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VIII

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On comprendra que, dans ces conditions, je devais jouir d’une liberté presque sans frein, gâté par les domestiques et par mes camarades d’une position inférieure à la mienne, et combien facilement j’échappais à la surveillance d’un père souvent absent, d’une mère mourante et d’une grand’mère presque infirme. J’en abusai. Je courus les rues.

J’en ramenais des bandes de petits polissons qui me donnèrent des leçons de gaminerie dont je ne profitai que trop. J’allai jusqu’à briser, un jour, à coups de pierres, toutes les vitres d’une fenêtre qui s’ouvrait sur le jardin, rien que pour prouver aux garnements qui m’applaudissaient que j’étais bien au-dessus d’un pareil dégât.

Cependant il y avait du bon chez moi. Je me sentais rempli de tendresse pour mes parents et de compassion envers les pauvres qui, le samedi, abondaient dans notre cour.

J’éprouvais même un contentement intérieur à surmonter l’effroi que me causaient les loques de la misère et surtout la vue des difformités physiques; effroi qui, dans certains cas, allait jusqu’à l’horreur. Je me sentais parfois pris d’un tremblement lorsque j’avançais le sou que j’étais chargé par ma grand’mère de donner à certains estropiés. Je frissonnais rien que d’entendre le bruit de certaines béquilles sur le pavé.

Mais l’idiot Bénési ne m’inspirait aucune répugnance, parce qu’il était bon et toujours propre dans sa casaque grise et sa grosse chemise, dont les cols sciaient ses oreilles énormes ornées d’anneaux.

C’est à peine si je me moquais de son bégaiement lorsqu’il- mettait deux minutes, s’adressant à mon oncle, pour dire: M. Béébeéééniface. Il était pourtant bien étrange: la tête faite d’un grand nez, d’une large bouche et d’un crâne gros comme le poing, rasé court et rayé de sillons comme un champ de pommes de terre.

Quelle sollicitude de chien fidèle il montrait pour sa sœur aveugle, dont il était le guide et le soutien toujours attentif!

Aussi nous protégions Bénési et nous le défendions contre les gamins, qui lui jetaient des pierres et se moquaient de ses colères bleues mais inoffensives.

Mes parents, s’apercevant de la tournure un peu trop sauvage que je commençais à prendre, essayèrent de me mettre chez une brave femme du voisinage qui tenait une école de petits enfants. Mais une fois là, je me précipitai vers la porte, et, m’y cramponnant, je fis une telle résistance, je mis tant d’acharnement et de persistance à mes cris, qu’il fallut bien me ramener à la maison. Quelque temps après, ils eurent recours à la terrible Mlle Rosalie, vieille fille, ancienne servante de curé, et qui tenait une école de sévrage.

Je fus plus docile à m’y laisser conduire, d’abord parce que mon frère Louis, qui commençait à grandir, m’y accompagna, et puis, parce que la petite calèche qu’on ne se rappelait plus avoir commandée au menuisier du grand salon se trouvant terminée, après de bien laborieuses pipes, nous eûmes la gloire d’être tirés par Joseph dans ce brillant équipage.

D’ailleurs, l’implacable gaule de la maîtresse me réduisit bientôt au respect. Je crois encore sentir ses coups, lorsque, au moindre signe de rébellion, elle me tombait lourdement sur le sommet du front.

La vie d'un artiste : Art et nature

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