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XVII

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Un des endroits de la maison que j’affectionnais le plus, c’était le grenier, vaste et rempli d’une foule d’objets bizarres.

J’y passai de longues heures à fureter dans les coins poudreux.

Cet endroit me semblait vénérable à cause de tant de vieilles choses hors d’usage et qui me paraissaient mortes. Et puis, à travers les petites lucarnes, le jour tombait si austère, si solennel! l’air s’y engouffrait bleu et visible, comme une poussière de ciel qui viendrait s’ajouter à toute cette poussière terrestre.

Seul, dans le silence sombre, j’étais pris d’une délicieuse crainte, et j’entendais parfois battre mon cœur comme un marteau. J’augmentais encore ce sentiment de secrète horreur en plongeant mon bras dans de mystérieux trous..., par soif de l’inconnu! Un jour, une sensation trop connue me fit retirer vivement la main; car le chat, le génie familier du lieu, m’avait précédé là pour de singulières discrétions.

Il y avait, au fond de ce grenier, deux grands coffres vermoulus, l’un plein de morceaux de papiers insignifiants, dont mon père se servait pour bourrer son fusil et que j’ai su, depuis, être des assignats ayant représenté une petite fortune, l’autre contenant des livres fort intéressants.

Tandis qu’au dehors les pigeons, dans leurs habituels ébats, grinçaient de l’ongle sur les tuiles du toit, je m’oubliais à feuilleter ces gros bouquins jaunis, dont la tranche rouge, les épaisses reliures et les coins de cuivre m’inspiraient tant de vénération.

Le dit chat, je le voyais à certaines taches rousses, les visitait avec moins de respect; mais je me disais que, sans lui, les souris les eussent depuis longtemps ronges...

Les merveilleuses images que contenaient ces bouquins!

On y voyait des agneaux, des aigles, de belles fleurs grimpantes et toute la vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ représentée par de grandes foules de figurines très expressives.

Il y avait d’abominables pelotons de Juifs hérissés de lances, avec Jésus au milieu, qui baissait tristement la tête, pauvre victime aux longs cheveux; des vieillards à barbes avec de gros turbans, des villes aux tours massives, aux épaisses murailles, des femmes et des enfants effarés, des gueux couverts de loques, horriblement estropiés; et tout cela grouillait à chaque page, s’avançait, s’éloignait, se perdait pour reparaître dans d’autres situations.

De qui étaient ces gravures? J’y ai repensé depuis en voyant des Callot. Elles furent pour moi la première manifestation d’un art qui devait passionner ma vie, la plus troublante...

Elles ne pouvaient, d’ailleurs, être l’objet d’aucun enseignement direct, étant trop compliquées.

Mon premier maître fut un inconnu qui avait tracé à la craie, sur un portail de grange, un profil, l’oeil de face, et ayant en bouche une pipe dont le fourneau renversé envoyait à terre son tire-bouchon de fumée. Je l’imitai et je fis preuve d’une originale initiative en corrigeant la fausse position de la pipe.

En même temps, les vieilles paperasses abandonnées au grenier me fournirent l’occasion de découper aux ciseaux mille arabesques de mon invention, avec une adresse qui remplissait d’admiration ma grand’-mère et les domestiques.

Plus tard, je couvris de griffonnages au charbon de braise les murs du grand salon inachevé que le menuisier avait enfin quitté.

Outre les merveilleuses gravures du grenier, je voyais encore, en fait d’oeuvres d’art, les statues et les tableaux de l’église couverts d’ambus et d’écaillés, dont une pieta qui me faisait rêver. Elle se trouvait placée très haut, au-dessus du maître autel. On y devinait douloureusement l’extrême maigreur du Christ, ses lèvres bleuies et les yeux affligés de sa mère!

Des colporteurs, parfois, passaient, vendant des images: le Juif errant, l’enfant prodigue, des saints sacrements sur des fonds vermillon. L’une d’elles me tira de mon erreur relativement à la citadelle d’Anvers. Elle reproduisait le siège de cette ville où je revis les épaulettes jaunes et, dans le ciel, une grêle de boulets rouges qui traçaient de grandes courbes de couleur garance.

La vie d'un artiste : Art et nature

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