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LA SOURIS

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S’IL est une allégation à l’abri de toute controverse, c’est bien celle émise par nous ne savons quel fantaisiste: «Rien ne ressemble autant à un homme qu’un Auvergnat.» Évidemment l’auteur de cette boutade visait son charbonnier, dont il avait sans doute à se plaindre, et il aurait reconnu, même, sans difficulté, qu’il est des Auvergnats auxquels ne ressemble pas le premier homme venu.

A un certain point de vue, le rapprochement ci-dessus peut s’expliquer; il signifie peut-être que les jeux, les manières, la démarche, les actes manuels, des petits industriels du Cantal, du Puy-de-Dôme ou de l’Aveyron, ressemblent, à la lourdeur près, à ceux des Parisiens, en général moins bruyants, qui ne font pas la cour aux filles à grands coups de poing dans le dos et préfèrent le cancan des bastringues excentriques à la bourrée tapageuse des bals-musette.

Certainement, un ouvrier de Paris, animé de la même intention que l’Auvergnat dont il va être parlé, l’aurait mise à exécution d’une façon différente; mais, que voulez-vous? on n’est pas élevé à Saint-Flour comme on l’est à Paris.

Rouquette (c’est le nom de notre Auvergnat) est amené, ou plutôt apporté, au bureau du commissaire, par un robuste Savoyard, valet de chambre de son état, qui le tient au collet et le secoue avec une fureur impossible à décrire. Les fouchtra expirent dans la gorge de l’enfant de Saint-Flour, haletant et les yeux à moitié hors de la tête.

Le Commissaire: Mais qu’il y a-t-il? Lâchez donc cet homme!

Le Savoyard lâche l’Auvergnat et le foudroie du regard.

Rouquette: Il m’a déchiré ma vechte, fouchtra.

Le Commissaire: Voyons, de quoi s’agit-il?

Le Valet de chambre (à l’Auvergnat): Brute! sauvage!

Le Commissaire: Je vous engage à vous calmer et à vous expliquer paisiblement.

Et, avec un calme relatif, le valet de chambre raconte ce qui suit:

— Le sieur Rouquette, qui est garçon charbonnier, venait chez mes maîtres, voir la cuisinière avec qui il doit se marier.

Rouquette: Nous chommes fayenchés, ch’est une payj e.

Le Commissaire: N’interrompez pas!

Le Valet de chambré : J’étais dans le bureau de Monsieur, qui était dans la salle à manger, en train de déjeuner avec Madame et Mademoiselle, et je profilais de cela pour épousseter. Depuis quelque temps, monsieur se plaignait qu’il y avait une souris dans son bureau et qu’elle lui rongeait ses papiers. Tout à coup je vois la souris qui traverse le bureau et disparaît en passant sous un fauteuil. Je ne fais pas de bruit; ayant des pantoufles, je m’avance tout doucement vers le fauteuil dans l’intention de mettre le pied sur la souris, si je pouvais. A ce moment-là, voilà le sieur Rouquette qui entre avec ses gros souliers. Je lui fais: «Chut!...» en lui faisant signe aussi de ne pas bouger. La porte par laquelle il était entré est placée derrière le bureau de travail de Monsieur; le sieur Rouquette se trouvait donc à côté du bureau qui était couvert de papiers et de livres; alors il me dit tout bas: «Qu’est-ce qu’il y a?» Je lui réponds tout bas aussi: «C’est une souris!» Là-dessus, je me baisse pour voir sous le fauteuil; je ne vois rien. Pensant que la souris était peut-être allée sous la bibliothèque, j’y vais tout doucement, à petits pas, et je me baisse pour voir.

Voilà le sieur Rouquette qui me fait tout à coup: «Chut!» Je le regarde; il me dit tout bas: «Je sais où elle est! Je l’entends. Ne bougez pas!» C’est bien, je ne bouge pas et je regarde ce qu’il allait faire. Il se baisse, retire un de ses gros souliers, se relève en le tenant à sa main; puis, tout à coup, il en assène un coup de toute sa force, sur des papiers empilés sur le bureau. J’entends un bruit singulier: «Ca y est! me dit le sieur Rouquette; elle est tuée; elle était sous ces papiers-là, je l’entendais,»


Je cours voir, je lève les papiers; c’était la montre de Monsieur! un chronomètre de 1,200 francs qu’il avait brisé d’un coup de soulier. Ce qu’il avait entendu, c’était le tic-tac!

Monsieur!... en voyant ça, je me sens devenir blanc, vert, rouge; je me dis: Monsieur va me mettre à la porte pour avoir laissé entrer cet Auvergnat dans son cabinet. Alors, dans une fureur comme je n’en avais jamais eue, je saute sur cette brute; je l’enlève par le collet, et voilà !

Le Commissaire: Et bien, que demandez-vous?

Le Valet de chambre: Comment, ce que je demande? Voilà un charabia qui s’en vient briser à coups de soulier, le chronomètre de Monsieur...

Le Commissaire: Qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse? Cet homme a commis une maladresse et non un délit.

Le Valet de chambre: Alors, il en est quitte comme ça... et moi, Monsieur va me faire payer son chronomètre.

Le Commissaire: Faites un procès en dommages-intérêts.

Rouquette (inquiet): Un procès!

Le Valet de chambre: Oui, je te le ferai, animal; justement, ta future m’a dit que tu avais 1,200 francs; je te les ferai cracher, tes 1,200 francs, et elle ne voudra plus de toi, comme n’ayant pas le sou.

Rouquette (effrayé): Oh! ne faites pas cha, mochieu Baptiste; tenez! nous j’allons nous j’arrangea. (Tirant de son gousset une grosse montre d’argent.) Je donne ma montre en remplachement.

Le Valet de chambre (furieux): Un oignon! idiot, imbécile!

Le Commissaire: Allons, retirez-vous!

Le Valet de chambre: En remplachement! une bassinoire de 12 francs. Sauvage! auverpin!

Ils sortent en discutant.


Le bureau du commissaire

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