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L’HOMME QUI AIME LES BONS PRÊTRES

Table des matières

Quelle sera, l’année prochaine, la mode des chapeaux et des opinions politiques? Nul ne le sait. Nous verrons, à cette époque, ce que nous aura donné le progrès — cet imbécile qui n’est jamais content de ce qu’il a — comme disait feu Xavier Aubryet.

A l’heure qu’il est, la variété des coiffures est aussi grande, chez les dames, que la variété des opinions politiques, chez les citoyens français; il n’y a guère chez ces derniers qu’un point qui réunisse une forte majorité : c’est la haine du prêtre. Il est donc de toute justice, en ce temps où la minorité se plaint du dédain de la majorité pour elle, de signaler deux électeurs des nouvelles couches, se prenant de sympathie pour un prêtre assis près d’eux dans un omnibus.

Et pourtant ces deux citoyens se sont battus à propos de ce même prêtre; c’est que la sympathie a diverses formes dont la pire est la forme de rasoir; l’un de nos personnages est un raseur, l’autre a pris fait et cause pour le rasé, et c’est ainsi qu’est née l’affaire soumise au commissaire de police.

Hirondeau, le plaignant, expose ainsi sa petite affaire: «Je ne connaissais pas du tout le sieur Dubut, il était dans l’omnibus; nous avions entre nous deux un bon vieux curé qui avait l’air d’une bonne pâte d’homme; moi, je suis juste; on vous dit: les prêtres, c’est ci, c’est ça; moi, je dis qu’il y a de braves gens partout et celui-là, je ne le connais que pour une prise qu’il m’a offerte et un bout de conversation, mais ça a l’air de la meilleure pâte!...

Le Commissaire: Enfin, dites-nous donc dans quelles circonstances Dubut vous a frappé ?

Hirondeau: Que si les sergents de ville n’étaient pas venus, qu’ils nous ont mis au poste tous les deux, je ne serais peut-être pas sorti vivant de ses mains.

Dubut (protestant): Oh! oh!

Le Commissaire: Arrivez donc au fait!

Hirondeau: Qu’on n’aurait plus trouvé sur moi qu’un cadavre.

Le Commissaire: Mais comment est-ce venu?

Hirondeau: Simplement qu’étant très bien avec ce bon curé, qui était venu de la prise et de la conversation, que j’ai même passé ses six sous au conducteur, j’ai descendu avec lui pour faire un bout de chemin ensemble, et que c’est de là que le sieur Dubut m’a tombé dessus sans rime ni trompette.

Dubut: Le sieur Hirondeau ne vous dit pas que le prêtre ne pouvait pas se débarrasser du gluau de cet homme-là, qu’il n’y a même pas un tailleur qui pourrait faire un pantalon aussi collant; que le pauvre vieux curé cherchait à se sauver et que le sieur Hirondeau le repinçait toujours par sa soutane.


Le Commissaire: Vous pouviez protéger cet ecclésiastique sans frapper le plaignant?

Dubut Faut savoir comme c’est arrivé ; ça a commencé quand il a passé au conducteur les six sous du prêtre; alors ce prêtre lui dit «Merci;» l’autre répond: «Oh! m’sieur le curé, n’y a pas de quoi; moi d’abord, j’aime les bons prêtres...» C’est bien, il commence à le raser; mais le curé se met à lire son bréviaire et le sieur Hirondeau est un instant à le laisser tranquille. Voilà que le curé tire sa tabatière et prend une prise; le sieur Hirondeau tend ses deux doigts et le prêtre avançant sa tabatière, il y prend une prise; là-dessus il se met à faire des éternuements épouvantables à secouer l’omnibus et les chevaux; les uns riaient, les autres, ça les ennuyait ferme; alors, il dit au curé : «C’est parce que je n’ai pas l’habitude de priser, je fume.» Là-dessus, il lui raconte combien il use de tabac par jour; il lui demande s’il fumait. Le curé lui répondait par complaisance, toujours en lisant son bréviaire; mais ça avait l’air de l’ennuyer beaucoup. Voyant ça, je dis au sieur Hirondeau: «Mais laissez donc Monsieur le curé tranquille!»

C’est bon, il se tait pendant quelques instants, et puis il finit par se pencher sur le curé et il lui dit, comme d’un air de compassion: «Ça doit bien vous emm... de lire toujours la même chose?» Là-dessus v’là tout le monde qui se tord de rire, excepté moi; le pauvre prêtre se lève et descend, pour en finir. Pas du tout, voilà M. Hirondeau qui descend avec lui. C’est donc de là que j’ai descendu aussi...

Le Commissaire: Et que vous êtes tombé sur lui.

Dubut: Mais pas comme ça; j’ai commencé seulement par le prendre par le bras et le faire chavirer, en lui disant: «Mais laissez donc Monsieur tranquille.» Là-dessus, il m’allonge une gifle. Ah! mais moi qui n’aime pas bien ça...

Le Commissaire: Oui, c’est entendu.

Hirondeau: Je ne l’insultais pas le curé, au contraire.

Le Commissaire: Au contraire? avec l’expression ordurière que l’inculpé a rapportée.

Hirondeau: J’ai dit ça à la bonne enfant; c’est un mot très connu.

Le Commissaire jugeant qu’il y avait eu provocation renvoie Dubut.

Et voilà comment, avec les meilleures intentions de part et d’autre, on peut ne pas s’entendre.

Le bureau du commissaire

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