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VII

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À une soirée chez les Éropkine, il y avait deux jeunes filles, de riches partis, toutes deux courtisées par Makhine. Après qu’on eut chanté, Makhine, qui venait de se distinguer, car il était très musicien et accompagnait au piano et tenait la seconde voix, se mit à narrer très fidèlement et avec force détails – il avait une très bonne mémoire – l’histoire d’un étrange criminel qui avait converti le bourreau. Makhine se souvenait si bien et racontait si bien parce qu’il restait toujours indifférent aux gens avec lesquels il avait affaire. Il ne pénétrait pas et ne savait pas pénétrer l’état d’âme des autres hommes. C’est pourquoi il pouvait se rappeler si bien tout ce qu’ils faisaient et disaient. Mais Pelaguschkine l’intéressait. Il n’était point entré dans l’âme de Stepan, mais, malgré lui, il se posait cette question: que se passe-t-il en lui? Il ne trouvait pas la réponse, mais il pressentait qu’il s’agissait de quelque chose d’intéressant. À cette soirée il raconta toute l’histoire de la conversion du bourreau, et les récits du directeur sur la conduite bizarre de Pelaguschkine, ses lectures de l’évangile et sa grande influence sur ses camarades.

Tous écoutaient avec intérêt ce que racontait Makhine, mais la plus intéressée de tous était la fille cadette des Eropkine, Lise, une jeune fille de dix-huit ans, nouvellement sortie de pension, qui venait de se rendre compte de l’étroitesse et de la fausseté du milieu dans lequel elle avait grandi, et qui semblait aspirer avidement l’air frais de la vie, comme il arrive lorsqu’on sort de l’eau. Elle se mit à interroger Makhine en détail, voulant savoir pourquoi et comment un pareil changement s’était opéré en Pelaguschkine. Makhine, lui raconta ce qu’il avait appris de l’officier de police sur les derniers meurtres de Pelaguschkine et ce que celui-ci lui en avait dit: comment la douceur, la résignation, le courage en face de la mort de cette très bonne femme, sa dernière victime, l’avaient vaincu, lui avaient ouvert les yeux, et comment ensuite la lecture de l’évangile avait achevé cette œuvre.

Cette nuit-là, de longtemps, Lise ne put s’endormir. Depuis plusieurs mois, en elle se passait la lutte entre la vie mondaine dans laquelle l’entraînait sa sœur, et son amour pour Makhine, uni au désir de le corriger. Maintenant, ce dernier sentiment l’emporta. Elle avait déjà entendu parler de la morte, mais maintenant après cette mort horrible dont Makhine lui avait fait le récit d’après les paroles de Pelaguschkine et tous les détails de l’histoire de Marie Sémionovna, elle était frappée de tout ce qu’elle avait appris d’elle. Lise désirait passionnément lui ressembler. Elle était riche et craignait que Makhine ne lui fît la cour pour son argent. Elle résolut de distribuer tout ce qu’elle possédait, et s’en ouvrit à Makhine. Celui-ci, heureux de l’occasion de montrer son désintéressement, dit à Lise qu’il l’aimait, mais non pour son argent, et cette résolution généreuse, comme il sembla à Lise, le toucha même. Pour Lise commença la lutte avec sa mère qui ne lui permettait pas de donner sa propriété. Makhine prêtait son aide à Lise, et plus il agissait ainsi, plus il comprenait un monde qui lui était demeuré jusqu’alors étranger: le monde des aspirations morales, qu’il voyait en Lise.

Tous les Contes de Léon Tolstoi (151 Contes, fables et nouvelles)

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