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PRÉFACE

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A M. JULES MORAUX

MON CHER CONFRÈRE,

Que je veuille bien vous donner quelques lignes à mettre en tête de votre nouveau livre: Le Bureau du Commissaire, voilà ce que vous me demandez et ce que je fais avec le plus grand plaisir; mais ce que je me demande, moi, c’est à quoi ces quelques lignes peuvent, bien vous servir, après le succès si grand et si mérité de vos Tribunaux comiques.

Si je restais, vis-à-vis de vos lecteurs, dans les habitudes de sincérité dont je me vante quelquefois, je me contenterais de leur dire: «Ne vous occupez pas de moi; courez tout de suite aux récits de Moinaux, c’est-à-dire à ce rire rabelaisien qu’il va faire éclater en vous, à chaque page que vous tournerez.» Voilà ce que je devrais dire à vos lecteurs et ce que je leur dis: si je continue d’écrire quelque chose, ce n’est pas pour eux, c’est pour vous. Nous causons. Je ne les empêche pas d’écouter, mais si ça ne les intéresse pas, qu’ils ne s’en prennent qu’à eux.

La vérité, mon cher Moinaux, c’est que je suis heureux de vous dire publiquement ce que je vous ai dit si souvent, en vous serrant la main: que vous êtes un des conteurs les plus originaux et les plus désopilants qui aient jamais existé dans notre pays de France. Vous n’avez pas seulement repris et continué la tradition de la verte et saine gaiete. de Sénecé, de Gérard Bontemps, de Verboquet le généreux et de ce Tabarin qui débitait ses joyeux devis sur la place Dauphine, au pied même de cette vieille maison ou vous écrivez vos articles: vous avez créé un genre nouveau qui placera tôt ou tard vos petits récits entre les Contes de Boccace, les indiscrétions de Brantôme et les historiettes de Tallemant des Réaux. C’est que vous puisez comme eux à la source inépuisable de la perversité, ou plutôt de la bêtise humaine; car ce qui fait le mal en ce monde, ce n’est pas la méchanceté, c’est la bêtise. L’homme veut être heureux, n’est-ce pas bien naturel? et il veut l’être tout de suite, c’est l’instinct. S’il a un désir, il veut le satisfaire; s’il a une passion, il veut l’assouvir. Cet animal que vous nous présentez, a eu envie de quelque chose, d’une femme, d’un litre, ou d’un cervelas, il a étendu la main pour prendre ce dont il avait envie. Si on lui a fait obstacle, il a fermé le poing et il a cogné. Vous le prenez, ou plutôt, on vous l’amène, car vous avez des rabatteurs officiels expérimentés, les gardiens de la paix, vous le prenez au moment où il vient de s’apercevoir qu’il s’est trompé, qu’il n’a été ni assez fort pour résister à la tentation, ni assez malin pour en cacher le résultat. C’est l’heure mélancolique de la réflexion forcée et du repentir inutile. Vous et moi savons de quoi est fait le repentir de l’homme, surtout quand il est devant le juge: du regret de ne plus jouir tranquillement de sa faute, de la honte d’être pris et de la crainte d’avoir à expier. La contrition que le concile de Trente appelle une douleur et une détestation des péchés commis, jointes à la volonté de n’en plus commettre n’a rien à voir ici. C’est la menace du châtiment qui fait tous les frais. Le plaisir est fini, l’embêtement commence, pour me servir d’un mot que le dictionnaire de Littré admet comme trivial, et que l’école naturaliste déclarerait incolore et insuffisant. Pris entre l’agent qui l’a arrêté et le magistrat qui l’interroge, le délinquant n’a plus qu’une idée, c’est de trouver la fente par laquelle il va sortir de là. Le plus souvent, il n’est qu’une simple brute dont l’alcool a excité la brutalité jusqu’à ce qu’il détermine l’abrutissement final. Souvent aussi, c’est un coutumier du fait, un drôle qui a résolu de brouter le pré de son voisin, et qui, n’ayant ni feu, ni lieu, se trouve être le voisin de tout le monde. Quelquefois c’est un simple naïf, dont la machine à comprendre n’arrive pas à fonctionner complètement; qui se bute sur une idée ayant une apparence de logique et qui la déduit inconsciemment et implacablement jusqu’à produire une catastrophe quelconque; ou bien c’est un mauvais plaisant qui, croyant ne faire qu’une farce, a causé mort d’homme et qui ne sort pas de là : «Ce n’est pas ma faute, puisque c’était une farce!» Comme si la farce, en dehors de la politique, faisait nécessairement partie de la civilisation moderne. Enfin c’est toujours cette imbécillité humaine sur laquelle Darwin pourra s’appuyer pour nous faire descendre du singe, et Schopenhauer pour nous engager à ne plus nous reproduire.

Vous, mon cher Moinaux, vous n’allez pas si loin, vous n’êtes ni transformiste ni pessimiste, vous ne vous occupez ni de nos origines obscures, ni de nos fins douteuses. Témoin régulier par profession, attentif par goût, des conflits quotidiens entre le péché et la justice, vous avez modestement choisi, pour vos comptes rendus, les menus délits courants, les crimes véniels, les levers de rideau du grand répertoire judiciaire, ce que nos pères auraient appelé les passe-temps de Thémis. La réalité vous fournit les faits et les personnages, ceux-ci presque toujours aussi vulgaires et aussi insignifiants que ceux-là, mais c’est tout; et alors plaçant ces choses et ces êtres, entre un commentaire qui pourrait être de Sterne et une moralité ou un axiome qui pourrait être de Gavarni, vous lâchez la bride au dialogue le plus cocasse, qui pourrait être de Duvert ou de Labiche. Le procédé est bien simple, seulement il vous est tout à fait personnel, et il restera probablement inimitable. comme les fantaisies de Cham et de Daumier.

Je dois vous dire, pour m’excuser auprès de vous de vous louer tant, que rien n’excite plus mon étonnement, mon envie et ma reconnaissance, que la faculté donnée par la nature, à certains esprits, de provoquer le rire irrésistible et à pleine gorge, rien qu’avec un livre et de simples caractères d’imprimerie tout froids et tout secs, sur la première feuille de papier venue. Là, pas d’action indirecte sur celui à qui l’on s’adresse, pas d’auxiliaires, pas de moyens matériels comme au théâtre. La phrase n’est ni articulée, ni chantée, ni mimée; absence complète d’intonations bizarres, de costumes burlesques, de contorsions extravagantes. Ni les yeux, ni les oreilles ne sont séduits; ils ne sont même pas invités. La gaîté parfois grossière mais communicative du public n’influence pas. Un livre, la solitude et le silence. Des mots, rien que des mots tout nus, tout pareils les uns aux autres en apparence, mais si heureusement combinés dans leurs lignes rigides, qu’il faut que le ventre se secoue et que les larmes s’ensuivent. Ce don rare, vous l’avez, et, dans ce nouveau livre, plus que jamais. Peut-être parce que vous avez eu cette excellente idée de faire tourner vos scènes, rapides, colorées, légères et court vêtues, autour de cette excellente figure du commissaire, comme une ronde de nymphes et de faunes autour de la statue impassible et narquoise du dieu Pan. Mais il fallait votre grande et vieille connaissance de la matière, pour peindre si ressemblant ce type complexe du commissaire de police, ce personnage légendaire dont nous apprenons à rire sur les genoux de nos bonnes, devant la baraque de Guignol, sous les coups de bâton de Polichinelle, ce pion de la societé à qui le pion du collège passe et confie l’éternel écolier qu’on appelle l’homme, cette providence des maris trompés, cette statue du commandeur des épouses infidèles, ce Minos de rez-de-chaussée qui juge, le matin, tous les pâles voyous, dans son temple boueux et fétide dont les quatre murs touchent à la prison, à l’hôpital, à la Morgue et à l’échafaud. Va-t-il être partial, quinteux, injuste, distrait, ce fonctionnaire modeste chargé de besogne et de responsabilité, sous les yeux et par les mains duquel passent, du matin au soir, toutes les turpitudes morales de la grandeville? Non; vous nous le représentez doux, conciliant, moitié railleur, moitié paterne, fin, incapable de se laisser duper, encore capable de se laisser fléchir, sachant sur quoi il faut ouvrir les yeux, quand il faut les fermer, tel enfin que doit être celui qui, ayant à statuer tous les jours sur les faiblesses perpétuelles de l’humanité, conclut à la pitié plutôt qu’à la colère. Il est dessiné de main de maître et il restera.

Là dessus, je vous serre la main, mon cher Moinaux, et j’attends impatiemment tous les autres livres que vous écrirez. Faites-nous rire le plus possible pendant qu’il en est temps encore.

A vous,

A. DUMAS FILS.

Le bureau du commissaire

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