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IX

Georges était resté silencieux; mais il n’avait eu que trop le temps de réfléchir et d’étudier l’étrange personnage qui s’escrimait sous ses yeux. Il avait pris secrètement ses résolutions.

A peine était-il remonté dans le cabriolet du docteur qu’il lui dit:

–Chez l’homme d’affaires.

–Mais vous venez de le voir.

–Sans doute; et c’est pour cela que l’idée me vient de le revoir encore, et peut-être d’en tirer quelque profit par l’inattendu de notre visite.

En quelques minutes, le cabriolet atteint la porte de M. Râle. M. Râle fait dire qu’il est absent de son cabinet; c’est l’heure de son dîner. Mais Georges déclare qu’il a besoin de le voir et qu’il attendra.

Après quelques instants, M. Râle se décide à paraître.

–Vous êtes venu donner tout à l’heure un conseil grave, lui dit Georges, d’un ton net et très ferme. Pour le donner, vous avez dû y être amené par l’examen des pièces qui sont, je le sais, entre vos mains.

Le jeune homme n’en savait rien, mais il plaidait le faux pour connaître le vrai. Il ajouta, sans laisser à l’homme d’affaires le temps de trouver un argument:

–Puisque l’intérêt des enfants de Trévanon vous touche et vous guide dans cette affaire, je veux vous aider à les sauver. Examinons ces pièces ensemble.

Machinalement M. Râle rentra dans son cabinet, suivi de Georges et de M. Breuil.

C’était un vrai bazar. Sur les tables, une accumulation de papiers, de journaux, de livres, offrait le tableau du désordre le moins artistique qui fût au monde. La poussière qui recouvrait meubles et livres indiquait, non seulement le peu de propreté de la maison, mais encore les habitudes médiocres d’ordre et d’activité de M. Râle. Il balbutia qu’il n’avait rien, qu’on ne trouverait rien chez lui. Mais il crut pouvoir sans inconvénient sortir une liasse de papiers d’une armoire.

Rien, dit Georges, qui indiquait d’un doigt instinctivement impérieux d’autres papiers, portant le nom des Trévanon, qu’il apercevait sur les rayons. Et ceci?… et cela? Et sa main tendue récoltait les papiers qu’au fur et à mesure M. Râle y déposait avec moins d’empressement.

Tout àcoup Georges surprit un regard inquiet de l’homme d’affaires se dirigeant vers un coin obscur de la salle. Il s’avança de ce côté et s’empara d’un livre à couverture de parchemin aux armes des Trévanon.

–C’est sans importance. des comptes. j’ai examiné cela, dit M. Râle.

–Permettez néanmoins que j’y jette un coup d’œil.

Et Georges ouvrit le registre.

Je ne sais quel pressentiment de la nouvelle situation qui allait lui être faite, paralysait les protestations incohérentes de M. Râle.

Il essaya de dire que le dîner était servi, que Mme Râle l’attendait dans la pièce voisine devant son potage qui se refroidissait. ce fut en vain. Georges se moquait du dîner, des impatiences de l’homme d’affaires, des irritations probables de Mme Râle. Il avait pénétré dans le secret du pseudo-notaire et il en voulait sortir avec armes et bagages.

–Tenez, dit-il tout à coup, confiez-moi tout cela, monsieur Râle, je veux le parcourir et joindre mes lumières aux vôtres.

–Comment! vous soupçonnez que je n’ai pas fait l’utile. mon dévouement.

–Votre dévouement n’est pas en question, reprit Georges, confiez-moi ces papiers.

–Non, dit alors M. Râle, presque furieux, vous abusez.

Il était devenu blême. Le docteur, fort embarrassé, allait balbutier une maladroite supplication, lorsque Georges prit le ton bref de l’homme qui exige.

–Je les réclame, ces papiers, j’en ai le droit.

–Vous êtes étranger, je le sais, monsieur de la Jarnage, vous ne pouvez être l’avocat des enfants.

–Qui vous parle d’avocat, monsieur Râle? si je suis étranger, je puis au moins donner des conseils, et je les donnerai, j’en ai le droit, je vous le répète.

–Quel droit avez-vous dans cette affaire, jeune homme? dit en grimaçant de rage M. Râle.

–Voici l’acte qui l’établit, c’est la volonté de M. de Trévanon.

Et il exhiba aux regards surpris et pleins de colère de son interlocuteur la procuration qu’il portait sur lui.

–Je nie la force de cette pièce, M. de Trévanon est malade.

–Il était lucide, et l’a faite en pleine possession de ses facultés.

–J’attaquerai.

–Attaquez, mais livrez les papiers; une plus longue résistance de la part du défenseur des enfants que je protège moi-même vous exposerait à d’inqualifiables soupçons.

M. Râle regarda Georges; mais l’œil franc et déterminé du jeune homme l’embarrassa. La ruse était enfin désarmée par l’honnêteté. M. Râle livra tout.

Mme Râle, qui écoutait derrière les cloisons disjointes, ouvrit la porte tout à coup. Elle essaya de dire que son mari se compromettait, qu’il fallait attendre, examiner. Mais c’était peine perdue. Elle récrimina, se fâcha, eut des mouvements de colère, rien ne fit changer la détermination de Georges; et bientôt le docteur, qui approuvait le jeune homme, l’aida à transporter les papiers dans sa voiture.

Comme une bête fauve matée, à laquelle le dompteur arrache sa proie, l’homme d’affaires dessaisi rugissait intérieurement. On eût dit que l’âme de M. Râle venait d’entrer dans le coffre du vieux cabriolet.

Nos Américains (épisodes de la guerre de sécession)

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