre épagneul, qui bondit vers moi, fouettant joyeusement la neige; mais il s’est donc roulé dans l’argile? lui si propre et si blanc, comme il est sale et jaune!
Le jardin, dans sa robe de givre, est plus gai qu’au printemps.
Je rentre dans la cuisine, dont le plafond, contrairement à Mylord, est plus blanc que les autres jours. Comme il y fait clair! quelle mystérieuse dentelle a brodé de fleurs toutes les vitres?
Je crois que tout le monde doit se réjouir comme moi, et je suis bien étonné d’entendre ma grand’mère dire:
«Voici la neige, les pauvres vont souffrir!»
Les pauvres vont souffrir!...
Pour nous, tout à nos jeux, c’étaient des glissades sur les ruisseaux, de joyeux combats à coups de boulets de neige, bombardement du pigeonnier, parfois interrompu par l’onglée qui bleuissait et raidissait nos doigts où nous ne tardions pas à éprouver de piquantes angoisses lorsque nous les approchions du feu.
Bientôt la neige devint plus souple, plus grasse, et nous apprîmes à la rouler sur elle-même et à l’amonceler en énormes blocs, qui devinrent laids et durs, se percèrent de petits trous et mirent une éternité à fondre.
Alors comme le jardin apparut sale et laid avec ses dalhias. et ses petits chrysanthèmes aux fleurs flétries, et qui laissaient pendre lamentablement leurs lambeaux de feuilles, recroquevillés et noircis!
Comme ces plantes avaient dû souffrir!...