Читать книгу La vie d'un artiste : Art et nature - Jules Breton - Страница 16

XIV

Оглавление

Table des matières

«Des épaulettes rouges..., des épaulettes jaunes..., jaunes comme les coucous (primevères) que l’autre jour j’ai cueillis dans les prés... Les rouges, je les connais (les pompiers de Carvin aux beaux plumets tricolores, qui dernièrement sont venus ici, avaient des épaulettes rouges); mais les jaunes?...»

Je faisais cette remarque tandis que devant notre porte défilaient d’innombrables soldats. Il y avait longtemps que les épaulettes rouges et les épaulettes jaunes passaient, passaient, se succédaient, sans compter les épaulettes en trèfle et sans franges de ceux qui portaient des tambours. Se peut-il qu’il y ait tant de soldats au monde! Je croyais toujours que c’était fini et ça recommençait toujours.

Ils avaient de grandes capotes grises, de larges schakos où luisaient des mentonnières de cuivre et des sabres très gros, mais pas plus longs que le mien.

De temps en temps, à l’entrée du village, des clairons retentissaient.

Ces soldats semblaient fatigués. Mes yeux aussi se fatiguaient à ce mouvement perpétuel, mais je ne pouvais les en détacher; car c’était très beau et très amusant, surtout les épaulettes jaunes comme les coucous, comme les coucous que Joseph, Louis et moi nous avions cueillis aux prés Malaquis, qui en étaient tout jaunes et embaumés... Nous en avions rapporté un grand panier plein... Puis quel plaisir, le soir, lorsque nous les eûmes serrés en beaux bouquets, où pendait un long bout de ficelle, de les jeter après les chauves-souris en criant:

Kait’ soris

Rapasse par chi,

T’auras du pain musi

Et de l’eau à boire

Katt’ soris tout’ noire!

Enfin les épaulettes rouges et les épaulettes jaunes ont fini de passer, et les dernières se sont arrêtées sur la place du village, où on leur a distribué quelque chose.

Le soir, je fus fort gai de voir venir quelques soldats à la maison, dont un officier supérieur qui avait tant d’or sur son costume, que je le pris pour un roi.

Un spectacle si nouveau m’avait embrouillé la tête, et j’en rêvai la nuit et je revis notre brillant officier. Il était revêtu, comme le Charles X de la chambre de mon père, d’un grand manteau d’hermine, et portait une couronne d’or. Il était gravement assis sur la grand’place, contre le pignon de la mairie, dans le fauteuil rouge de Mlle Rosalie, et, à côté, au lieu de sceptre, se dressait la terrible gaule. Il apprenait l’alphabet aux soldats rangés devant lui, et son alphabet n’était autre chose que la mentonnière en cuir verni de ma casquette, que j’avais perdue à quelque temps de là.

Mais bientôt le soir monta, et ce fut le moment de la récréation. Les chauves-souris tournoyèrent dans le ciel, et les soldats leur jetaient leurs épaulettes jaunes en criant:

Katt’ soris

Rapasse par chi...

La vie d'un artiste : Art et nature

Подняться наверх