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LES CLIENTS DU COMMISSAIRE
ОглавлениеCeux que le commissaire redoute le plus, sont les clients au caractère pointu. Il y a trois façons d’être pointu: comme une vrille, comme une épée ou comme une seringue; celle-ci est la pire et a inspiré le mot «canuler» ; ce caractère est plus particulier aux vieilles dames, et sa plus irritante manifestation est dans les plaintes que lui suggère sa tendresse pour les animaux: par exemple, contre un charretier dont les chevaux traînent une trop lourde charge, contre des voisins qui se sont absentés en laissant enfermé un pauvre chien dont les plaintes trahissent l’ennui que lui cause sa solitude.
Il y a aussi d’ailleurs, d’assez jolis pointus chez l’autre sexe; je mentionne au hasard, trois des exemples qui m’ont été cités:
1° Un gaillard réclamant l’intervention de l’autorité, pour obliger une Phryné de trottoir à lui restituer les trois francs qu’il lui a imprudemment donnés d’avance, sinon à remplir la condition dont les trois francs étaient le prix;
2° Un locataire expulsé pour cause de termes accumulés et qui refuse de s’en aller, disant qu’il préfère une augmentation;
3° Un excellent locataire, celui-ci: un jour, aussitôt après avoir payé son terme, il se présente chez le commissaire de police, sa quittance de loyer à la main, et demande qu’on lui légalise la signature de son propriétaire.
Ah! ces légalisations!
«Un matin, me disait un commissaire de police, je vois entrer dans mon cabinet, une grande et belle fille, blonde, fraîche, vingt ans à peine. Elle m’informe qu’elle part en Russie; puis elle me présente un certificat de son médecin, attestant qu’elle est pure comme un lys, et elle me demande de légaliser la signature du docteur, afin de pouvoir, en Russie, produire au besoin cette pièce authentique, comme il y a quelques années, Mlle Jeanne May.»
L’honorable fonctionnaire, me disait encore ceci:
«Pour la plupart des gens auxquels nous avons affaire, surtout ceux des quartiers excentriques, un commissaire n’est pas un homme; ils l’assimilent au médecin ou à un confesseur et lui font des confidences d’alcôve à faire rougir un souteneur. Une très jolie jeune femme vient, un jour, se plaindre à moi d’avoir été battue par son mari, notamment à coups de pieds dans le bas des reins où les bleus étaient marqués, et, à ma grande stupéfaction, elle releva ses jupons jusqu’ aux aisselles, se courba en avant et me montra.... les bleus!»
Et les vagabonds aux métiers fantaisistes! Ainsi, pour n’en citer qu’un: le préparateur de guimauve pour chaussures, expliquant au commissaire de police que, amalgamée à du caoutchouc, on fabrique avec ce produit, des souliers qui attaquent le rhume à son berceau, c’est-à-dire par les pieds!
Gracieusement autorisé par quelques-uns de messieurs les commissaires de police à voir par moi-même les tableaux que je me proposais de reproduire, j’ai usé, peut-être abusé, de la permission; mais j’ai du moins la certitude de connaître mon sujet.