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III

Les mois d’août et de septembre, si beaux sous nos climats, et dont les chaleurs ne pouvaient qu’apporter du bien-être à une malade, s’écoulèrent heureusement. Ce n’est point que l’on organisât beaucoup de fêtes et de parties. Mme de la Jarnage n’aurait pu y prendre part, et ses enfants l’entouraient d’une trop touchante affection pour la quitter après une année d’absence. Mais l’esprit enjoué de Madeleine avait mille moyens inventifs de récréation, sa gaieté remplissait la demeure et s’y répandait comme les doux rayons du soleil. Plusieurs fois, d’ailleurs, la journée s’annonça si belle, si pure et si chaude, que le médecin permit à Mme de la Jarnage une promenade en voiture, et l’on devine avec quel bonheur Georges et Madeleine accompagnaient leur mère.

C’est dans une de ces excursions, au milieu des campagnes environnantes, que Mme de la Jarnage et les jeunes gens éprouvèrent une singulière émotion. Dans le pli d’une des gracieuses vallées du bassin de la Seine qu’ils parcouraient, ils découvrirent un parc et une habitation qui leur rappelèrent Summer-Cottage, au point de faire jaillir les larmes des yeux de Mme de la Jarnage. Elle désira s’y arrêter, descendre de la voiture et jouir de ce coup d’œil inattendu qui lui rendait vivants tant de chers souvenirs.

Deux jeunes enfants, le frère et la sœur, du même âge que Georges et Madeleine lors de leur dernier séjour à Summer-Cottage, jouaient sous un gros orme, tandis qu’un vieillard, leur aïeul sans doute, paraissait tout rajeuni de leurs sourires. Le vieillard remarqua la curiosité émue peinte sur les fronts de toute la famille arrêtée devant sa demeure, et que la discrétion retenait sur le seuil. Il vint vers Mme de la Jarnage, et, instruit du sujet de son émotion, il lui offrit le bras. Il voulut lui faire les honneurs de son parc et de son habitation.

Au demi-récit involontaire que Mme de la Jarnage lui fit de son histoire, le vieillard ne répondit que par des soupirs. Une amère angoisse planait sur le beau front de cet homme, et donnait un caractère plus touchant à sa tête entièrement blanche. Mme de la Jarnage, malgré cette fraternité profonde que nous crée la douleur, n’osa pénétrer les secrets de l’inconnu. Elle se retira avec sa famille, sans que les circonstances lui eussent permis de connaître son nom.

–Quelle douce enfant, dit Georges, que cette petite mignonne qui tendit si gracieusement son front à nos baisers! Elle a un charme de physionomie et une profondeur de regard qui émeut.

–Pauvre petite, reprit Mme de la Jarnage, elle a appris à lire dans l’œil triste et résigné de son grand-père. La sœur et le frère sont orphelins, comme vous, mes chers enfants; une grande douleur a frappé leur enfance.

Le retour fut silencieux. La gaieté de Madeleine restait suspendue par cette dernière réflexion de sa chère mère, qu’un réveil inattendu de tant de souvenirs avait surexcitée un instant, mais laissait brisée.

La promenade dans le parc du vieillard s’était un peu trop prolongée, et le vent léger et frais qui caressait les fronts brûlants des enfants, fit frissonner Mme de la Jarnage.

Au retour, elle se sentit moins bien.

Depuis lors, la santé si chancelante de leur mère ne fit qu’inquiéter de plus en plus Georges et Madeleine. Elle-même, malgré ses efforts pour ne pas alarmer ses enfants, revenait sans cesse vers son passé le plus douloureux, et quand elle se retrouvait seule avec Flavia, n’ayant plus à dissimuler, elle s’entretenait longuement de son cher mari; elle en parlait comme si elle eût eu le sentiment que bientôt elle allait le revoir. Flavia combattait, comme toujours, ces tristes impressions de sa maîtresse, mais, plus que jamais, elle sentait l’impuissance des arguments mille fois répétés de sa tendresse.

Dieu nous met ainsi au cœur des pressentiments qui ne trompent pas les âmes réfléchies et pures. Mme de la Jarnage vit et prédit sa fin, mais elle se tut. Elle attendit. La résignation est la dernière force des natures brisées, la pauvre mère parut mieux à ses enfants. Les derniers rayons de l’automne éclairèrent encore de joyeuses journées le chalet de Montmorency.

Georges se préoccupait sérieusement d’organiser sa vie d’étudiant. Patriote dans l’âme, il reverrait sa chère Amérique, et il entrevoyait dans ses rêves le jour où il pourrait rentrer à Summer-Cottage; mais il avait résolu de s’initier aux lois françaises. Cette étude lui fournirait plus tard les notions les plus précieuses, s’il était appelé à remplir dans son pays quelque situation politique. Il faisait presque chaque jour le voyage de Montmorency à Paris, pour suivre les cours, et même, accompagné de l’oncle Charles, il y couchait quelquefois. Il pouvait ainsi se mêler à la société parisienne, où le souvenir de son grand-père, M. le comte de Pilter, lui ménageait un précieux accueil.

La vie de société est comme le complément nécessaire à toute éducation. Aussi Mme de la Jarnage se résignait-elle à sacrifier quelques heures de la joie, hélas! comptée pour elle, de posséder son fils.

Pendant une de ces courtes absences, le billet suivant vint bouleverser Georges.

«Mon bon frère, notre chère maman ne va pas bien, je la trouve si pâle, si pâle aujourd’hui! Elle n’a presque pas dormi cette nuit, elle n’a rien voulu prendre, et elle me paraît plus cruellement triste. Conçois-tu cela, maman plus triste encore! Ainsi ce matin, en me regardant, elle a pleuré, et a demandé si tu n’allais pas arriver, tu n’es parti que depuis hier, et elle trouve que c’est long! Je t’écris bien vite, persuadée que si tu peux revenir.

«Prie avec moi, mon bon frère, et reviens le plus tôt possible m’aider à soigner celle pour laquelle nous donnerions cent fois notre vie tous les deux.

«MADELEINE.»

Nos Américains (épisodes de la guerre de sécession)

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