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II

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Donc ma mère était au ciel, je n’en doutais point, mais je n’avais jamais bien su de quelle façon elle nous avait quittés.

Je gardais d’elle un souvenir à la fois très vague et très intense qui, à certaines heures délicieuses, me poursuivait partout, apporté par des réminiscences de couleurs, d’odeurs, de sons ou de lumière.

Je revoyais alors sa beauté languissante, son doux visage si pâle, sa bouche bonne et triste et, dans leur orbite creuse et sombre, sous leur large et pure paupière, ses yeux bruns qu’allumait une flamme si tendre!

Je croyais sentir encore ses étreintes passionnées. Oh! je l’aimais!

Elle avait été longtemps, longtemps malade. Je la revois au coin de la grande cheminée de la petite cuisine, parfois la poitrine découverte que mordaient d’horribles bêtes noires; et c’est là qu’elle me dit un jour: «Je vais mourir!» Avais-je compris? Pourquoi ai-je pleuré ?... Je me rappelais ce mot, puis un autre bien ordinaire: — Comme je devais quitter mes robes de fille et revêtir, pour la première fois, mes habits de garçon, elle vit, de la fenêtre, arriver le tailleur et me dit: «Jules, voici tes habits!»

Il m’est arrivé, étant déjà grand, de pleurer de douces larmes en songeant à ma mère et de répéter pour moi tout seul cette phrase adorée: «Jules, voici tes habits!»

Mère! Je vois encore le chapeau de paille orné de fleurs des champs et le châle jaune et rouge que tu portais dans tes lentes promenades au jardin où tu devais dire adieu aux fleurs que tu aimais et qui te regardaient mourir!

J’étais méchant, puisque en un tel moment je t’ai fâchée:

J’avais reçu le matin, de mon parrain, mon premier sabre. Je me crus garde-champêtre! Et j’allais au bout du village à la recherche de quelque délinquant. J’arrivai fort à propos: un garçon à peu près de mon âge traversait le premier champ labouré. Je le somme d’en sortir et, comme il résiste, je fais usage de mon arme. Frappé en plein visage, le pauvre petit se mit à saigner du nez. A la vue du sang, j’eus le sentiment de ma mauvaise action; je m’en revins penaud. Du jardin où je m’étais sauvé, je ne tardai pas à entendre des cris furieux emplir la cour. J’étais cause que la mère du petit blessé injuriait ma pauvre maman.

Maman m’appelle et, comme je ne réponds pas, elle accourt à ma poursuite. Alors me voyant sur le point d’être pris, je me glisse et me mets en sûreté au milieu d’une forêt vierge d’asperges montées impénétrable à tout autre qu’à moi et où j’attendis l’apaisement de l’orage.

Bientôt la jeune malade n’erra plus au jardin. Elle garda la chambre, puis le lit et, tous les soirs, avant de nous coucher, mes frères et moi, nous montions l’embrasser.

Avec son tendre baiser, elle nous donnait des bonbons. Et puis, un jour, comme les bonbons se trouvèrent épuisés, maman alla pour en acheter à Arras. Je ne me suis pas expliqué alors pourquoi elle y resta. Je ne m’expliquai pas non plus pourquoi, au moment de son départ, on nous avait menés chez une parente qui demeurait au loin dans le village; pourquoi nous y avions passé toute la journée et reçu plus de caresses que d’habitude. Cependant, au retour, je soupçonnais quelque chose d’extraordinaire à la maison. Car étant entré dans la chambre vide, j’y trouvai Mlle Rosalie qui pleurait. Elle pouvait donc pleurer, cette Mlle Rosalie, elle si méchante, lorsqu’elle frappait les petits de sa longue gaule, à l’école de sévrage qu’elle dirigeait et où nous allions.

La vie d'un artiste : Art et nature

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