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II

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Durant tout le premier mois de sa détention dans la prison, Stepan était sans cesse tourmenté par la même vision. Il voyait le mur gris de sa cellule; il entendait les bruits de la prison, le bourdonnement de la salle commune, située au-dessus de lui, les pas du factionnaire dans le corridor, le tic-tac de la pendule, et, en même temps, il la voyait, elle, avec son regard doux qui l’avait vaincu dès leur rencontre dans la rue; il voyait son cou maigre, ridé, qu’il avait tranché, et il entendait sa voix attendrissante, plaintive, zézayante: «Tu perdras les âmes des autres et la tienne… Peut-on faire cela?» Ensuite la voix se taisait et les spectres noirs paraissaient. Ces visions se montraient à lui indifféremment, que ses yeux fussent ouverts ou fermés. Quand il avait les yeux fermés, elles étaient plus nettes. Quand Stepan ouvrait les yeux, elles se confondaient avec la porte, les murs et, peu à peu, disparaissaient. Mais ensuite elles reparaissaient et s’avançaient vers lui de trois côtés en grimaçant et disant: «Finis, finis! On peut faire un nœud, on peut se brûler.» Et Stepan se mettait à trembler, à réciter les prières qu’il connaissait, l’Avé Maria et le Pater. Au commencement cela semblait le soulager. En récitant ses prières il commençait à se remémorer toute sa vie. Il se rappelait son père, sa mère, son village, le chien, Loup, son grand-père couché sur le poêle, les bancs sur lesquels, enfant, il se roulait. Ensuite il se rappelait les jeunes filles avec leurs chansons, les chevaux qu’on avait volés, et comment on avait rattrapé le voleur et comment il l’avait achevé d’un coup de pierre. Il se rappelait sa première détention, sa sortie de prison, puis le gros cabaretier, sa femme, le charretier, les enfants, et ensuite de nouveau c’était elle qui se présentait à son souvenir. Alors, saisi d’horreur, il laissait tomber de ses épaules sa capote, sautait à bas de sa planche et, comme une bête en cage, se mettait à marcher rapidement d’un bout à l’autre de sa cellule, faisant une brusque volte-face devant le mur humide, souillé. Et de nouveau il récitait ses prières. Mais les prières ne le soulageaient plus.

Par une longue soirée d’automne, pendant laquelle le vent sifflait et gémissait dans les tuyaux, après avoir marché à travers sa cellule, il s’assit sur sa planche, éprouvant la certitude qu’il n’y avait plus à lutter, que les visions noires étaient victorieuses et qu’il n’avait plus qu’à se soumettre à elles. Depuis longtemps il avait examiné attentivement la bouche de chaleur de son poêle. «Si l’on mettait autour une cordelette ou une bande d’étoffe, alors ça ne glisserait pas…» Mais il fallait faire cela adroitement. Et il se mit à l’œuvre. Pendant deux jours, avec l’enveloppe de la paillasse sur laquelle il couchait, il prépara des bandes. (Quand le surveillant entrait dans sa cellule il couvrait sa planche avec sa capote.) Il unissait des bandes par des nœuds et les mettait doubles afin qu’elles pussent soutenir son corps sans se rompre. Pendant qu’il faisait ces préparatifs, il ne souffrit pas. Quand tout fut prêt, il fit un nœud coulant, y passa son cou, puis grimpa sur sa couchette et se pendit. Mais à peine la langue commençait-elle à sortir que les bandes se rompirent et il tomba. Le surveillant accourut au bruit. On appela l’infirmier et on conduisit Stepan à l’hôpital. Le lendemain il était complètement rétabli; on le fit sortir de l’hôpital, mais au lieu de le remettre en cellule on le plaça dans la salle commune.

Dans cette salle il vécut avec les vingt prisonniers qui se trouvaient là, comme s’il eût été seul. Il ne regardait personne, ne parlait à personne, et continuait à être tourmenté. Ce qui lui était particulièrement pénible, c’est quand tous dormaient et que lui ne dormait pas, et, comme auparavant, la voyait et entendait sa voix, après quoi, de nouveau, paraissaient les visions noires, avec leurs yeux effrayants et qui l’irritaient.

De nouveau, comme auparavant, il récitait ses prières, mais, comme auparavant, les prières ne le soulageaient point. Une fois, après ses prières, elle lui apparut de nouveau. Alors il se mit à la prier, à prier son âme, pour qu’elle lui pardonnât, et quand, vers le matin, se laissant tomber sur sa paillasse, il s’endormit d’un profond sommeil, il la vit en rêve, avec son cou maigre, ridé, tranché. – «Eh bien, tu me pardonneras?» Elle le regardait de ses yeux doux, mais ne répondait rien. «Tu me pardonneras?» Il l’interrogea ainsi trois fois, sans qu’elle répondît, et il s’éveilla. À dater de ce moment il se sentit mieux. Il semblait en avoir pris le dessus. Il regardait autour de lui, et pour la première fois il commença à se rapprocher de ses compagnons et à causer avec eux.

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