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XXXI

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Mon oncle aimait beaucoup Lille où il avait passé la meilleure partie de sa jeunesse.

Il nous parlait souvent de cette ville, de son théâtre, de ses concerts, de ses riches appartements dorés aux cristaux resplendissants.

Je ne pouvais me faire une idée de tout cela et, dans mes visions nocturnes, Lille m’apparaissait comme un vague éblouissement, un tourbillon de personnages et de carrosses avec de beaux postillons et, sur d’immenses maisons éclatantes de blancheur, un féerique amas d’or et de pierreries. Ces chimériques images me hantèrent surtout la nuit qui précéda notre premier voyage à Lille.

Nous partîmes de bonne heure, mon oncle, Louis et moi. Nous allâmes prendre la Messagerie de Carvin-Lille, service entrepris par Maximilien Robespierre, de la famille du conventionnel, originaire de Carvin.

La voiture était déjà au complet, ce qui n’empêcha pas que non seulement on parvint à nous y fourrer tous trois, mais encore à y entasser les divers paquets que e conducteur, Maximilien lui-même, récolta en route. Dire qu’il y a aujourd’hui des gens qui maudissent les chemins de fer!

Nous n’avions pas encore le break que mon père se procura plus tard; d’ailleurs nous n’aurions pu en Profiter, car ce break servait tant à ses amis, que nous ne le trouvions jamais lorsque nous en avions besoin.

On mit trois heures et demie pour faire cinq lieues, car Maximilien avait le culte du dieu genièvre et lui faisait d’assez fréquentes libations.

Cependant l’idée des merveilles que j’allais admirer me faisait prendre en patience ce long supplice.

Enfin nous voilà à Lille!

La porte de Paris avec sa grosse masse d’architecture Louis XIV me fit une certaine impression.

J’avais aussi été très frappé par l’immense quantité de boulins qui, comme une nuée de hannetons monstres, remuaient leurs ailes.

Mais que dire lorsque, arrivés à l’auberge (Moulin de l’Arbrisseau) où arrêtait la voiture, après nous être étirés et un peu remis de notre courbature (on comprend l’état où devaient se trouver des gens qui pendant trois heures n’avaient pu remuer que le bout des doigts), lorsque, dis-je, j’aperçus enfin à mon aise les merveilles promises.

Les voilà, ces maisons de mes rêves, ces maisons jaunes, noires de crasse et laides!

C’est derrière ces façades chagrines que ruissellent les lustres des salons dorés!...

Nous n’eûmes pas l’occasion de les voir cette fois, ces salons dorés. Où nous allâmes nous fûmes reçus dans de grandes pièces emplies de laids objets, de hauts poêles de faïence et de ballots de toute sorte.

Là, des messieurs à favoris noirs ou roux nous regardaient à peine, continuant d’écrire; puis l’un d’eux, sa plume d’oie à l’oreille, allait chercher le patron. Celui-ci arrivait à nous avec de bruyantes protestations d’amitié, nous faisait traverser des couloirs tout vitrés et non moins sombres pour cela, nous introduisait, au coin d’une petite cour que le soleil ne connaît pas, dans quelques pavillons d’architecture jolie comme le couronnement de notre pigeonnier; et mon oncle babillait interminablement avec son camarade, et c’étaient des rires, mille souvenirs où nous n’avions que faire; et nous restions là à bâiller, l’œil sur une pendule d’albâtre ou sur le Napoléon qui dirigeait une bataille imaginaire du haut de sa colonne de faïence.

Et lorsque nous sortions, mon oncle nous disait: «Voilà un gaillard qui a des écus!»

A l’hôtel où nous logions, mêmes couloirs sombres, même cour étroite et noire, mêmes tristes objets en faïence. Et partout la même chose! Et mon oncle, à tout propos, hochait la tête avec une expression qui voulait dire: «Eh bien! petit, comment trouves-tu tout cela?» Et pour ne pas le désobliger, il fallait bien ouvrir de grands yeux et faire semblant d’admirer.

Nous dînâmes chez des amis où, du moins, nous trouvâmes des enfants; mais au moment où nous pensions nous dédommager par quelque amusante folie, nous vîmes que nous avions affaire à de sages garçons qui ouvrirent bientôt leur histoire de France, et il fallut regarder les Mérovingiens de profil dans leur ovale traditionnel. Et de fait, lorsque ces petits citadins à la peau blanche remuaient le coude un peu vivement, leur mère, l’œil grave et sévère, les réprimandait aussitôt.

Va pour les Mérovingiens!...

Nous dûmes, d’ailleurs, constater le savoir prodigieux de ces bambins à côté de qui nous nous sentions de vrais ânes villageois.

Après le champagne il nous fut permis de nous étirer un peu dans la cuisine basse où ces messieurs avaient leurs jouets. O la triste pièce avec ses fenêtres obscures, où le jour pénétrait à peine, tombant du ciel invisible, entre de hauts murs de brique noire, au pied desquels une étroite rivière charriait son eau fangeuse dans de sordides remous, sur les mille tessons de bouteilles, les débris d’assiettes et le tas d’objets innommés qui encombraient son lit.

Le soir, tout changea d’aspect. La ville s’illumina et je pris un vrai plaisir à la longue promenade que nous fîmes entre les rangées de boutiques de la foire qui se dressaient sur la grand’place.

Une bonne odeur de pain d’épice, d’oranges et de parfumerie circulait dans ces allées improvisées que les marchands emplissaient de leurs cris. Que d’objets charmants s’y étalaient, transfigurés dans les flots de lumière que les lampes et les candélabres répandaient à Profusion: Jouets ingénieux, bonbons appétissants, armes, cannes sculptées, couteaux de toute forme, tabatières fantastiques, et ces magnifiques pendules tout en or avec de jolies bergères et des sauvages tout nus!

Je vis aussi là des fruits inconnus que vendait un Turc pareil à ceux du Magasin pittoresque, ce nouveau journal qui nous amusait tant.

Quelle ne fut pas ma surprise de voir ce Turc tendre la main à mon oncle, et ils causèrent familièrement. Comme je me sentis fier d’avoir un oncle qui connaissait si bien un Turc!

Je l’étais moins de mon frère Louis qui, malgré mes remontrances, boitait ridiculement devant tout le monde, car le pauvre garçon s’était fait, quelques jours auparavant, une brûlure au pied, en renversant une cafetière placée dans les cendres, au coin du feu.

Il avait tant pleuré pour venir avec nous, que mon oncle l’avait laissé nous accompagner, le pied malade chaussé d’une pantoufle. J’en éprouvais une sotte humiliation.

Nous visitâmes le Musée:

Je trouvai tous ces grands tableaux rouges et bruns, comme enfumés, bien vénérables, mais, je dois l’avouer, peu réjouissants. Louis avoua franchement qu’il préférait le cabinet d’histoire naturelle où il y avait une grande baleine et de jolis oiseaux multicolores; j’aurais bien été de cet avis, s’il n’eût été indigne d’un aspirant peintre.

J’étais encore plus à la portée de Fremy que de Rubens. Heureusement je fus sincère dans mon admiration pour une petite toile flamande, où une lampe, si naturelle! éclairait deux vieux lisant dans un gros livre. Le foyer de cette lampe était parfait; la petite flamme passait si bien du bleu au jaune et au roux fumeux: seulement elle colorait les personnages trop en rouge.

Le soir mon oncle nous conduisit au théâtre, où l’on jouait la Muette de Portici. Nous arrivâmes des premiers. La salle était encore vide, à peine éclairée du jour bleuâtre qui tombait du plafond. On abaissa le lustre. Un homme le fit tourner et retourner, allumant un à un chaque quinquet.

Bientôt la salle resplendit de tout son éclat, sans réaliser toutefois l’effet de nos visions nocturnes.

L’orchestre préluda; des doigts passaient par les petits trous du rideau où parfois brillaient des yeux. J’eus encore l’orgueil de voir mon oncle faire un signe amical au premier cor, son ancien professeur, un musicien hors ligne... et dont le profil ressemblait tellement à celui des chrysalides du papillon le Vulcain que, comme il s’appelait Laoust, nous appelons depuis ces chrysalides des Monsieur Laoust.

La pièce commença; mais on y chantait trop. Je n’y comprenais rien. Je m’amusais aux costumes et aux décors.

Au dernier acte, je vis, de grandeur naturelle, le Vésuve de notre cabinet d’étude. Encore une déception: Je découvris de suite les fils qui tiraient les pierres de l’éruption, et puis la Muette se jeta visiblement, non dans le cratère, mais à côté.

Quant à mon oncle, par instant il bondissait sur son siège avec de tels élans d’enthousiasme, qu’il éveillait l’attention railleuse de ses voisins.

La vie d'un artiste : Art et nature

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