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IV

MM. de Pilter et de la Jarnage arrivèrent le soir même. Ils ne purent s’empêcher d’être effrayés du changement survenu dans les traits de Mme de la Jarnage. Ils trouvèrent Madeleine encore tout épouvantée d’un long évanouissement qu’avait subi sa mère. Flavia qui se tenait cachée derrière la porte de la chambre de sa maîtresse, cherchait à rencontrer le regard de M. de Pilter. Tous deux, dans un coup d’œil, se communiquèrent leurs mutuelles appréhensions.

La lettre suivante, écrite par Madeleine à la supérieure de la Visitation, quinze jours après ces événements, rendra mieux compte, que nous ne saurions le faire, du fatal dénouement qui les suivit.

«Ma Révérende Mère,

«Georges et moi, nous sommes orphelins! C’est dans la chambre même d’où l’âme de ma tendre mère s’est envolée pour le ciel, que je vous trace ces lignes. En revoyant par la pensée ce visage calme, ces lèvres souriantes d’espérance au contact du crucifix, je me demande ce que Dieu veut de nous, en nous laissant sur la terre aux prises avec la douleur. Je ne sais plus vivre, ni pourquoi vivre. mon cœur bat, ma main tremble. et je me demande si je ne suis pas sous l’empire d’un affreux rêve. Et tout est vrai!

«Il y a quinze jours nous étions près d’elle. Ses baisers devinrent plus tendres, sa voix plus émue. J’entends encore les conseils que ses lèvres murmuraient au milieu de nos sanglots, conseils dont chaque parole transperçait nos cœurs.

«–Mes enfants, je pars. je le sens. «je m’en vais à Dieu. Je vais retrouver près «de Lui votre bon père. Ah! votre tendresse m’était bien douce! c’est pour vous, pour vous seuls, que j’avais trouvé le courage de prolonger ma vie brisée!… Dieu m’a soutenue; qu’il soit votre force comme il a été l’appui de la veuve et de la mère! Reportez sur votre oncle toute votre affection et vos soins. Adoucissez la cruelle épreuve qui pèse sur sa vie. Il sera votre meilleur conseil, vous retrouverez toute otre mère dans. l’âme de son frère.»

«Puis se tournant vers notre nourrice qui émissait à ses pieds:

«–Bonne et dévouée Flavia, cœur si doux à mon malheur, prends courage. Mes enfants t’aimeront comme je t’ai aimée. Ils te garderont toujours à leur foyer. S’ils sont malades, tu les soigneras en souvenir de moi. L’heure de l’émancipation n’est pas encore venue, mais tu es libre. Ton tendre dévouement est le seul lien qui t’attache désormais à nous tous.

«Aimez-la bien, mes chers amis. Dieu vous récompensera si vous répondez à sa fidélité par une affectueuse reconnaissance. Qui sait? Flavia peut être votre providence un jour!

«Gardez un pieux souvenir de notre patrie; c’était le pays de votre père, j’y fus longtemps heureuse! J’espère que vous y retournerez quelque jour, vous y avez encore des parents, des amis; leur affection vous sera un soutien; conservez toute votre amitié à ceux qui vous ont aimés!» «Une petite toux sèche empêchait souvent les mots d’arriver aux lèvres de ma mère; mais, comme le voyageur que les flots vont emporter, elle se hâtait de jeter, aux êtres chéris qui l’entouraient sur le rivage, les derniers adieux!

«–Oh! non, mère, nous ne les oublierons pas, ces paroles parties de ton cœur.

«–Enfants, là-haut, là-haut, votre père et moi nous vous protégerons. Toujours la main dans la main, que votre tendresse réciproque vous remplace à tous deux les affections qui vous manquent!… Pauvres enfants!»

«Et ses yeux se fixaient sur nous avec amour. Puis, sa main, son regard, allant de son frère à nous, et de nous à son frère, il y eut entre ma mère et mon oncle un langage muet que je n’oublierai jamais. Leurs âmes s’entendaient et se fondaient dans un sentiment unique. Et quand l’oncle Charles nous eut pris dans ses bras et embrassés avec effusion, ma pauvre mère mourante eut pour ¡ lui un sourire ineffable qui rappelait le plus beau de nos jours! Tous les trois nous nous précipitâmes à genoux, et là, embrassant ses mains, nous cherchions dans la tendresse de son regard le. courage qui nous échappait. Nos respirations restaient suspendues au souffle qui agitait sa poitrine et aux mouvements de son cœur qui se précipitaient. Notre bonne mère comprit, sans doute, que notre anxiété n’était pas vaine, car, soulevant sa main amaigrie, elle nous confondit dans une bénédiction.

«Quels moments, ma Révérende Mère! Dieu oubliait-il donc que ma mère était tout pour nous!

«Notre nourrice, depuis le commencement de cette scène déchirante, s’était accroupie au pied du lit. Elle avait jeté sur sa tête son tablier de toile et sanglotait: l’expansion de sa douleur était aussi vive que l’avait été son dévouement.

«Le curé de Montmorency, que nous commençions à connaître et qui vénérait ma mère, accourut la consoler à notre appel. Tandis qu’il l’entretenait tout bas, la sérénité du visage de ma mère nous témoignait de la douceur et des forces que les paroles du prêtre lui apportaient. Un grand silence se fit, l’homme de Dieu lui-même n’osait plus parler. Le front de ma mère pâlissait doucement, mais je n’eus plus la force de suivre son regard qui se voilait. Je voulais crier au secours, la voix me manqua.

«Il me sembla que je mourais avec ma mère. Je ne voyais, je n’entendais plus rien.

«Quand mes yeux se rouvrirent, j’étais assise dans un grand fauteuil, tout près de notre mère bien-aimée, la tête appuyée sur son lit, les yeux tournés vers les siens qui, à demi fermés et voilés, étaient fixés sur le Christ qu’on avait placé sur sa poitrine.

«–Mère, tu dors, m’écriai-je, tu «dors?

«Et le prêtre, me prenant la main, me répondit:

«–Oui, mon enfant; mais voyez le ciel, «elle se réveille là-haut!

«Je ne compris pas. Il m’a fallu sentir le froid de ses doigts, le froid de son front, mettre la main sur son cœur et trouver qu’il ne battait plus; il m’a fallu voir Georges qui se livrait à toutes les marques du désespoir, sans que ma mère le calmât, voir Flavia embrasser avec amour les pieds de sa maîtresse qu’elle couvrit de ses pleurs, sans que ma mère la regardât avec bonté; il m’a fallu me sentir étreindre dans les bras de mon oncle, qui nous serra, Georges et moi, sur sa poitrine avec toute l’effusion d’un père, pour comprendre que la mort était entrée chez nous. Elle y est venue prendre ce que nous avions de meilleur! Elle a emporté notre bonheur tout entier. Hélas! pourquoi nous a-t-elle laissés?…

«Ma Révérendé Mère, je suis anéantie. Je ne croyais pas pouvoir vous dire tout cela!

«J’aurais voulu que la terre recouvrît mes cendres en même temps que les siennes!… Mais une force invisible me retenait; cette force, c’est le devoir prescrit par ma mère!… Georges, sans moi! Pauvre Georges, que deviendrais-tu?… Mon Dieu, soutenez-nous; donnez-nous la force d’être toujours dignes de Celle qui nous attend dans votre ciel!

«Qu’aux pieds de la Mère des douleurs, mes chères compagnes n’oublient pas les pauvres orphelins, et que Dieu les préserve d’un malheur semblable au nôtre!

«Madeleine DE LA JARNAGE.»

Nos Américains (épisodes de la guerre de sécession)

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