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XVI

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Ce matin je me suis éveillé plus tôt que d’habitude; pourquoi? Pourquoi aussi cette allégresse qui chante en moi? Ma mémoire, encore embrumée d’un reste de sommeil, n’en voit pas clairement la cause; mais elle se réjouit en songeant confusément à quelque chose d’extraordinairement heureux. Je me laisse bercer par cette vague pensée, et je fais hypocritement semblant de dormir pour prolonger cet état d’engourdissement délicieux. Ma grand’mère est levée, et j’entends tous ses mouvements: le frôlement de sa jupe, le bruit lent et un peu lourd de ses pas traînant sur le plancher, qui tremble par instants; le frémissement léger et sonore de l’eau qu’elle remue dans son bassin.

Au dehors, les coqs chantent partout; ceux de notre basse-cour vibrent comme des clairons; ceux de la vieille cousine Catherine, des Lhiver, de Charles Ambroise, nos voisins, poussent des sons déjà un peu étouffés; je perçois ceux qui viennent de très loin à un frissonnement de l’air presque insensible.

Qu’il est bon d’écouter tout cela dans la molle chaleur du lit!

J’entr’ouvre les yeux. Un rayon d’or illumine la corniche du plafond et le haut du mur qui, plus bas, est couleur de ciel.

Mes regards errent sur le cadre suspendu au-dessus de mes pieds: un retour de chasse où il y a de belles dames allant au-devant de beaux messieurs qui ont des fusils, des guêtres noires et des domestiques chargés de lièvres et de perdrix.

Enfin ma grand’mère vient me secouer de ses caresses rieuses...

Ah! je sais maintenant..., je sais pourquoi mon cœur chante, pourquoi le mur se couvre d’or tremblant... Le soleil orangé me regarde tout grand, emplissant la fenêtre de ses glorieux rayons. Je sais pourquoi il se hausse sur les chaumes pour me sourire ainsi; c’est que cette journée qui commence sera marquée par un mémorable événement: mon premier voyage!

Hier soir ma grand’mère m’a dit: «C’est demain la Saint-Druon, et il faudra nous lever de bonne heure, car il y a loin d’ici à Épinoy où nous irons,» une lieue! Songez donc..., et moi qui jusque-là étais à peine sorti du village. Aussi comme je saute vivement à bas de mon lit et comme je me laisse habiller sans résistance taquine, sans hérisser mes pieds lorsque ma grand’mère me présente mes bas, et sans serrer ma tête contre sa poitrine au moment où elle me passe ma chemise.

Un voyage!...

D’abord nous traversâmes des choses connues, des colzas éblouissants et embaumés où des milliers de petits pucerons noirs se gorgeaient; des blés en herbe d’où filaient des alouettes qui montaient, planaient, battant de l’aile et saluant notre départ par des chansons de plus en plus sonores. Je retrouvais les mêmes boutons d’or, les mêmes pissenlits, les mêmes papillons, les mêmes brillants scarabées qui se dandinent sur le chemin et qui puent.

Mais comme nous traversions la riviérette sur le pont de bois, ô première surprise! Un oiseau merveilleux s’élance de la rive en prolongeant un cri aigu. Son ventre était de feu et son dos d’un vert splendide, plus brillant que les pierres du bracelet que ma mère à oublié d’emporter lorsque... — «Un martin-pêcheur!» me dit ma grand’mère.

Là commencent les régions inexplorées.

Voici une rivière! une vraie rivière, trois ou quatre fois plus large que notre riviérette, avec de vrais bateaux qui portent de petites maisons mignonnes, fenêtres blanches, cheminées vertes. La rivière était comme un grand ruban de ciel.

Un peu plus loin, nous nous trouvons en face de montagnes presque aussi hautes que les murs de notre jardin, et, comme ma grand’mère s’y asseoit, fatiguée, j’explore en vain leur cime sans rien trouver de particulier. Enfin je pousse un cri: j’avais découvert une fleur nouvelle, une petite clochette blanche finement ciselée.

De là nous apercevions la chapelle de Saint-Druon, avec sa grêle flèche d’ardoises luisantes.

«Saint-Druon, me racontait mon aïeule, simple berger, habitait Épinoy, et nous irons tout à l’heure voir son puits, seul reste de sa ferme. Il avait le don d’être à plusieurs endroits à la fois: à l’église, où il disait sa prière, et aux champs, où il gardait ses moutons. Il a guéri miraculeusement des malades, et c’est pourquoi tu vois ces gens se rendre à son pèlerinage.»

En effet, à chaque instant, sur notre chemin, arrivaient des groupes qui avaient vite fait de nous atteindre et de nous dépasser. Nous y distinguâmes la silhouette grise de l’idiot Bénési, toujours conduisant sa sœur aveugle. Il était déjà loin que nous entendions encore ses psaumes, dont l’écho augmentait le bégaiement étrange.....

La vie d'un artiste : Art et nature

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