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II
LA MOMIE PARLE.

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En attendant, l’honnête Wilhem Jacobus n’en peut plus. Le vin du Rhin et le vin de France se livrent dans son cerveau une bataille des plus terribles.

Le vin du Rhin l’emporte cependant: après avoir battu une charge formidable le long des parois du cerveau et fait rouler avec fracas les caissons d’une artillerie imaginaire, il brouilla tellement le peu de cervelle qui restait dans la tête de Wilhem que celui-ci, voyant tout tourner, se mit à tourner aussi.

Une minute après, les passants attardés pouvaient voir par la porte entre-bâillée le naturaliste-empailleur ronflant lourdement sur son fauteuil en velours d’Utrecht.

Pendant qu’il dort, je ne puis résister au plaisir de vous dire quel était le riche étranger dont j’ai parlé plus haut. Et d’abord, je dois m’excuser de vous avoir trompé. Cet étranger n’est nullement riche. C’est un pauvre diable d’industriel montrant dans les foires des figures de cire et des reliques historiques d’une authenticité douteuse. Comment s’y prit-il pour tromper si complètement trois personnages aussi défiants que Wilhem Jacobus, le directeur du cabinet anatomique de Rotterdam et maître Justin Oysel, membre de l’Académie des fouilles? Je l’ignore! Pourtant, je puis déclarer que le directeur du cabinet anatomique et maître Justin Oysel étaient des savants de premier ordre, ainsi que cela est constaté dans les registres de la Société libre des savants universels, fondée en1727par Guillaume Van Knippens, dont l’illustre nom n’est malheureusement pas assez connu de nos jours.

Le montreur de figures de cire n’était pas, je dois le dire, ce qu’on peut appeler un escroc. C’était un homme qui avait besoin d’argent et de beaucoup d’argent. La preuve, c’est que le soir même, après avoir mis son argent en sûreté, il eut comme un regain d’honnêteté et il voulut, pour l’acquit de sa conscience, faire une dernière visite à Wilhem, afin de l’avertir que si,–par hasard,–il se trouvait des incrédules concernant l’authenticité de la momie, le marché conclu n’en serait pas moins maintenu, l’opération ayant été faite de bonne foi de part et d’autre.

Il se dirigea donc du côté de la demeure de Wilhem Jacobus.

Quand il fut arrivé, voyant la porte entr’ouverte, il la poussa légèrement et aperçut l’honnête israélite dormant tranquillement.

Alors il lui vint une idée qu’il mit de suite à exécution. Vous la devinerez, si je vous raconte l’étrange rêve que faisait en ce moment Wilhem Jacobus.

Cléopâtre déroulait les unes après les autres les bandelettes qui entouraient ses membres; elle enlevait les aromates qui la parfumaient et, prenant une peau de tigre qui se trouvait à ses pieds, elle s’en revêtissait.

La lampe jetait sur elle une lueur livide, à la clarté de laquelle le vieux juif vit la momie étendre un bras blanc comme de l’albâtre et entendit ces étranges paroles:

–«Je suis Cléopâtre, la reine d’Égypte; j’ai froid dans ton pays, Wilhem, j’ai froid et j’ai honte! Est-ce la place d’une reine que cette boutique ignoble? Donne-moi la liberté!»

Le vieux Jacobus fut très étonné d’entendre ainsi parler sa momie, mais il fut encore bien plus étonné de l’entendre lui demander la liberté.

–La liberté! Pourquoi faire?

La momie reprit:

–«Tu ne réponds pas! Je comprends, tu es juif, tu aimes l’argent, tu veux un marché. Eh bien soit! Je vais t’acheter ma liberté. Écoute donc: Je m’engage pendant un mois à revenir chez toi tous les soirs. Vends-moi à qui tu voudras, je ne serai qu’à toi. Ainsi, tu peux compter les nombreux bénéfices que je te procurerai. Tu peux me vendre trente fois! et trente fois toucher le prix de vente. A cela, je mets une seule condition: lorsque le mois sera expiré, tu me conduiras au bord de la Meuse le soir, à minuit, et tu t’enfuiras sans regarder derrière toi.»

Le juif laissa tomber sa tête alourdie sur sa poitrine.

La momie prit ce geste pour un acquiescement.

–«Allons, continua-t-elle, viens signer ce pacte: pose tes lèvres sur mon front et tout sera convenu!»

Le juif se leva en chancelant pour faire ce qui lui était commandé; mais à ce moment le vent souffla sa lampe, sa porte s’entr’ouvrit, l’air frais lui frappa la figure, il se réveilla.

Il regarda la momie, à la lueur pâle du petit jour; la momie était à sa place.

Il ferma sa porte à double tour, ouvrit la boîte égyptienne et fut rassuré en voyant dedans sa Cléopâtre couverte de bandelettes et enduite d’aromates.

–Et si je n’avais pas rêvé? pensa-t-il.

Quant à notre montreur de figures de cire, il détalait le soir même du côté de la Haye, satisfait de sa ruse qui, en excitant la cupidité du juif, lui donnait le temps d’échapper à d’inévitables représailles.

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