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DEUXIÈME PARTIE I

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COUCHÉ dans le fossé, Stepan voyait toujours devant lui le visage doux, maigre, effrayé de Marie Sémionovna et entendait le son de sa voix. «Peut-on faire cela?» lui disait-elle de sa voix particulière, zézayante. Et Stepan revivait tout ce qui s’était passé avec elle, et, saisi d’horreur, il fermait les yeux, secouait sa tête chevelue, pour en chasser toutes ces pensées et tous ces souvenirs. Pour un moment il se délivrait des souvenirs, mais à leur place parut d’abord un spectre noir, et après celui-là, d’autres spectres noirs, avec des yeux rouges, qui tous grimaçaient et lui disaient la même chose: Tu as fini avec elle, finis avec toi-même, autrement nous ne te donnerons pas de repos.

Il ouvrait les yeux et de nouveau il la voyait, et entendait sa voix. Il ressentit de la pitié pour elle et du dégoût et de l’horreur pour lui-même. De nouveau il fermait les yeux, et de nouveau se montraient les noires visions.

Le lendemain, vers le soir, il se leva et alla dans un débit. À peine eut-il la force de se traîner jusque-là. Il se mit à boire. Mais il avait beau boire, l’ivresse ne venait pas. Taciturne, il était assis devant la table et buvait un verre après l’autre.

Un officier de police vint à entrer dans le débit.

— Qui es-tu? Lui demanda-t-il.

— Je suis celui qui a tué tout le monde, hier, chez les Dobrotvoroff.

On le ligota, et après l’avoir gardé au poste, on le conduisit au chef-lieu. Le directeur de la prison, reconnaissant son ancien pensionnaire tapageur, devenu grand criminel, le reçut sévèrement.

— Prends garde de ne pas faire de tapage, chez moi! Râla le directeur de la prison en fronçant les sourcils et allongeant sa lèvre inférieure. Si je m’aperçois de la moindre des choses, je te ferai fouetter à mort! D’ici tu ne t’enfuiras pas!

— Pourquoi fuir? Dit Stepan en baissant les yeux. Je me suis livré moi-même.

— Allons, pas de discussion. Quand le chef te parle il faut regarder droit dans les yeux! S’écria le directeur, et il lui allongea un coup de poing dans la mâchoire.

À ce moment, devant Stepan, elle se dressa de nouveau et il entendit sa voix. Il n’écoutait pas ce que lui disait le directeur de la prison.

— Quoi? Fit-il se ressaisissant au contact du poing sur son visage.

— Eh bien! Va! Il n’y a pas à simuler.

Le directeur s’attendait à du tapage, à des coups montés avec d’autres prisonniers, à des tentatives d’évasion. Mais il n’était rien de tout cela. Quand le surveillant regardait par le judas de sa cellule, ou quand le directeur lui-même regardait, ils voyaient Stepan assis sur un sac rempli de paille, la tête appuyée sur sa main et marmottant quelque chose. Pendant les interrogatoires chez le juge d’instruction, il ne ressemblait pas non plus aux autres prisonniers. Il écoutait distraitement les questions, et quand il les comprenait, il y répondait avec tant de sincérité que le juge, habitué à lutter contre l’adresse et la ruse des criminels, éprouvait quelque chose de semblable à ce que l’on éprouve quand on lève le pied devant une marche qui n’existe pas.

Stepan racontait tous ses crimes, les sourcils froncés, les yeux fixés sur un seul point, du ton le plus naturel, d’un ton d’affaires, en tâchant de se rappeler tous les détails. «Je suis sorti pieds nus, disait Stepan racontant son premier assassinat; je me suis arrêté dans l’embrasure de la porte, et alors je l’ai frappé une fois. Il râlait, et aussitôt je me suis mis à frapper la femme, etc.»

Quand le procureur fit le tour des cellules de la prison, et, qu’arrivé à celle de Stepan, il lui demanda s’il n’avait pas à se plaindre de quelque chose et s’il n’avait besoin de rien, Stepan répondit qu’il n’avait besoin de rien et qu’on le traitait bien ici. Après avoir fait quelques pas dans le corridor puant, le procureur s’arrêta et demanda au directeur de la prison, qui l’accompagnait, comment se conduisait ce prisonnier.

— Je ne puis m’étonner assez, répondit le directeur, content que Stepan ait loué la façon dont on le traitait. – C’est le second mois qu’il est ici, et sa conduite est exemplaire. Seulement je crains qu’il ne mijote quelque chose. C’est un homme courageux et d’une force peu commune.

Tous les Contes de Léon Tolstoi (151 Contes, fables et nouvelles)

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