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II

Unie fort jeune à un mari qu’elle adorait, Mme de la Jarnage était devenue veuve au bout d’une dizaine d’années. C’était une existence brisée. Le souvenir du bonheur intime dans lequel elle s’était plongée avec délice jusqu’au moment de la cruelle séparation, faisait encore battre son cœur, mais pour le déchirer. Du jour où M. de la Jarnage mourut, sa femme commença à mourir à son tour.

D’une grande famille de l’Amérique du Sud, Mme de la Jarnage était née à Paris, où le malheur avait commencé à l’atteindre. Elle avait à peine deux ans et son frère Charles, quatre, lorsqu’elle y perdit sa mère.

Leur père, le comte de Pilter, s’était hâté de quitter le pays, témoin de son deuil, et de retourner en Amérique, dans l’importante propriété de Summer-Cottage, qu’il possédait près de Charleston. Lui-même y mourut peu après, enlevé par une courte maladie, et laissant le soin de sa jeune fille et de son fils à une aïeule paternelle.

Prodigue de sa tendresse, mais aussi habile que vigilante, la grand’mère en s’occupant de l’éducation de ses petits-enfants, ne négligea point leur fortune. Cette fortune, considérable déjà, s’accrut encore sous sa gestion, et, à sa mort, on reconnut avec quelle intelligence cette femme, guidée par son cœur, avait triomphé des difficultés d’affaires.

Si Summer-Cottage n’avait pas abrité le berceau des jeunes de Pilter, il était rempli des souvenirs de leur adolescence. C’était là aussi que M. de la Jarnage était venu un jour, attiré par les grâces de la jeune orpheline et par l’intérêt de son malheur.

C’était là qu’il l’avait épousée à dix-sept ans.

De grandes qualités chez l’un et chez l’autre, une belle fortune, une situation éminente dans la haute société américaine, puis la naissance de Georges et de Madeleine, avaient au début entouré cette union de sourires et d’espérances.

Et quels sourires et quelles espérances faisait naître la vue de Georges et de Madeleine lorsque leurs fronts charmants s’épanouissaient sous les tendresses paternelles et maternelles!

Ils ont grandi, ils ont souffert, mais ce sont toujours les mêmes grâces. L’épreuve qui a brisé la mère, n’a fait qu’imprimer sur la physionomie des enfants un reflet de maturité. Dieu ne semble avoir donné à la jeunesse tant d’exubérance de vie que pour alléger nos douleurs.

Que serait l’humanité sans la joie et le sourire de l’enfance?

Georges et Madeleine étaient jumeaux; mais, par un caprice de la nature, elle était brune, il était blond. Malgré cette profonde dissemblance du teint, des cheveux et des yeux, on retrouvait en eux les mêmes traits, la même distinction, la même vive étincelle de l’intelligence dans le regard.

Nés, dans la Caroline du Sud, d’un père créole et d’une mère qui, tout en étant Française et Parisienne, comptait parmi ses ancêtres bon nombre de créoles aussi, Georges et Madeleine avaient ce langage et ces allures qui dénotent une origine étrangère. Mais si Madeleine avait la démarche langoureuse de la fille d’Amérique, son œil pétillant, l’impétuosité de son caractère et de ses réparties, faisaient avec son attitude un contraste singulier. Lorsqu’elle vous écoutait, on aurait pu la croire plutôt sous l’empire du sommeil que sous celui de l’attention; tout à coup, elle relevait la tête, et ses réponses vives et spontanées, jetées peut-être un peu trop à l’étourdi, avaient toujours le trait qui impressionne. Elle avait une imagination puissante, l’instinct des belles choses, l’aptitude aux délicates jouissances de l’esprit.

Georges n’avait rien du langage caressant et prime-sautier de sa sœur. Tout annonçait chez lui la réflexion et la mesure. Il tenait de l’habitude du travail, que tout enfant il aimait passionnément, la précision et la vigueur de la pensée. Sa parole brève et ferme allait droit au but. En lui, se préparait un homme d’action; mais, par une opposition frappante, il alliait à cette mâle nature une sensibilité toute féminine.. Impressionnable à l’excès, on l’avait surpris maintes fois quittant le salon de sa mère, et allant cacher des pleurs que lui arrachait un récit émouvant.

Etait-ce une faiblesse innée, irresponsable, chez ce jeune homme qui ne se départit jamais plus tard d’une ligne de conduite vaillante? Je ne sais, mais certainement Madeleine, sous son apparente mollesse, avait plus de ressorts énergiques au fond de l’âme que Georges. On eût dit qu’élevés dans le même berceau, ils y avaient mêlé et comme échangé les qualités de leur sexe.

Tels étaient Georges et Madeleine, dans tout l’épanouissement de l’adolescence, au moment où nous les retrouvons en France, auprès de leur mère veuve et désolée. Mais même à cette époque de sa vie où, heureuse épouse et heureuse mère, Mme de la Jarnage voyait jouer autour d’elle ses deux charmants enfants sous les ombrages de Summer-Cottage, et se développer leurs qualités sérieuses à travers les grâces mutines du premier âge, un côté sombre attristait son bonheur.

A trois ans, Charles de Pilter, son frère, avait fait une chute terrible, et, chose étrange, il était devenu sourd et muet sur le coup. Le cœur sensible de Mme de la Jarnage demeura toujours plus affecté de l’infirmité de son frère qu’il n’en paraissait ému lui-même.

Ami tendrement aimé et aimable, Charles était l’abnégation personnifiée. Il ne vivait que pour les siens. Son esprit s’ingéniait en services à rendre, en consolations à donner. Semblable à l’enfant qui sait penser, qui sait aimer, mais qui ne peut vous le dire que par un baiser, il avait une tendresse généreusement expansive. De tous les adoucissements qu’il pouvait trouver à son malheur, le seul efficace avait été de s’appuyer sur le cœur aimant de sa sœur. Mais, quand l’heure des tristesses eut sonné pour Mme de la Jarnage, quand la tombe s’ouvrit pour engloutir, aux yeux de cette jeune femme de vingt-sept ans, l’époux qu’elle chérissait, Charles trouva dans les trésors de son affection le secret d’intervertir les rôles: il devint à son tour pour sa sœur l’ami fidèle, le compagnon dévoué, le consolateur.

Infirme comme il l’était, la mission qu’il se donna alors put paraître de prime abord bien diflicile à remplir; mais les yeux du frère et de la sœur se comprenaient, se devinaient! Ils avaient des secrets d’expression qui échappent même au langage, et doucement leurs pensées se fondaient, leurs peines se partageaient. Charles avait d’ailleurs découvert un moyen infaillible d’agir sur l’esprit de sa sœur et d’aller droit à son cœur. Commensal des jeunes époux à Summer-Cottage, il s’était peu à peu initié aux idées et aux sentiments de M. de la Jarnage, et, maintenant qu’il n’était plus, c’était lui, toujours lui qu’il évoquait près de la triste veuve.

Sachant à quel point cet homme, d’une véritable supériorité et ami de l’étude, avait désiré que Madeleine et Georges reçussent l’éducation chrétienne et soignée qui ne se donne nulle part aussi bien qu’en France, il avait engagé sa sœur à venir au moins pour quelque temps à Paris.

La première année de séjour dans cette ville n’avait pas été favorable à la santé de madame de la Jarnage. Aussi avait-elle dû, au dernier printemps, malgré son désir de rester plus près de ses enfants, plus à portée de les voir, céder à l’avis des médecins, et s’installer avec son frère à Montmorency, dans cette villa où Georges et Madeleine viennent de la rejoindre.

Nos Américains (épisodes de la guerre de sécession)

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