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XI

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Lorsqu’il faisait mauvais temps, lorsque le vent hurlait dans la cheminée, que le magot furieux et tourmenté grinçait sur le pigeonnier, Louis Mémère (le fils d’Henriette) nous disait des contes.

Il en savait beaucoup, les ayant appris de son grand-père et des ouvriers briquetiers qui l’employaient parfois comme manœuvre.

Ces récits naïfs et fabuleux émerveillaient notre imagination naissante. Les sorciers, les ogres, les diables s’y confondaient avec la Vierge et le bon Dieu. A mesure que se déroulait la grossière trame de ces contes, j’en voyais passer devant mes yeux les tableaux vivants: Je voyais le paysan qui faisait bouillir sa soupe au soleil par l’effet d’un sifflet magique; je voyais Jean d’Arras, le cordonnier, qui, rien qu’à l’aide de ses outils, chassait dans la forêt.

Quel habile homme que Jean d’Arras! Avec quelle adresse il atteignait un lièvre au front, d’un morceau de poix qu’il lui lançait! Ce lièvre ne tardait pas à se heurter à un confrère, et les voilà tous les deux collés ensemble, front à front, et dans l’impossibilité de courir. Qu’habilement aussi Jean d’Arras sut se dérober au sanglier furieux qui, un jour, se ruant sur lui, le manqua et alla, de sa terrible défense, frapper et traverser un arbre de part en part. Comme Jean eut vite fait un demi-tour, pris son marteau, rivé la défense et tué le monstre d’un coup de tranchet!

Mais, lorsque s’étant perdu, bien loin, bien loin dans la forêt, il entra, poussé par la faim, dans une maison isolée; je tremblais avec lui en songeant que cette maison était habitée par un ogre en train de dîner et à qui sa femme servait de la bouillie, maigre repas pour un géant.

Aussi, flairant d’avance le délicieux souper qu’il en ferait le soir, quels regards de convoitise il jetait au Pauvre Jean transi de peur.

En attendant, comme il était poli, il engagea notre cordonnier à partager sa bouillie. Mais le malheureux, qui claquait des dents, n’en put manger aucune cuillerée, et, pour ne pas désobliger un hôte si aimable, faisait semblant de porter sa cuillère à la bouche et en versait le contenu dans le sac de son tablier de cuir, tout en jetant un regard effaré vers la porte entrebâillée.

Enfin! l’ogre étant sorti un instant, Jean s’enfuit. O terreur! il ne tarda pas à entendre derrière lui son féroce ennemi qui le talonnait. Jean était un rude coureur, mais ce maudit sac, lourd de bouillie, lui battait le ventre et le gênait... Il saisit son tranchet, y fait une large entaille, et toute la bouillie s’échappe. Alors, l’ogre: «Ah! malin compère, je comprends ta ruse! moi aussi, cette bouillie me gêne pour courir!» Et, avec son grand sabre, il s’ouvre le ventre et tombe mort.

On ferait un volume des contes que nous disait Louis Mémère, mais il faut nous hâter. On voit que l’hiver, décidément, était une bonne saison.

C’est aussi par ces jours blancs de givre et de frimas, où des trouées d’azur s’ouvrent si claires, que descendent, enveloppés d’un adorable mystère, les envoyés du paradis préposés aux joies des enfants.

Sainte Catherine arrivait la première, apportant des cœurs de pain d’épices, au milieu desquels s’appuyait, sur sa roue, son portrait en amidon entouré d’arabesques en petits grains de sucre coloriés.

François L..., le secrétaire de mon père, la rencontrait ordinairement la veille sur la route de Carvin, lorsqu’il revenait de la justice de paix.

Il nous annonçait sa venue et nous la représentait sous la forme d’une simple paysanne sur un âne, entre deux paniers. Une fois même, il nous apporta des bonbons qu’il lui avait pris, après l’avoir menacée de sa fourche et les avoir fait tomber, elle et son âne, dans le fossé du chemin.

Et, petits ingrats que nous étions, nous ne trouvions pas un mot pour blâmer ce vilain procédé et venger la pauvre sainte.

Ensuite venait saint Nicolas. Il devait suivre les routes de l’air, et c’était par la cheminée qu’il descendait pour emplir nos souliers de hannetons de chocolat.

C’est ainsi qu’il échappait à François L..., qui jamais ne l’a dévalisé.

Nous nous régalions de ses bonbons sans lui témoigner, non plus, une reconnaissance excessive.

Par exemple! petit Jésus avait toute notre tendresse, lui, petit garçon comme nous, quoique fils du bon Dieu! Quelle admiration! quel respect, quel trouble il éveillait en nous!

Avez-vous remarqué, que les enfants les plus hardis envers les grandes personnes, deviennent timides et émus en tête-à-tête avec d’autres enfants inconnus?

C’est ce qui nous arrivait devant ce mystérieux camarade, rayonnant de gloire céleste. Quel prestige! Un pur idéal rose enveloppé de blancs nuages de ouate, vêtu de gaze aux paillettes d’or, qui souriait avec des yeux de porcelaine!

En ce temps-là, il n’apportait pas encore, dans nos villages, ces arbres de Noël, ardents de mille lumières, et cependant quel délicieux réveil, lorsque nous trouvions sous notre oreiller ces gâteaux de forme bien connue, que l’on appelle ici coquilles, et qui nous inspiraient une telle vénération, qu’avant d’y plonger les dents nous restions longtemps hésitants, entre la gourmandise et le respect.

Et le Nouvel An! quelle fête!

A minuit nous étions réveillés par des roulements de tambour, des tumultes de grosse caisse et des piaulements criards de clarinettes et de petites flûtes. C’étaient des sérénades données à tous les membres de cinq ou six compagnies d’archers. Cela faisait plus de quatre cents fois la même aubade, jouée à l’unisson; un air qui devait remonter aux temps les plus reculés, tant il était étrange et barbare.

Nous l’entendions ici, là-bas, tantôt faible comme un murmure, tantôt bruyant comme un tonnerre, s’éloignant, se rapprochant, et quand il résonnait sous la maison, toutes les vitres grinçaient et nos lits frémissaient aux boums-boums de la grosse caisse, tandis que le fifre aigu nous entrait dans les oreilles comme une vrille.

Nous ne dormions pas de la nuit, mais nous nous amusions bien, d’abord parce que c’était drôle, et puis parce que ça nous annonçait de belles étrennes, les gros sous et les pièces blanches qu’attendaient depuis quelques jours déjà les magnifiques bourses en velours, confectionnées par notre grand’mère!

Le jour levé, nous sautions à bas de nos lits pour aller embrasser nos parents.

Combien de monde il venait à la maison! Comme tous les visages rayonnaient, enluminés! Les confrères Archers entraient dans notre cour, enseigne déployée, suivis des femmes, et l’on dansait. Les aubades de la nuit recommençaient dans le jour, et l’on voyait les musiciens, maintenant. L’un d’eux surtout, le vieux flûtiste Gaspard, nous réjouissait avec ses cheveux et sa figure rouges, et ses très gros yeux d’un bleu d’azur. Fort buveur et grand mangeur, il devait bientôt finir à table, au banquet de la Saint-Sébastien, sans même avoir fini sa soupe. Comme il restera là sans manger, son voisin le poussera doucement, en lui disant: «Ça ne va donc pas, Gaspard?» Et, pauvre vieux, il tombera mort.

Mais il ne prévoyait pas ce malheur et jouait de sa flûte avec une verve tranquille, tandis que nous sortions pour aller chez les voisins et amis, piétinant dans la neige, les mains en avant, tenant notre grande bourse tout ouverte.

La vie d'un artiste : Art et nature

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