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PRÉFACE

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Voici un livre qui ne s’attendait certes pas à voir le jour, et s’il paraît aujourd’hui la cause en est bien invraisemblable.

Aussi je vais vous la raconter.

L’hiver dernier, je logeais à Paris, et la fenêtre de ma chambre à coucher donnait sur le boulevard des Batignolles, à deux pas de la Place Clichy, de la statue du général Moncey, du restaurant Wepler, où l’on fait des noces, et du poste de police où l’on vient les cimenter. Il y a là, sous ma fenêtre, une station de voitures dont les cochers sont bruyants. Au seuil de ma maison un café-brasserie reste ouvert jusqu’à deux heures et les marchands de vins voisins ne se hâtent pas non plus de fermer leurs volets, car ils donnent asile à tous les noctambules avinés qui regagnent d’un pied plus ou moins sûr leur domicile éloigné.

Il était trois heures du matin, je dormais tout juste, quand je fus subitement réveillé par des cris:–Arrêtez-le! arrêtez-le!– J’entendis un bruit de pas de gens qui couraient, puis deux coups de revolver, puis le boulevard reprit son calme habituel à cette heure avancée de la nuit. J’ouvris ma fenêtre, mes yeux fouillèrent l’obscurité, je ne vis rien. Cafés et marchands de vins étaient fermés. Il ne restait plus que deux fiacres à la station. Les cochers dormaient dans l’intérieur de leurs voitures. Sur le trottoir, un groupe d’hommes et de femmes s’avançait paisiblement. C’étaient des gens qui semblaient revenir d’une noce; j’entendais des fragments de conservation:– Elle a eu de la chance!–Pour sûr!– Puis les femmes riaient: on les lutinait; j’entendis même cette exclamation:–

Non! finis! Jules!

Paris était tranquille. Paris est bien gardé.

Et certainement oui, Paris est bien gardé.

La preuve en est qu’il est rempli de sergents de ville que les malfaiteurs exterminent le plus qu’ils peuvent. Évidemment s’il n’y avait pas tant de sergents de ville dans les rues on ne les tuerait pas.

Le sergent de ville, lui, ne tue pas les malfaiteurs. Quand il peut s’en emparer, pendant qu’on le larde de coups de couteau, il tire un coup de revolver en l’air, pour ne pas abîmer sa prise, cela fait venir des camarades qu’on surine aussi. Aussi les agents de police diminuent dans la même proportion que les malfaiteurs augmentent. Ce qui n’empêche pas qu’on ne peut pas se dissimuler que Paris ne soit bien gardé.

C’est égal! si bien gardé qu’on soit, il est très désagréable d’être réveillé toutes les nuits par des coups de revolver et des cris de: A l’assassin! Arrêtez-le!

Je me recouchai, mais le sommeil prompt à chasser est long à revenir. J’eus tous les peines du monde à retrouver l’engourdissement de ma pensée. Au contraire, les idées, incomplètes, il est vrai, mais multiples, se livrèrent bataille dans mon cerveau. Je finis cependant par en capter une et lui donner une suite. Je me disais que ce sommeil troublé n’existerait plus si j’habitais la campagne. J’aurais une petite maison entourée d’un petit jardin. Oh! je tiendrais au jardin! J’y cultiverais des fleurs, des rosiers, du réséda, des reines marguerites, etc. Je voudrais aussi avoir un petit potager. Certainement, je n’aurais point de choux, de poireaux, d’oignons ni de ces gros légumes encombrants, comme les artichauts, les choux-fleurs ou les melons; mais j’aurais des laitues, des radis, des radis surtout, des petits pois; puis du thym, de l’estragon, du cerfeuil, du persil et de la pimprenelle. Ce à quoi je tiendrais surtout, ce serait aux arbres fruitiers. Le fruit qu’on cueille à l’arbre est meilleur. J’aurais un abricotier, des cerisiers et des poiriers en espalier; puis des vignes pour garnir les murs! J’inventerais des épouvantails pour chasser les oiseaux.

J’aurais un chien!

Oui certes, j’aurais un chien! Celui-là, à l’approche des malfaiteurs, ne tirerait pas de coups de revolver, mais ses longs crocs les tiendraient en respect. Au moins je serais en sûreté.

Pourquoi n’aurai-je pas des poules, à cause des œufs? Et des pigeons?

J’aurais même une tortue: on dit que ça mange les insectes: il est vrai que ça ne dédaigne pas les salades, mais j’aurais l’œil.

Tous les matins et tous les soirs j’arroserais mon jardin; car j’aurais une concession d’eau. J’achèterais des grands tuyaux, avec une lance, et un tourniquet pour entretenir la fraicheur dans le gazon! J’aurais encore.

Ici le sommeil me prit, et mes projets champêtres se fondirent dans un rêve.

Maisle lendemain, l’idée qui m’avait possédé toute la nuit me reprit au réveil.

Huit jours durant je ne rêvai que de salades, de poiriers et de tortue. Au fait! Pourquoi ce rêve ne deviendrait-il pas une réalité?–Je me mis en campagne et, comme tant d’autres ont trouvé, je trouvai aussi ma petite maison désirée, avec le jardinet, les arbres fruitiers, le gazon et la concession d’eau.

Ah! ce ne fut pas long! je signai un bail d’un côté et donnai congé de l’autre. Trois mois après j’étais devenu un rural!

Le seul ennui de cette transformation fut le déménagement. C’est que, lorsqu’on est resté quatorze ans dans un appartement, la multiplicité de choses qu’on y a entassées est incroyable. Ce désordre de l’ordre est curieux. On retrouve tout à coup des objets qu’on avait si précieusement serrés qu’on ne pouvait plus mettre la main dessus quand on en avait besoin.

Or, en fouillant ainsi dans les armoires, je dénichai de vieux cartons oubliés remplis de paperasses qui attirèrent mon attention. Il y avait là dedans des articles, des nouvelles, des contes, des chroniques parus dans différents journaux et à diverses époques. Les uns remontaient à vingt ans et plus.

Voyons donc ce que je faisais à cette époque? Et je me mis à relire.

Je ne veux pas vous raconter tous les souvenirs que cette lecture vint réveiller!

Je revécus ma vie, je me rappelai les commencements, les hésitations, les tâtonnements, les déceptions! Pourquoi tout cela, qui m’avait coûté tant de peines, disparaîtrait-il? Il y avait bien quelque chose de bon? Ne fût-ce qu’un peu de jeunesse, qu’un peu de gaîté et qu’un peu de sentiment. Les lecteurs d’autrefois n’avaient pas trouvé cela trop mauvais; ceux d’aujourd’hui seraient-ils plus exigeants?

Risquons-nous! Et me voilà ramassant toutes ces miettes de pain perdues de ma jeunesse, dont je fais un choix qui peut-être aurait dû être plus sévère.

Telle est, mon cher lecteur, l’origine de ce livre.

Ainsi, si je n’avais point logé sur le boulevard des Batignolles, si des malfaiteurs ne s’étaient pas laissé pincer par des agents de police qui ont tiré des coups de revolver, si je ne m’étais point réveillé, si je n’avais pas eu de la peine à me rendormir, si j’avais songé à tout autre chose qu’au calme de la campagne qui n’est pas gardée, en opposition au tumulte de Paris qui l’est trop bien, je n’aurais point eu l’idée de déménager et par conséquent j’aurais laissé à tout jamais dans mes cartons ces élucubrations de ma jeunesse.

Si donc ce livre vous ennuie, lecteur, prenez-vous-en aux sergents de ville, moi je m’en lave les mains.

L. LEMERCIER DE NEUVILLE.

Contes abracadabrants

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