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VII

Georges questionnait le docteur sur la visite qu’ils allaient faire, sur les billets dont il lui avait parlé et ne s’apercevait pas de la route. Mais quel ne fut pas son étonnement lorsque, faisant tourner bride à sa bête, M. Breuil la dirigea droit à la grille d’un parc que le jeune homme reconnut aussitôt.

Cette porte s’était ouverte déjà devant lui. C’était la propriété qui avait tant ému sa mère. C’était Summer-Cottage en France. C’était là que sa mère était venue respirer l’air pour la dernière fois!

Les émotions de Mme de la Jarnage passèrent dans le cœur de son fils, il eut peine à retenir ses larmes. Il y a des souvenirs qui vous déchirent, mais auxquels on s’attache, et la Villa du Rivage, comme Mme de la Jarnage et ses enfants avaient baptisé cette habitation, fit repasser au cœur de l’orphelin tant de sentiments poignants et de douces pensées, que les battements de sa poitrine se précipitèrent et entravèrent sa marche lorsqu’il voulut mettre pied à terre. Le docteur s’en aperçut.

–Qu’avez-vous? mon ami, lui dit-il.

–Ma mère est venue ici! Ce fut sa dernière sortie!

–Vous connaissez donc les de Trévanon?

–Nous les avons vus une fois, répondit Georges, mais j’ignorais leurs noms.

M. Breuil ne pouvait deviner qu’une partie des impressions qui se succédaient dans le cœur de Georges. Il le comprit cependant et lui serra la main. L’émotion de son jeune ami, en pénétrant dans cette propriété, lui fit d’ailleurs concevoir un espoir nouveau, en faveur de l’affaire pour laquelle il l’y avait entraîné.

Ils gravirent les marches du perron, et, après avoir traversé un salon où les vieilles tapisseries, les vases étrusques, les coupes de Sèvres, les vieux bronzes, les meubles anciens et les meubles dorés plus modernes attestaient que toutes les époques avaient contribué à son confortable et à sa luxueuse ornementation, M. Breuil souleva une lourde portière en tapisserie, poussa une porte et introduisit Georges dans une grande pièce, dont l’aspect sévère indiquait de prime abord la destination.

C’était tout à la fois la grande salle de travail et de réunion de la famille et le cabinet de M. de Trévanon.

Sur deux côtés de cette pièce, d’immenses bibliothèques supportaient des livres symétriquement rangés, d’où le vieil oncle, avant son attaque, attirait à lui, sans fatigue et selon le courant de ses pensées, des compagnons graves ou distrayants.

Une immense cheminée, dont les enjolivements en pierre sculptée montaient jusqu’aux lambris, formait le troisième côté; en face, à l’autre extrémité, entourée d’un cadre aux arabesques d’or, brunies par le temps et d’un travail ancien, se détachait en traits fermes et lumineux la tête d’un vieillard. Energique et doux, il semblait présider au travail des générations qui étaient venues successivement chercher l’inspiration dans cette calme enceinte. C’était le portrait d’un grand aïeul des de Trévanon. Des armes appendues de chaque côté indiquaient que ce chef de la famille avait conquis l’honneur à son foyer, et à ses fils, un nom glorieux, en apportant à son pays le tribut du sang.

Des chaises, en bois sculpté, du style d’Henri IV, et la longue table carrée, aux pieds tors, de la même époque, complétaient l’ameublement.

Près de cette table, un vieillard était, en ce moment, étendu dans un large fauteuil, la tête appuyée sur des oreillers. Ecrasé et comme ahuri, il rendit machinalement le salut que lui firent le docteur et le jeune homme; puis, son regard alla s’arrêter, moitié inquiet, moitié interrogateur, sur une jeune fille dont la jeunesse et la grâce semblaient personnifier le présent avec toutes ses espérances, dans cette salle remplie de tous les souvenirs du temps passé.

La nature avait été prodigue de ses faveurs à l’égard de Cécile de Trévanon. Des traits fins, une taille élancée, un teint qui fait penser à la rose lorsqu’elle entr’ouvre ses pétales sous les premiers rayons de l’aurore, une chevelure blonde et soyeuse qui descend en longs anneaux sur les épaules, un front où se lisent à la fois l’intelligence et la douceur, un œil bleu plein de sérénité et de ce charme d’expression qui reflète les chastetés ineffables de l’âme: telle est l’apparition ravissante qui vint frapper les regards de Georges, Ajoutez à tant de grâces naturelles l’attrait que nous inspire la bonté associée à la beauté, et dites-vous qu’elle dut-être l’expression secrète du jeune homme en voyant cet ange consolateur, cette petite sœur de Charité, attentive aux moindres désirs du vieillard, et se prêtant à tout ce qui pouvait le soulager dans sa triste situation. L’impression de cette vision chez Georges fut instantanée, mais profonde. Elle avait duré le temps d’en garder l’éternelle photographie dans le cœur. Le docteur l’en ayant détourné, en le présentant à M. de Trévanon, toute son attention se reporta dès lors vers le but de sa visite.

Une idée fixe semblait absorber le vieillard, dont la main tremblante et amaigrie retournait anxieusement des papiers d’affaires qui se trouvaient sur la table. Cécile les approchait, et lui en facilitait l’examen. Puis, se tournant du côté du docteur:

–Ce pauvre oncle ne fait plus que cela, il est si préoccupé!

A la prière du médecin et sur la douce invitation de Cécile, Georges prend ces papiers. Son œil examine avec attention ces feuilles éparses, il y cherche quelques éclaircissements à la situation que M. Breuil essaie de lui expliquer. Mais rien, dans ce qu’il voit, ne peut lui faire deviner l’énigme.

Le vieillard, au premier moment, parut surpris de cet examen attentif de l’étranger; mais il reprit un peu de calme en entendant M. Breuil lui dire:

–M. de la Jarnage est très au fait de ces sortes d’affaires, c’est la Providence qui nous l’envoie.

Un sourire maladif, mais bon, vint effleurer les lèvres du malade, et un signe de tête approbatif témoigna de la joie que lui causait cette révélation. Il sembla même que ces mots avaient fait vibrer les cordes endormies de son intelligence, car tendant la main vers Georges:

–Vous les sauverez, monsieur, dit-il vous les sauverez, n’est-ce pas?

Puis, en s’attachant sur Cécile, ses yeux atones se ralumèrent au feu du regard d’espoir et de tendresse qu’il fixait sur lui.

–Cécile… Roger… reprit le vieillard, mes pauvres enfants… l’ami de notre cher docteur ne laissera pas les méchants vous ruiner!…

Georges, attendri de cette confiance, saisit la main qui s’était tendue vers lui.

–Je ferai ce que je pourrai, monsieur, mais je ne puis me prononcer encore dans une affaire que je ne connais point.

–Qu’on lui montre tout. tout ce qu’il voudra, exclama le vieillard.

Puis, après cet effort, sa belle tête blanche se renversa sur l’oreiller, ses yeux se fermèrent à demi, et un voile d’indifférence et d’oubli vint de nouveau obscurcir l’expression de sa physionomie.

Autorisé comme il vient de l’être par M. de Trévanon, et persuadé que d’autres papiers plus importants doivent se trouver dans la maison, Georges propose de revenir et d’en faire la recherche avec le médecin et les enfants.

Nos Américains (épisodes de la guerre de sécession)

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