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Tous les ans, à l’entrée des beaux jours, arrivait le peintre Fremy, et c’était un grand événement.

Je le vois encore, l’air important, avec son nez de travers et sa veste de drap marron, déballer ses outres d’huile et ses pots de couleurs.

La première fois que je vis cet homme, je me dis: «Je serai peintre!»

Il me jetait des regards sévères lorsque je touchais à ses pinceaux ou à ses cahiers de feuilles d’or.

C’était un personnage grave et presque muet. Cependant, lorsqu’il se sentait en train, il me parlait des châteaux où il avait travaillé.

Il m’en disait des merveilles; mais je ne pouvais alors rien imaginer de plus beau que la maison paternelle, surtout lorsque ce même Fremy avait repeint, d’une couche à l’huile rose et luisante, la large façade plâtrée, au fronton orné d’une lyre, à la grande porte jaune et aux persiennes d’un vert si gai.

Ce gros travail fini, le peintre arrivait aux détails, et là surtout éclatait ma joie. Je voyais sortir de ses boîtes de fer-blanc les petits pots contenant les couleurs fines et brillantes. Il s’agissait de raviver un soleil couchant au plafond de l’escalier, de rafraîchir la marchande d’amour, qui, au salon, formait le dessus de glace de la cheminée... Enfin, venait le tour du Chinois.

La cour de la maison formait un carré mi-pavé et mi-semé d’herbe, enfermé par le grand corps de logis et par deux ailes latérales comprenant la salle à manger, les cuisines, le fournil et divers hangars. Cette cour était séparée de la basse-cour et du jardin par une grille.

Dominant cette basse-cour, s’élevait un pigeonnier carré, posé sur quatre piliers et que terminait un chef-d’œuvre d’architecture.

Au faîte du toit aigu, c’était d’abord une façon de petit temple en bois, rond, porté par une tige de fer et entouré de colonnettes dont les bases, ne reposant sur rien, emboîtées dans un plancher circulaire, restaient en l’air. Comme couronnement à ce diminutif du temple de la Sibylle, surplombait une sorte d’éteignoir orné de clochettes sourdes et dominé par une boule qui laissait ressortir la tige de fer sur laquelle tournait enfin, en énorme girouette, fumant sa pipe, assis au milieu d’un paysage, le fameux Chinois. Vous en voyez l’effet! Tout cela prenait bien le tiers de la hauteur du pigeonnier et n’effrayait pas les pigeons. Je me souviens que quelques années plus tard, pendant une nuit d’ouragan, on entendit un bruit sinistre et que le lendemain on trouva à terre le temple en pièces et le Chinois disloqué. Mais ne devançons pas les événements.

Fremy, aidé d’un ouvrier, dressait son échelle, décrochait et descendait le Chinois qui grandissait à chaque échelon et je pouvais bientôt le contempler de près et mesurer l’épaisseur de sa tôle que solidifiaient des lames de fer piquées de gros clous.

Et si je battais des mains, lorsque le peintre rehaussait d’un chrome magnifique la jaquette du magot, quelle ne fut pas ma joie lorsque je le vis, pour repeindre sa culotte, mêler du bleu au jaune et obtenir un vert du plus bel éclat!

Puis les Quatre Saisons venaient se ranger sous le hangar, laissant derrière elles leurs grands fûts efflanqués et le jardin désert.

Et certes, elles avaient grand besoin du secours du peintre, car elles étaient comme couvertes de lèpre, la vieille couleur soulevant des ampoules et tombant en écaille. Là-haut ça ne se voyait guère, mais de près c’était hideux. Fremy les grattait soigneusement, leur donnait une première couche de blanc et puis, vrai magicien, il leur rendait l’apparence de la jeunesse et de la vie, frottait de carmin leurs lèvres et leurs joues rebondies, et repiquait de brun leurs yeux fixes et louches, tandis que des milliers de petits moucherons, s’abattant étourdiment sur la couleur fraîche, y colaient leurs ailes jusqu’au printemps prochain.

La vie d'un artiste : Art et nature

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