Читать книгу Contes du pays d'Armor - Marie Delorme - Страница 12
IV
ОглавлениеMais le chevalier inconnu ne se présentait toujours pas, ce qui affligeait beaucoup Aliette.
Un jour, elle dit à son père:
«Ne regrettez-vous pas de ne pas connaître le vaillant chevalier à qui nous devons notre bonheur?
–Si, mon enfant, je le regrette vivement, mais comment faire pour le retrouver? J’y ai pensé bien des fois, et toujours en vain.
–Eh bien! moi, je crois que l’idée qui m’est venue n’est pas mauvaise.
–Dis-la-moi bien vite, ... parle...
–Dans toutes les fêtes que vous avez données pour célébrer notre délivrance, vous n’avez pas encore fait faire de courses.
–Non, c’est vrai.
–Faites publier, dans tout le pays et aux alentours, que vous donnerez la main de votre fille à celui qui sera vainqueur à la course. Mon chevalier viendra sûrement et il arrivera le premier au but, car il a des chevaux qui ne seront jamais devancés par aucun coursier au monde. D’ailleurs, je me tiendrai à la grande fenêtre au-dessus du portail d’entrée, tous ceux qui voudront courir devront passer devant moi pour me saluer et je reconnaîtrai bien celui que nous cherchons.
–Tu as là une excellente idée, ma chère fille, dit le vieux seigneur», et il s’empressa de donner des ordres pour que tout se fît comme le commanderait Aliette.
Au jour dit, une foule nombreuse s’assembla pour voir courir les prétendants. Il en était venu de tous les côtés, de tout près et de fort loin, et de toutes les sortes aussi, car au milieu des comtes, des barons, des princes même, montés sur de superbes coursiers, harnachés richement, on voyait de simples paysans avec leurs longs cheveux, leurs grands chapeaux à boucle d’argent, leurs gilets brodés et leurs braies de toile plissée. Il leur était permis de concourir comme aux gens de noblesse, Aliette l’avait voulu ainsi, et il s’en était présenté quelques-uns qui comptaient sur la vitesse de leurs petits chevaux à longues crinières.
La course fut fort brillante. Le défilé eut lieu en bon ordre. L’un après l’autre, chaque coureur passa sous le balcon, s’inclina avec grâce, ou ôta son chapeau gauchement; mais c’est en vain qu’Aliette chercha à reconnaître son chevalier. Il n’était pas là! Elle allait quitter la place, quand, rapide comme l’éclair, un cavalier inconnu monté sur un superbe cheval noir et revêtu d’une armure couleur de la lune, traversa la cour et disparut...
«C’est lui!... c’est lui! arrêtez-le!» cria la jeune fille. On ne put lui obéir; l’apparition du chevalier avait été si imprévue, sa fuite si soudaine, qu’il était déjà loin avant qu’on songeât à le poursuivre.
Le prix de la course avait été gagné par un paysan de Cornouailles dont le petit cheval avait fait des prodiges de vitesse. Il vint réclamer la récompense promise, mais Aliette jeta les hauts cris:
«Une épreuve ne suffit point, dit-elle, je ne donne pas ma main si aisément. Les courses recommenceront demain.»
Une fois encore, le brillant cortège des coureurs défila sous le balcon de damoiselle Aliette; une fois encore, ses regards avides ne purent y discerner son chevalier; une fois encore, quand le défilé fut terminé, un cavalier, que nul ne connaissait, passa comme la foudre sous le balcon et s’enfuit sans que personne pût l’arrêter.
«C’est encore lui! mon père, s’écria Aliette au désespoir. J’ai reconnu son cheval gris et sa tunique de drap d’argent semée d’étoiles! Oh! mon Dieu! comment le retenir?
–Calme-toi, mon enfant! dit le vieux seigneur, calme-toi, je t’en prie!
–Il faut recommencer la course, mon père; c’est encore ce paysan cornouaillais qui l’a gagnée. Je ne veux pas être sa femme. J’aimerais mieux mourir!»
Le lendemain donc, on publia que, sans remise, la main de damoiselle Aliette, son château et ses richesses, appartiendraient au cavalier qui arriverait le premier au but indiqué.
Frémissante d’espoir, la jeune fille se tenait sur son balcon.
«Il viendra certainement et, cette fois, il ne m’échappera pas, pensait-elle. Mon père a fait garder les entrées et entourer le château par une troupe d’hommes résolus.»
Elle ne prêta qu’une attention distraite au défilé; elle était bien sûre que son chevalier n’en faisait pas partie. Elle avait deviné juste A peine le dernier coureur avait-il passé sous le balcon, qu’un rayon éblouissant sillonna l’air; et un cavalier dont l’armure scintillait des feux de mille diamants, monté sur un magnifique cheval blanc, bondit dans la cour. La fuite semblait impossible; des soldats armés de piques défendaient toutes les issues. Le cavalier piqua des deux, enleva son cheval, et, d’un saut prodigieux, passa par-dessus le mur d’enceinte, bravant tous les efforts faits pour l’atteindre. Cependant, au moment où il avait franchi la muraille, un soldat l’avait touché au pied droit avec sa pique.
«Je l’ai blessé, le sang a coulé, je l’ai bien vu, dit cet homme, il est atteint à la cheville, je crois, mais son cheval allait plus vite que l’éclair, personne n’aurait pu l’arrêter.»
Le paysan de Cornouailles, vainqueur à la course pour la troisième fois, vint réclamer le prix qu’il avait gagné:
«C’est chose jurée, disait-il; il n’est pas permis de manquer à sa parole!»
On s’efforça de l’apaiser et, à force d’argent, on tâcha de le faire renoncer à ses droits. Il ne consentit à les abandonner qu’en faveur du chevalier qui avait sauvé Aliette: «Si on le retrouve», ajouta-t-il.
Le vieux seigneur désolé ne savait plus quel parti prendre. Sa fille, malgré tant d’insuccès, ne désespérait pas encore.
«Tous ceux qui ont pris part à la course sont encore ici, dit-elle. Faites-leur annoncer que vous reconnaîtrez le sauveur de votre fille à une marque qu’il a au pied, et que vous les priez de se laisser examiner par votre chirurgien.
–C’est une idée bizarre que tu as là, ma fille, comment veux-tu que?.....
–Mon père chéri! mon père bien-aimé, laissez-moi essayer encore cette fois, je vous en conjure! Voulez-vous me voir devenir la femme de cette brute? Jamais je n’y consentirai. J’irai plutôt m’enfermer dans un couvent pour le reste de mes jours.»
Le vieux seigneur secoua la tête, mais il ne savait rien refuser à une enfant qu’il adorait; il fit faire la proclamation désirée.
Quelques-uns des prétendants s’en moquèrent, d’autres n’en dirent rien, mais s’en allèrent; certains, plus rusés, essayèrent de se faire au pied droit des marques plus ou moins vraisemblables. Un homme de Kemper, même, ayant entendu ce qu’avait dit le soldat, poussa l’astuce jusqu’à se faire une blessure à la cheville.
«Ce n’est pas lui, mon père, je vous assure, ce n’est pas lui, s’écria Aliette, au milieu des sanglots. Regardez-le! il est petit, et brun, et mal tourné, et mon chevalier était grand et mince, ... comme Robardic que voilà», ajouta-t-elle en souriant à travers ses larmes, car le pâtre, debout près d’elle, regardait d’un air froidement indifférent tout ce qui venait de se passer.
«C’est peut-être Robardic», dit le vieux seigneur, croyant plaisanter.
Le jeune homme, pour le coup, devint très rouge, si rouge que sa confusion frappa Aliette.
«Mon père, dit-elle, obligez-le à vous montrer son pied droit.....
–Mais, ma fille, où veux-tu qu’un simple pâtre comme ce brave Robardic, tout gentil qu’il est, ait appris à manier des armes et à devenir un chevalier si courageux et si brillant?
–Robardic n’est pas un homme ordinaire, mon père. Rappelez-vous l’aventure du sanglier.....
–C’est, ma foi, vrai!... Et puis du moment que tu le désires Va, Robardic, montrer ton pied droit au chirurgien.»
Le pâtre obéit et tout fut découvert.
«Ainsi, c’est toi qui as tué le dragon et sauvé ma fille! s’écria le vieux seigneur en apprenant cette nouvelle extraordinaire. Viens m’embrasser, mon enfant! C’est un beau jour pour moi et les miens que celui-ci! Mais avant de te donner Aliette, quoique tu aies bien mérité sa main, je voudrais que tu répondisses à deux questions: D’abord, dis-moi d’où te viennent les armes magnifiques et les chevaux sans pareils que tu as en ta possession?»
Robardic raconta comment il les avait découverts dans le château abandonné, et comment le grand désir qu’il avait de délivrer Aliette lui avait donné l’idée d’employer ces armes magiques pour combattre le monstre.
«J’admire ta hardiesse et ton courage. Maintenant, passons à ma seconde question: Pourquoi, après que tu as eu remporté la victoire, ne t’es-tu pas fait connaître tout de suite et nous as-tu fait perdre tant de peine et de temps?»
Robardic resta un moment silencieux.
«Eh bien! tu ne réponds pas?
–C’est que je n’ai pas voulu.
–Tu n’as pas voulu.....
–Que votre fille se crût obligée de m’épouser, uniquement par reconnaissance.
–Et alors?
–Et alors, j’ai voulu lui donner le temps de réfléchir, et le moyen d’éviter, sans paraître une ingrate, un mariage qui pourrait lui déplaire.
–Il ne lui déplaît pas, sois-en sûr! s’écria le vieux seigneur les yeux pleins de larmes. Tu es un brave garçon! Tes sentiments sont d’une rare délicatesse. Je suis heureux de te donner ma fille. Tu seras un bon mari pour elle, et un bon fils pour moi!»
Les noces de Robardic se firent dans la huitaine, avec tout l’éclat qu’on peut imaginer. On y convia tout le pays, et l’on dit même que la reine des fourmis, la reine des colombes et le roi des animaux les honorèrent de leur présence.