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VI
GRANDEUR ET DÉCADENCE DE CLÉOPATRE.

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Table des matières

Le lendemain, la ville de Rotterdam était dans une grande agitation: c’était jour de marché.

Le cabaret de la POMME D’AMOUR était situé sur le port; c’était un établissement plus fréquenté par les étudiants que par les marins. On s’étonna ce jour-là d’en voir les portes fermées, quoiqu’on entendît un grand bruit dans l’intérieur.

Cela attirait la foule qui faisait mille suppositions. Enfin, sur le coup de dix heures du matin, les portes s’ouvrirent et l’on vit sortir l’étrange cortège que nous allons décrire.

C’était d’abord une musique bizarre composée de trombones et de tambours, puis venaient des fifres, puis des étudiants en nombre immense, revêtus des costumes les plus grotesques.

Enfin sur une espèce de charrette, trainée par un cheval caparaçonné, se dressait la fameuse momie de Cléopâtre, entourée de feuillages nouveaux.

Les étudiants qui, à toutes les farces qu’ils faisaient, répondaient régulièrement: «Nous sommes dans la ville d’Érasme, lequel a fait l’Éloge de la folie», avaient le haut du pavé, et on tolérait leurs excentricités.

Celle-ci cependant dépassait toutes les autres. Le carnaval était passé depuis longtemps.

La veille au soir, en rôdant dans la ville, pour couper les sonnettes et décrocher les écriteaux, ils avaient trouvé la momie déposée par Jacobus au pied de la tourelle et ils avaient passé la nuit à organiser cette mascarade.

Le peuple se mit à rire et suivit le cortège. Les autorités faillirent se fâcher.

Les gamins crurent que la momie était un saint et ils chantaient sur l’air d’Alleluia:

«Oh! qu’il est laid! Oh! qu’il est laid!»

L’air et les paroles eurent beaucoup de succès.

Quand on passa dans le quartier des Juifs, Wilhem Jacobus, reconnaissant sa momie, suivit le cortège afin de ne pas la perdre de vue, et grommela tout bas une foule de récriminations.

–Grand Dieu! disait-il, quelle profanation! ma belle! ma précieuse momie! la trouver laide! Pourvu qu’ils ne la jettent pas à l’eau! ou qu’ils ne la brûlent pas! Les coquins! les gredins!

Cependant, maître Justin Oysel était allé faire sa déclaration au magistrat. Il raconta toutes les circonstances du vol: la visite de Wilhem Jacobus, la jeune fille substituée à la momie et la disparition du petit clerc et de la jeune fille. Tout cela tenait du merveilleux, et le magistrat n’y comprenant rien le considéra comme un fou, et ne lui répondit pas.

L’antiquaire s’en retournait donc chez lui triste et pensif, lorsqu’il rencontra le cortège.

Ce fut un cri de rage et de joie en même temps que poussa maître Justin Oysel en apercevant sa momie sur ce trône improvisé.

Puis tout à coup, distinguant Wilhem Jacobus au milieu de la foule, il courut à lui:

–Qu’est-ce que cela veut dire, vieux juif? lui cria-t-il; comment se fait-il que ma momie se promène ainsi dans les rues de Rotterdam?

–Votre momie? la mienne!

–Mais, brigand, vous me l’avez vendue!

–Eh bien! je la reprends!

–Je ne veux pas! elle est à moi!

–Non, à moi!

–A moi!

–A moi!

Ce’débat amusait les assistants; aussi deux gros gaillards, deux calfats, je crois, imaginèrent de les hisser sur le trône de feuillage a cote de leur momie.

On les vit alors s’arracher la momie à qui mieux mieux; la dispute s’échauffait, la foule riait et chantait maintenant:

Oh! qu’ils sont laids!

. Le comique était à son comble! Bientôt les bandelettes de la momie se déroulèrent. les aromates tombèrent en poudre, et les antagonistes enragés, aux rires effrénés de tout le cortège, virent, au lieu de cadavre, un mannequin de paille qui les couvrit de poussière.

Pendant ce temps, dans le pré, au bord de la Meuse, Marthe répétait de mille façons à son bien-aimé petit clerc:

–0mon André! qu’il fait bon de s’aimer!

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