Читать книгу Tous les Contes de Léon Tolstoi (151 Contes, fables et nouvelles) - León Tolstoi - Страница 113
III
ОглавлениеDans la salle où était enfermé Stepan se trouvait Vassili, arrêté de nouveau pour vol et qui était condamné à la déportation. Tchouieff, condamné à la déportation, s’y trouvait aussi. Vassili, tout le temps, chantait de sa belle voix, ou racontait aux camarades ses aventures. Tchouieff, lui, ou bien faisait un travail quelconque, raccommodait des habits ou du linge, ou bien lisait l’évangile et les psaumes.
Stepan ayant demandé à Tchouieff pourquoi il était déporté, il lui expliqua qu’on le déportait à cause de la vraie loi du Christ, parce que les popes, ces trompeurs de l’esprit, ne peuvent tolérer les hommes qui vivent d’après l’évangile et qui les dénoncent. Stepan lui demanda alors en quoi consistait la loi, et Tchouieff lui expliqua que la loi de l’évangile consistait en ceci: à ne pas prier les dieux fabriqués de la main des hommes, mais à adorer Dieu en esprit et en vérité. Et il lui raconta comment il avait appris cette vraie religion du tailleur boiteux, à l’occasion du partage de la terre.
— Eh bien! Qu’est-ce qu’il y aura pour les mauvaises actions? Demanda Stepan.
— Tout est dit dans l’évangile.
Et Tchouieff se mit à lire (Matthieu XXV, 31-46):
«Or quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire avec tous les saints anges, alors il s’assiéra sur le trône de sa gloire.
«Et toutes les nations seront assemblées devant lui; et il séparera les uns d’avec les autres, comme un berger sépare les brebis d’avec les boucs.
«Et il mettra les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche.
«Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa droite: Venez, vous qui êtes bénis de mon Père, possédez en héritage le royaume qui vous a été préparé dès la création du monde.
«Car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire; j’étais étranger, et vous m’avez recueilli;
«J’étais nu, et vous m’avez vêtu; j’étais malade, et vous m’avez visité; j’étais en prison, et vous m’êtes venus voir.
«Alors les justes lui répondront: Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu avoir faim, et que nous t’avons donné à manger; ou avoir soif, et que nous t’avons donné à boire?
«Et quand est-ce que nous t’avons vu étranger, et que nous t’avons recueilli; ou nu, et que nous t’avons vêtu?
«Ou quand est-ce que nous t’avons vu malade ou en prison, et que nous sommes venus te voir?
«Et le Roi répondant leur dira: Je vous dis en vérité, qu’en tant que vous avez fait ces choses à l’un de ces plus petits de mes frères, vous me les avez faites.
«Ensuite il dira à ceux qui seront à sa gauche: Retirez-vous de moi, maudits! Et allez dans le feu éternel, qui est préparé au diable et à ses anges;
«Car j’ai eu faim, et vous ne m’avez pas donné à manger; j’ai eu soif, et vous ne m’avez pas donné à boire;
«J’étais étranger, et vous ne m’avez pas recueilli; j’étais nu, et vous ne m’avez pas vêtu; j’étais malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité.
«Et ceux-là lui répondront aussi: Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu avoir faim ou soif, ou être étranger, ou nu, ou malade, ou en prison, et que nous ne t’avons point assisté?
«Et il leur répondra: Je vous dis en vérité, qu’en tant que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, vous ne me l’avez pas fait non plus.
«Et ceux-ci s’en iront aux peines éternelles; mais les justes s’en iront à la vie éternelle.»
Vassili, qui était assis par terre, près de Tchouieff, et écoutait la lecture, hocha approbativement sa belle tête.
— C’est juste! Dit-il résolument. Allez, maudits, dans les souffrances éternelles, vous qui n’avez nourri personne et n’avez fait que bâfrer. Il faut qu’il en soit ainsi. J’ai lu ça, dans Nicodème, dit-il, désirant se vanter de ce qu’il avait lu.
— Est-ce qu’il ne leur sera point pardonné? Demanda Stepan qui avait écouté en silence la lecture, en baissant sa tête chevelue.
— Attends. – Tais-toi, dit Tchouieff à Vassili qui ne s’arrêtait pas de dire que les riches n’ont pas nourri les pèlerins et ne l’ont pas visité en prison. – Attends, je t’en prie, répéta Tchouieff en feuilletant l’évangile. Quand il eut trouvé le passage qu’il cherchait, Tchouieff lissa la page avec sa grande et forte main blanchie par la prison, et lut (Luc XXIII, 32-43):
«On menait aussi deux autres hommes, qui étaient des malfaiteurs, pour les faire mourir avec lui.
«Et quand ils furent au lieu appelé Calvaire, ils le crucifièrent là, et les malfaiteurs, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche.
«Mais Jésus disait: Mon Père! Pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font. Puis, faisant le partage de ses vêtements, ils les jetèrent au sort.
«Le peuple se tenait là et regardait. Et les principaux se moquaient de lui avec le peuple, en disant: Il a sauvé les autres; qu’il se sauve lui-même, s’il est le Christ, l’élu de Dieu.
«Les soldats l’insultaient aussi, et, s’étant approchés, ils lui présentaient du vinaigre.
«Et ils lui disaient: Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même.
«Et il y avait cette inscription au-dessus de sa tête, en grec, en latin et en hébreu: Celui-ci est le roi des Juifs.
«L’un des malfaiteurs qui étaient crucifiés, l’outrageait aussi en disant: Si tu es le Christ, sauve-toi toi-même, et nous aussi.
«Mais l’autre, le reprenant, lui dit: Ne crains-tu point Dieu, puisque tu es condamné au même supplice?
«Et pour nous, nous le sommes avec justice, car nous souffrons ce que nos crimes méritent; mais celui-ci n’a fait aucun mal.
«Puis il disait à Jésus: Seigneur, souviens-toi de moi quand tu seras entré dans ton règne.
«Et Jésus lui dit: Je te dis en vérité, que tu seras avec moi, aujourd’hui, dans le paradis.»
Stepan n’avait rien dit. Il restait assis, pensif, comme s’il écoutait, mais déjà il n’entendait plus ce que lisait Tchouieff.
«Alors voilà en quoi consiste la vraie religion. Seuls seront sauvés ceux qui auront nourri les pauvres, visité les prisonniers; et ceux qui n’auront pas fait cela iront en enfer. Et cependant le brigand ne s’est repenti que sur la croix et il est allé tout de même en paradis.» Stepan ne voyait là aucune contradiction; au contraire, l’un confirmait l’autre. Les bons iront au paradis, les méchants en enfer: cela signifiait que tous doivent être bons. Christ à pardonné au brigand: cela signifiait que Christ était bon. Tout cela était tout nouveau pour Stepan. Il s’étonnait seulement que tout cela lui eût été caché jusqu’à présent. Et tout son temps libre il le passait avec Tchouieff, l’interrogeant et l’écoutant. Le sens général de toute la doctrine lui était révélé. Il consistait en ceci: que les hommes sont frères, qu’ils doivent s’aimer entre eux et avoir pitié les uns des autres, et qu’alors tout ira bien. Quand il écoutait Tchouieff, il saisissait comme quelque chose de connu, mais d’oublié, tout ce qui confirmait le sens général de cette doctrine, et négligeait ce qui ne la confirmait pas, attribuant cela à son manque de compréhension.
Et depuis ce temps Stepan devint un tout autre homme.