Читать книгу Tous les Contes de Léon Tolstoi (151 Contes, fables et nouvelles) - León Tolstoi - Страница 121
XI
ОглавлениеLise Éropkine continuait à vivre dans un état perpétuel d’enthousiasme. Plus elle avançait dans la voie de la vie chrétienne, qui se révélait à elle, plus elle acquérait la certitude que cette voie était la vraie et plus son âme était joyeuse.
Maintenant, deux buts lui tenaient à cœur: le premier, convertir Makhine, ou plutôt, comme elle se le disait, le ramener à sa bonne et belle nature. Elle l’aimait et, à la lumière de son amour, ce qu’il y avait de divin en l’âme de Makhine, et qui est commun à tous les hommes, lui était révélé; mais elle voyait en ce principe de vie commun à tous les hommes, la tendresse, l’élévation, la bonté, propres à lui seul. Son autre but était de cesser d’être riche. Elle voulait se dépouiller de ses biens pour éprouver Makhine, et ensuite, selon les paroles de l’évangile, elle voulait le faire pour elle, pour son âme.
Elle commença par distribuer ce qu’elle avait. Mais son père y fit obstacle, et, plus encore que son père, la foule des quémandeurs qui s’adressaient à elle personnellement ou par écrit. Alors elle résolut d’aller trouver un moine réputé pour la sainteté de sa vie, pour lui demander qu’il prenne son argent et agisse comme il jugerait bon. Ayant appris cela, le père se fâcha, et dans une explication violente avec elle, il la traita de folle, de détraquée, et lui déclara qu’il prendrait des mesures afin de défendre cette folle contre elle-même.
Le ton fâché, irrité, de son père se transmit à elle, et, avant d’avoir pu se ressaisir, elle se mit à pleurer méchamment et à lui dire beaucoup de choses blessantes, le traitant de despote et d’homme cupide.
Elle demanda pardon à son père. Il lui dit qu’il n’était point fâché, mais elle voyait qu’il était blessé et que, dans son âme, il ne lui pardonnait pas. Elle ne voulait pas raconter cela à Makhine. Sa sœur était jalouse parce que Makhine s’était complètement éloigné d’elle. De sorte qu’elle n’avait personne à qui confier ce qu’elle ressentait et devant qui elle pouvait exprimer ses regrets.
«Il faut se repentir devant Dieu», se dit-elle, et, comme on était en carême, elle résolut de faire ses dévotions, de dire tout à son confesseur et de lui demander un conseil sur la façon dont elle devait agir.
Non loin de la ville se trouvait le couvent dans lequel vivait le vieillard connu par la sainteté de sa vie, par ses sermons, ses prédictions, et les guérisons qu’on lui attribuait. Le vieillard avait reçu une lettre d’Eropkine, dans laquelle il le prévenait de la visite de sa fille, de son état d’excitation anormale, et exprimait l’assurance qu’il saurait lui montrer la vraie voie de la bonne vie chrétienne, moyenne, sans détruire les conditions existantes.
Le vieillard, fatigué des réceptions, reçut Lise et se mit à lui prêcher tranquillement la modération, la soumission aux conditions existantes et à ses parents. Lise se taisait, rougissait, se couvrait de sueur, et quand il eut terminé, les larmes aux yeux, elle commença, timidement d’abord, à lui faire observer que Christ a dit: Abandonne ton père, ta mère et suis-moi. Ensuite, s’animant de plus en plus, elle lui expliqua comment elle comprenait Christ. Le vieillard d’abord, avec un léger sourire, objecta par les phrases habituelles, mais ensuite il se tut, se mit à soupirer, répétant sans cesse: «Seigneur Dieu!»
— Eh bien, viens demain te confesser, dit-il, et, de ses mains ridées, il lui donna sa bénédiction.
Le lendemain elle se confessa, et il la laissa partir sans reprendre la conversation de la veille, mais en refusant de se charger de la distribution de ses biens.
La pureté, le dévouement absolu à la volonté de Dieu, l’ardeur de cette jeune fille avaient frappé le vieillard.
Depuis longtemps déjà il voulait renoncer au monde, mais le couvent exigeait de lui l’activité, car cette activité procurait des revenus au couvent. Et il consentait, bien qu’il sentît vaguement toute la fausseté de sa situation.
On le croyait saint, thaumaturge, et il était un homme faible, entraîné par les succès. Mais l’âme de cette jeune fille qui s’était révélée à lui, lui avait révélé la sienne. Il se rendit compte qu’il était loin de ce qu’il voulait être et de ce à quoi son cœur l’entraînait.
Peu après la visite de Lise, il s’enferma dans sa cellule et n’alla à l’église que trois semaines plus tard. Il écouta la messe, puis, après le service, fit un sermon dans lequel il se dénonçait, dénonçait les péchés du monde et l’appelait au repentir. Il prêchait tous les quinze jours, et à ses sermons accourait une foule de plus en plus grande. Sa gloire comme prédicateur se répandait de plus en plus. Il y avait dans ses sermons quelque chose de particulier, de hardi, de sincère; c’est pourquoi il avait une si grande influence sur les hommes.