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VI

Dans ses retours à Montmorency, Georges, parfois, avait amené un ou deux de ces aimables professeurs qui le recevaient à Paris. Ces derniers se plaisaient à répondre ainsi à l’affection de leur jeune ami, et à témoigner en même temps à quel rang d’estime et de considération ils plaçaient leur intelligent disciple. Les sentiments de ces visiteurs pour Georges les assuraient à l’avance, de la part de Mlle de la Jarnage et de M. de Pilter, d’une hospitalité aimable et de cet hommage tacite, plus précieux mille fois que l’éloge.

Mais, à part ces rares apparitions, peu de visites venaient au chalet. La vie toute de travail et d’affection qu’on y coulait, n’aurait pas laissé de place pour des indifférents.

A Montmorency, on ne s’était créé aucune relation en dehors de celles que les circonstances avaient produites, mais que la Providence pour cette famille éprouvée, il est vrai, avait semblé ménager.

Quelques privilégiés seulement avaient leurs entrées à toute heure au chalet et on les appelait «nos amis».

Parmi eux se trouvait le docteur Breuil, qui avait soigné Mme de la Jarnage avec un dévouement si entendu et si sincère.

C’était un homme d’une franchise un peu brusque, mais un éclair de bonté illuminait son rude visage. Le pauvre, en passant, le saluait d’un air de connaissance, et, avec confiance, il l’appelait au chevet de sa famille. Ame généreuse et tendre, il souffrait des maux qu’il était appelé à soigner, et il n’est de dévouement, d’abnégation qu’il ne dépensât pour soulager en guérissant, et consoler quand il ne pouvait guérir.

Il portait gaillardement ses soixante ans. Son activité énergique n’en était en rien ralentie. Tout Montmorency et ses environs connaissaient cet homme de taille ayant dépassé la moyenne, à l’œil vif, scrutateur, au front proéminent, portant lunettes à cercles d’or, habit vert à boutons d’or, et marchant d’un pas ferme, sa canne sous son bras, dans la crainte qu’elle n’entravât sa marche en soulevant des cailloux, comme il répondait à ceux qui le plaisantaient sur ce point.

Son cabriolet et son cheval blanc étaient légendaires. On ne lui avait jamais vu d’autre voiture, depuis qu’il exerçait à Montmorency. Il fallait souvent la mener au carrossier, mais elle roulait: cela suffisait à son propriétaire. Il n’en était pas de même pour le cheval. Le vieux cabriolet avait vu bien des chevaux attelés à ses brancards. Il fallait un trotteur émérite pour courir chez un malade en danger: le malade ne devait pas subir les conséquences des années de la bête; aussi le docteur en changeait-il souvent. Mais toujours il le prenait blanc. Il voulait que de loin on reconnût son équipage.

–Ceux qui souffrent aiment à savoir que le secours est proche, disait-il dans sa charitable philosophie.

M. Breuil faisait partie des habitués du chalet.

Souvent, fatigué de l’écrasante mission que son amour pour ses semblables l’avait entraîné à choisir, il venait se reposer près des aimables voisins qu’il affectionnait tout particulièrement.

Il apportait toujours au chalet l’entrain de sa nature vive et joviale. Un jour, Madeleine et Georges remarquèrent l’air de préoccupation répandu sur ses traits. Malgré tous leurs efforts, ils ne purent le dérider. Forcé dans ses derniers retranchements, le docteur finit par avouer qu’il était, en effet, très triste.

Il revenait d’une localité voisine avec les appréhensions les plus vives sur la situation d’une famille honorable qu’il aimait et qui venait d’être éprouvée de toutes manières.

–Cette famille se compose d’un oncle et de deux orphelins, frère et sœur, comme vous, dit-il à Georges et à Madeleine; mais plus jeunes, ils n’ont que quatorze ans. Cet oncle remplit auprès des enfants de Trévanon le même rôle que M. de Pilter auprès de vous. C’est la même affection, le même dévouement paternel. Mais si M. de Trévanon n’a pas subi jusqu’ici dans sa santé d’épreuve comparable à celle de M. de Pilter, tout porte à croire, hélas! que bientôt des infirmités plus graves viendront anéantir les efforts du vieillard. Une attaque vient de mettre ses jours en danger.

Je ne suis pas seulement préoccupé de l’issue de cette crise, ajoute le docteur, presque en même temps il est parvenu à M. de Trévanon une nouvelle inquiétante qui concerne la fortune de ses neveux.

Un banquier de Bordeaux a produit une réclamation en plusieurs billets datés du château de Brevannes (nom de la résidence des de Trévanon), s’élevant à600,000francs. Ces billets portent malheureusement la signature du père des enfants. L’état où se trouve M. de Trévanon, atteint dans son intelligence et dans sa mémoire, le rend incapable de faire face à cette situation, qui est la ruine des enfants.

Je suis le seul confident de la nouvelle épreuve de cette famille. Un certain homme d’affaires du voisinage a été chargé d’examiner cette revendication, ou plutôt s’est offert à l’examiner et à venir en aide aux orphelins; mais je ne puis dissimuler que cette intervention augmente encore mes inquiétudes. De là mes préoccupations et ma tristesse, dit le bon docteur.

En se laissant aller à cette confidence, M. Breuil espérait intéresser Georges au sort des de Trévanon, et obtenir de lui, vu ses relations avec les légistes et les avocats, quelques bons conseils, peut-être la marche à suivre pour que les malheureux habitants de Brevannes pussent échapper à un désastre.

Madeleine et Georges étaient fort émus de tout ce qu’ils venaient d’entendre. Georges assaillait le docteur d’une foule de questions qui, par leur côté absolument légal, échappaient quelque peu à la science du médecin.

–Pour éclairer vos appréciations, il vaudrait mieux, répondait celui-ci, que vous poussiez le dévouement jusqu’à faire des recherches dans les papiers de la famille.

Et, devinant dans Georges les sentiments qu’il éprouvait lui-même, il ajoutait avec une touchante instance:

–Est-ce que vous refuseriez, mon cher enfant, de venir au moins voir cette famille, à laquelle je me suis attaché, je vous l’avoue, en raison même des points de ressemblance que je lui trouvais avec la vôtre? Les orphelins de Trévanon et les orphelins de la Jarnage sont parfois tellement confondus dans mon souvenir qu’en parlant des uns, je pense aux autres, et qu’il m’arrive de confondre leurs noms.

–Oh! pas tout à fait, cher docteur, dit Georges, moitié souriant, moitié pénétré. En tout cas, l’intérêt que vous prenez à cette famille suffit pour que je m’y intéresse à mon tour; puis l’affection que vous voulez bien nous porter me fait un devoir et un bonheur de ne vous rien refuser. Je serai demain à votre disposition, si vous voulez bien me conduire à Brevannes.

–Pourquoi demain? Tout de suite, fit le docteur, ravi de sentir qu’il allait peut-être porter la lumière dans la sombre affaire qui l’occupait, et l’espoir dans le cœur de ses amis.

–Soit, tout de suite, répondit Georges, et, un moment après, il roulait avec le docteur dans le vieux cabriolet au cheval blanc.

Nos Américains (épisodes de la guerre de sécession)

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