Читать книгу Tous les Contes de Léon Tolstoi (151 Contes, fables et nouvelles) - León Tolstoi - Страница 110
XXIII
ОглавлениеUn jour, Marie Sémionovna, qui était allée à la trésorerie toucher sa pension, en revenant chez elle rencontra un maître d’école qu’elle connaissait.
— Eh bien! Marie Sémionovna, vous avez touché? Lui cria le maître d’école à travers la rue.
— Oui, j’ai touché, répondit Marie Sémionovna. Mais juste de quoi boucher les trous.
— Bah! Vous avez beaucoup d’argent; vous boucherez les trous et il en restera, dit l’instituteur, et, la saluant, il continua son chemin.
— Adieu, lui dit Marie Sémionovna, et tandis qu’elle regardait le maître d’école, elle se heurta contre un homme de haute taille, aux longs bras, et à la mine sévère. Arrivée près de sa demeure, elle fut surprise en apercevant de nouveau cet homme aux longs bras. Celui-ci la regarda rentrer dans sa maison, resta un moment planté là, puis, se détournant, s’en alla.
Marie Sémionovua se sentit mal à l’aise. Mais, lorsqu’entrée dans la maison elle se mit à distribuer les petits présents rapportés pour le vieux et pour son petit neveu scrofuleux, Fédia, et qu’elle eut caressé le chien, Trésorka, qui aboyait de joie, de nouveau elle se sentit bien, et, après avoir remis l’argent à son père, elle se mit à travailler, car la besogne ne lui manquait jamais.
L’homme qu’elle avait rencontré était Stepan. De l’auberge où il avait tué le propriétaire, Stepan n’était pas allé à la ville; et, chose étonnante, le souvenir de son meurtre non seulement ne lui était pas désagréable, mais, plusieurs fois par jour, il se le remémorait exprès. Il lui était agréable de penser qu’il avait pu le commettre si proprement, si habilement, que personne ne le saurait et ne l’empêcherait de faire la même chose à d’autres.
Attablé dans une auberge où il prenait du thé, il examinait les gens toujours avec la même idée: comment les tuer? Il partit passer la nuit chez un charretier de son pays. Le charretier n’était pas à la maison. Stepan dit qu’il l’attendrait et resta à causer avec sa femme.
Mais, comme elle se retournait vers le poêle, il lui vint en tête l’idée de la tuer. Surpris lui-même, il hocha la tête, puis tira de la tige de sa botte un couteau, renversa la femme et lui coupa la gorge. Les enfants se mirent à crier. Il les tua, et quitta la ville sans rester à coucher. Au-delà de la ville – dans un village – il entra dans une auberge et y passa la nuit. Le lendemain il alla de nouveau au chef-lieu de district, où, dans la rue, il entendit la conversation de Marie Sémionovna avec le maître d’école. Le regard de la femme le troubla. Néanmoins il résolut de s’introduire chez elle et de s’emparer de l’argent qu’elle avait touché. La nuit, il brisa la serrure et pénétra dans la maison. La fille cadette, mariée, l’entendit la première. Elle se mit à crier. Stepan, aussitôt, la tua. Le beau-frère s’éveilla et se jeta sur lui. Il saisit Stepan à la gorge et longtemps lutta avec lui. Mais Stepan était le plus fort. S’étant débarrassé du beau-frère, Stepan, ému, excité par la lutte, passa derrière la cloison. Marie Sémionovna couchait là. Soulevée sur son séant, elle regardait Stepan avec des yeux effrayés, doux, et se signait.
De nouveau son regard troubla Stepan. Il baissa les yeux.
— Où est l’argent? Dit-il sans la regarder.
Elle ne répondit pas.
— Où est l’argent? Répéta Stepan, en montrant le couteau.
— Que fais-tu? Peut-on faire cela? Prononça-t-elle.
— Ça se voit qu’on le peut.
Stepan s’approcha d’elle prêt à lui saisir le bras pour qu’elle ne le gênât pas. Mais elle ne leva point les bras, ne résista point, serra seulement ses mains contre sa poitrine, soupira profondément et répéta:
— Oh! Quel grand péché! Que fais-tu? Aie pitié de toi-même! Perdre les âmes des autres, mais pire encore tu perdras la tienne! Oh! S’écria-t-elle.
Stepan, ne pouvant supporter davantage cette voix, lui porta un coup à la gorge.
— Je n’ai pas le temps d’écouter vos histoires!
Elle retomba en râlant sur l’oreiller et l’inonda de son sang.
Il se détourna et alla dans la chambre, où il fit main basse sur tout ce qui lui convenait. Cela fait, Stepan alluma une cigarette, resta assis un moment, nettoya ses vêtements, puis sortit.
Il pensait que ce meurtre agirait sur lui comme les précédents; mais avant d’arriver à une auberge, il ressentit soudain une telle fatigue, qu’il ne pouvait mouvoir un seul membre. Il se coucha dans le fossé et resta là toute la nuit, toute la journée et la nuit suivante.