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III

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Le jeune ménage vivait heureux dans son palais au fond de la mer. Le prince aimait tendrement sa belle épousée et ne se lassait pas de lui prouver son affection par toutes sortes d’attentions délicates. Il choisissait les poissons les plus fins pour la nourrir, les perles les plus belles pour la parer, les plantes et les fleurs marines les plus rares, pour orner sa chambre. Il lui faisait faire des colliers et des bracelets de pierres précieuses, il lui rapportait de grands coquillages étincelants de nacre, et des curiosités des pays lointains.

Mais, Mona finit par se lasser de toutes ces choses étranges et magnifiques. Elle soupirait, en pensant à sa pauvre chaumière, à son petit champ d’orge, à ses humbles travaux de ménagère. Et puis, l’ennui de ne plus voir ses parents, ses frères et ses sœurs, la gagnait de plus en plus. Elle devenait chaque jour plus triste et plus songeuse, ses belles joues pâlissaient et se creusaient et ses beaux yeux étaient souvent remplis de larmes. Elle avait plus d’une fois demandé au prince, son époux, de la laisser retourner chez elle, pour quelques jours au moins, mais il ne voulait pas lui en accorder la permission, car il craignait de ne pas la revoir. Elle s’en affligea excessivement, et enfin tomba malade de chagrin.

Un matin, qu’après avoir passé la nuit à pleurer, elle s’était un peu assoupie, elle vit, à son réveil, le jeune prince debout auprès d’elle, qui la regardait, d’un air tendre et peiné.

«Souris-moi un peu, ma douce, lui dit-il, et je tâcherai de te faire un grand plaisir.»

Mona sourit, car, malgré tout, elle aimait beaucoup son mari.

«Lève-toi, reprit-il, mets tes beaux habits et suis-moi.»

Elle lui obéit et il la conduisit sur une terrasse, devant le palais: alors, faisant. un grand geste de la main, il dit d’une voix forte:

«Pontrail, élève-toi!»

Aussitôt un beau pont de cristal s’éleva, du fond de la mer, arche par arche, jusqu’à ce qu’il arrivât au niveau de la grève.–Mais, au moment où Mona et le prince allaient s’y engager, le vieux roi accourut, criant, grondant, soufflant, espérant causer aux époux quelque maléfice. Ils pressèrent le pas, laissant un peu derrière eux le méchant vieillard. Dès qu’ils eurent posé le pied sur la terre, le jeune Morgan étendit la main vers la mer et dit:

«Pontrail, abaisse-toi!»

Aussitôt, le pont s’abîma dans les profondeurs, entraînant avec lui le vieux Morgan.

Mona, tout éblouie de revoir la terre et le soleil, se tenait silencieuse à côté de son mari, mais celui-ci avait peine à lui cacher la douleur dont il avait l’âme remplie. Enfin, il poussa un grand soupir et dit à sa femme:

«Je ne puis aller jusque chez tes parents. Je dois te laisser ici. Je viendrai t’y reprendre, au coucher du soleil, et je t’y attendrai. Ne tarde pas trop!... Tu sais quelle, sera mon impatience de te revoir et combien, sans toi, la vie me serait cruelle. Je ne te demande qu’une seule chose: c’est de me jurer qu’aucun homme sur la terre ne t’embrassera, ni même ne te touchera la main.

–Je te le jure! dit Mona.

–C’est bien! A ce soir!» et le jeune Morgan disparut sous les vagues.

Mona aussitôt courut vers sa chaumière et, dans sa hâte de revoir les siens, elle ouvrit brusquement la porte, sans frapper. C’était l’heure du dîner; ils étaient tous réunis autour d’une marmite pleine de pommes de terre, et d’une grande terrine remplie de lait caillé jusqu’au bord. Toute joyeuse de revoir ce festin frugal, dont, tant de fois, elle avait pris sa part, Mona s’écria: «Bonjour, père et mère; bonjour, frères et sœurs!» et elle entra dans la chaumière. Mais les braves gens, tout ébahis, la regardaient, sans la reconnaître. Cette belle dame, si bien parée, si richement vêtue, ils la prenaient pour une fille de roi, et ne pouvaient imaginer que c’était là Mona, Mona qui, jadis, courait sur la plage, en petit corset, jambes et bras nus.

«Ne me reconnaissez-vous donc pas? dit-elle, d’une voix tremblante d’émotion. Je suis Mona, votre fille, ma mère! Voilà le coin où je m’asseyais au foyer, sur cette grosse pierre ronde. Voilà l’écuelle de bois qui me servait pour la soupe. Voilà le pichet avec lequel j’allais puiser de l’eau à la fontaine. Voilà, derrière la porte, le balai de genêt avec lequel j’ai tant de fois balayé la maison!...»


«NE ME RECONNAISSEZ-VOUS PAS? DIT-ELLE, JE SUIS MONA, VOTRE FILLE.»

En entendant ces mots, la mère se sentit tout émue. Elle regarda Mona de plus près, et alors, la reconnaissant tout à coup, elle se jeta dans ses bras, en pleurant de joie. Le père appuya sur les joues de sa fille deux gros baisers retentissants; les petits frères, les petites sœurs se pendaient après les jupes de la belle dame, que, tout à l’heure, ils osaient à peine contempler, et lui tendaient leurs bonnes petites figures hâlées, pour recevoir ses baisers.

Toute au bonheur de retrouver sa famille, Mona n’avait plus pensé à son serment. A peine son père l’eut-il embrassée, que le souvenir du passé s’effaça complètement dans son esprit. A partir de cet instant, elle oublia tout ce qui lui était arrivé chez les Morgans. Elle ne sut comment expliquer d’où elle venait, ni qui lui avait donné les bijoux et les somptueux habits dont elle était couverte. Elle les fit vendre, et leur prix amena un peu d’aisance chez ses parents. Elle reprit sa vie d’autrefois et, de nouveau, les amoureux s’empressèrent autour d’elle, mais elle ne s’attachait à aucun et répondait toujours qu’elle ne voulait pas se marier.

Cependant, la nuit, quand les rafales secouaient la toiture et semblaient ébranler la maisonnette, quand les lames s’écrasaient sur la grève avec un bruit de tonnerre, à travers les mugissements du vent et le fracas des vagues furieuses, il lui semblait entendre des gémissements, des supplications, des plaintes entrecoupées. Elle pensait alors que les âmes des marins morts en mer demandaient des prières, et, assise sur son séant, le cœur serré d’une invincible angoisse, elle récitait dévotement un De Profundis ou dix Ave Maria.–Alors tout s’apaisait, et elle s’endormait jusqu’au jour.

Une nuit de grande marée, le vent soufflait du large, et la mer vint si près, si près de la chaumière, que Mona distingua, plus clairement que de coutume, des paroles prononcées d’un accent plaintif à fendre l’âme.

«Ah! Mona!... Mona!... disait la voix, comme vous avez vite oublié votre jeune époux! Ne vous souvient-il plus comme il vous aimait, et comme il vous avait sauvée de la mort? Vous m’aviez juré de revenir sans faute et sans tarder. Je vous ai attendue bien longtemps, je vous attends encore, ... et je suis si malheureux!... Ah! Mona, ma douce!–Mona, ma bien-aimée! ayez pitié de moi, ... revenez!... revenez vite!!»

Alors un trait de lumière passa dans l’esprit de Mona. Elle se rappela tout. Elle comprit que c’était son époux, le jeune Morgan qui se lamentait ainsi. Elle courut à la porte, l’ouvrit Sous les rayons argentés de la lune, elle le vit debout sur les flots... Il lui tendait les bras, ... elle s’y jeta avec un grand cri et on ne la revit plus sur terre!

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