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III

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Guyon, le plus jeune des trois frères, avait dû aux caprices du sort de porter le plus lourd fardeau. Sans se plaindre pourtant, et son échelle sur l’épaule, il s’était mis en route. Après bien des jours, et bien des lieues de chemin, il s’arrêta un beau matin devant un grand château, entouré de tous côtés de hautes murailles et, par surcroît de précautions, d’épais fourrés de ronces et d’épines. Une haute tour dominait le chemin. A la fenêtre de cette tour, était une jeune dame, belle comme un ange. Sa figure était douce et gracieuse, mais ses joues étaient un peu pâles, et, dans ses beaux yeux bleus, se lisait une grande tristesse. Guyon, étonné et ravi, la regardait sans rien dire. Elle, en voyant ce jeune garçon, à la mine hardie, à la tournure svelte et dégagée, appuyé sur son échelle, et perdu dans la contemplation, se prit à sourire. Cela enhardit Guyon, qui s’approcha et osa même entrer en conversation avec elle. Elle lui apprit qu’elle était la fille d’un riche seigneur du pays voisin, mort depuis peu, et qu’elle était retenue en captivité dans ce sombre donjon par un baron, vieux, méchant et vindicatif. Il l’avait enlevée pour se venger d’une injure prétendue, et voulait absolument l’épouser.

«Hélas! dit-elle à Guyon, ce mariage me fait horreur. Je suis la plus malheureuse créature du monde. Ma mère, veuve, ne peut me secourir, je n’ai d’autre compagnie que celle d’une fidèle servante, et nous sommes tellement surveillées que nous ne pouvons attendre d’aide de personne. C’est miracle que j’aie pu vous parler aujourd’hui. Mon tyran est parti, ce matin, pour la ville. Il ne va pas tarder à revenir; s’il vous trouve ici, malheur à vous, car aucun homme n’approche de ce château sans crainte et sans péril.»

Guyon fut extrêmement ému par ce récit, et les pleurs de la belle prisonnière le touchèrent jusqu’au fond du cœur.

«Ne vous désolez pas, noble damoiselle, lui dit-il, je serai votre serviteur et je vous ramènerai chez votre mère. Je le jure! Voici ma bonne échelle, elle vous aidera à sortir de prison.»

La dame le remercia avec grande effusion.

«Que Dieu vous conduise! dit-elle. Surtout, n’oubliez pas votre serment, et la pauvre prisonnière qui n’a d’espoir qu’en vous, sur cette terre!» Elle lui jeta une bague qu’elle portait au doigt. Yvon la reçut adroitement, la baisa et la cacha dans la poche de son gilet brodé; puis il chargea l’échelle sur son épaule, et prit le chemin de la ville, que la dame lui indiqua.

Après avoir fait au moins une lieue, il vit venir de loin le baron, monté sur un solide cheval. Il se trouvait justement auprès d’une maison abandonnée, couverte en ardoises. Il appliqua son échelle contre le mur, y grimpa prestement, et, arrivé sur le toit, il se mit à jeter à bas des ardoises, comme fait un couvreur qui répare une vieille toiture.

Arrivé devant la maison, le baron arrêta son cheval et cria à Guyon:

«Eh! là-haut! couvreur! n’avez-vous pas vu passer deux hommes, traînant par le licou une vache rousse et une génisse noire?

–Peut-être bien, dit Guyon. Il est passé bien du monde par ici, mais qu’est-ce que vous voulez à ceux-là?

–Ce sont deux coquins à qui j’ai. vendu ce matin une vache et sa génisse. Ils sont partis sans me payer, ils ne sont pas du pays et je crois bien que j’en suis pour mon argent. Mais mon cheval est bon, et si je savais la route qu’ils ont prise, je les rattraperais bien vite.

–Ah! dit Guyon, je me rappelle maintenant qu’il y a un petit quart d’heure, tout au plus, deux hommes comme vous dites sont passés. Ils tiraient fort sur le licou, pour faire marcher les pauvres bêtes qui n’en pouvaient plus, et ils riaient du bon tour qu’ils avaient joué.

–Ah! les brigands! dit le baron. Si je pouvais deviner quel chemin ils ont pris au carrefour là-bas!»

Guyon, sur le faîte du toit, faisait semblant de regarder au loin, en tenant la main sur ses yeux, comme un homme qui cherche à distinguer quelque chose à l’horizon.

«Tenez! tenez!! monseigneur, les voilà sûrement... Ce sont eux, ... là-bas... près de la forêt, ... ils vont y entrer. Vous ne pouvez pas les voir d’où vous êtes, parce que la route monte et puis descend, ce qui les cache; mais si vous montiez sur le toit, vous sauriez tout de suite où ils sont et par où il faut passer pour les rattraper.»

Le baron quitta son cheval et se hissa sur le toit avec bien de la peine, car il était lourd et goutteux.

«Par où sont-ils? s’écria-t-il, quand il fut établi sur le faîte et cramponné solidement à une cheminée.


GUYON DESCENDIT QUATRE A QUXTRE ET ENLEVA L’ÉCHELLE.

–Par là!... Voyez-vous? dit Guyon, ... à droite, ... le long du champ de sarrasin...»

Le baron regardait, à demi aveuglé par le soleil.

Guyon, leste comme un écureuil, descendit quatre à quatre, enleva l’échelle, sauta sur le cheval, piqua des deux et partit ventre à terre, laissant le gros baron crier, tempêter et jurer comme un païen, sur le toit, où il n’osait faire un mouvement, de peur de dégringoler.

En peu d’instants, le jeune garçon arriva au pied de la tour.

«Venez vite! Vite! madame! cria-t-il de toutes ses forces; il n’y a pas un moment à perdre, je vais vous. emmener sur mon cheval.»

La prisonnière se pencha à la fenêtre avec un grand cri de joie. Guyon posa son échelle contre le mur, mais... ô terreur!... elle était trop courte! La dame et sa suivante arrachèrent les rideaux en un clin d’œil, et, les attachant au balcon, s’en servirent comme d’une corde pour descendre. Alors Guyon approcha son cheval, la dame monta derrière lui et le tint fortement embrassé par la taille. Comme ni lui, ni elle, n’étaient bien lourds, le cheval ne sentit pas qu’il portait double charge, et, talonné par Guyon, il s’éloigna au grand galop, tandis que la servante courait, de son côté, se réfugier dans une ferme voisine.

Les deux fugitifs arrivèrent sains et saufs chez la mère de la jeune dame. Elle fut si heureuse de revoir sa fille, qu’elle permit à celle-ci d’épouser son sauveur.

Quant au vieux baron, il est peut-être encore sur son toit à l’heure qu’il est, si personne n’est passé par là pour le tirer d’embarras.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Au jour pris pour le rendez-vous, les trois frères se retrouvèrent au carrefour, où leur père les attendait.

Ils y arrivèrent montés sur de superbes coursiers richement harnachés. Leurs belles épousées, chevauchant des haquenées blanches, étaient à leurs côtés.

Le vieillard fut bien heureux de les revoir si bien pourvus, et leur fit de grandes caresses. Ils se montrèrent bons fils et lui firent construire un fort beau château, où il finit paisiblement ses jours.

Imité de F.M. Luzel, tome XXV (p.195) des Littératures populaires de toutes les nations. Contes populaires de la Basse-Bretagne. (Maisonneuve, éditeur.)

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