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I

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Robardic était un garçon de bonne mine et d’une jolie figure, mais sans un sou vaillant. Il était resté, tout jeune, orphelin de père et de mère; personne n’avait pris de lui le moindre souci et il ne vivait guère que de la charité publique. Cependant, à mesure qu’il grandissait, cette dernière ressource diminuait, car, ce qu’on avait donné de bon cœur à la gentillesse de l’enfant, on le refusait, avec raison, à un jeune homme capable de gagner sa vie.

«Pourquoi ne travailles-tu pas? lui disait-on maintenant à la porte des fermes, où jusqu’alors il s’était bien souvent régalé de bouillie d’avoine et de crêpes de blé noir.

–Je ne sais aucun métier, répondait-il d’un air timide.

–Eh bien! vas en apprendre un! ou loue-toi comme domestique. N’as-tu pas honte de mendier à ton âge? Allons! passe ton chemin!»

A force de s’entendre répéter ces choses et d’autres bien plus dures, Robardic comprit qu’il ne pouvait continuer à mener une vie paresseuse et il se décida à quitter le pays pour aller chercher fortune ailleurs.

Il partit donc par un beau matin du mois de mai, à l’aube du jour, et prit la première route qui s’offrit à lui, ne sachant pas où elle le conduirait, et ne s’en inquiétant guère. Comme il suivait, sur le bord de la route, un petit sentier tracé dans le gazon par les pas des promeneurs, et marchait, la tète baissée, regardant machinalement où il posait le pied, il aperçut une énorme fourmi. Il allait l’écraser, quand d’une petite voix flûtée, elle lui dit:

«Je vais te manger!

–Jésus! s’écria Robardic, stupéfait d’entendre une fourmi parlante, vous ne ferez pas cela, madame! Je n’ai jamais vu de fourmi aussi grande et aussi belle que vous! et sûrement vous n’êtes pas aussi méchante que vous voudriez me le faire croire. Vous êtes, je le suppose, la reine des fourmis?

–Tu l’as deviné et je t’en sais bon gré. Quand tu auras besoin de secours, appelle-moi à ton aide, et j’arriverai aussitôt.

–Merci, grande reine, dit Robardic, je n’oublierai pas votre bonté.»

Et il se remit en marche

Quelques pas plus loin, il entra dans un charmant bosquet. Les oiseaux y faisaient mille délicieux concerts pour saluer le lever du soleil et notre jeune voyageur les écoutait avec ravissement.

Près de lui, tout à coup, il entendit: Rou-cou-lou-coû! Rou-cou-lou-coû! et vit, sur un buisson, au bord du chemin, une admirable colombe blanche. Il s’arrêta à la contempler, mais la colombe se rengorgeant et renversant sa jolie tête en arrière, d’un air hautain, lui dit:


«JE VAIS TE MANGER», LUI DIT LE LION.

«Je vais te manger!

–Oh! ma jolie colombe, est-il possible qu’une si charmante créature que vous, dise une chose si cruelle? Vous! me manger! vous n’en êtes pas capable, quand même vous seriez, comme vous méritez de l’être, la reine des colombes!

–Je la suis en vérité, et je ne te veux point de mal, petit Robardic, je voulais seulement t’effrayer un peu pour t’empêcher de troubler la paix de mon bosquet. Mais au lieu de t’emporter et de me menacer, tu m’as répondu très gentiment, tu en seras récompensé. Poursuis ton chemin et, si tu te trouves dans la peine, appelle à ton secours la reine des colombes.»

Elle s’envola à tire-d’aile, et Robardic reprit sa route. Il allait sortir du bois, quand, au bord du sentier, se dressa devant lui un énorme lion qui semblait l’attendre et le regardait fixement.

A cette vue, il sentit son courage prêt à l’abandonner; mais en pensant à ce qui lui était arrivé avec la colombe et la fourmi, il se rassura un peu et avança de quelques pas.

Le lion bâilla d’un air majestueux, puis, allongeant une de ses lourdes pattes, barra le passage à Robardic.

«Je vais te manger!!! dit-il.

–Non! seigneur! non, Votre Majesté ne voudra pas faire mal à un pauvre garçon qui a confiance en elle. Je n’ai jamais vu de lion, mais je pense que vous êtes un lion, car j’ai entendu dire que le lion est le roi des animaux, et bien sûr, il n’existe pas d’animal plus grand, plus noble, plus beau que vous.

–Tu ne te trompes pas, dit le lion d’une voix radoucie; je suis en effet le roi des animaux, et tu n’as pas eu tort de me montrer de la confiance. Passe librement, continue ta route, et, si quelque malheur t’arrive, appelle-moi.

–Oui, monseigneur! grand merci», dit Robardic; et il sortit du bois pour entrer en rase campagne. Il se sentait plus gai, moins inquiet qu’en partant.

«Si les hommes sont contre moi, les chers animaux du bon Dieu sont pour moi, se disait-il, et c’est bon signe.»

Il arriva bientôt au bord d’une large rivière qui coulait à flots impétueux.

Sur l’autre rive, s’élevait un château magnifique, entouré de terrasses à balustres de pierre, avec de larges escaliers qui descendaient jusqu’au bord de l’eau.

Devant l’une des fenêtres du château, à un balcon sculpté, se tenait accoudée une demoiselle d’une beauté éblouissante.

Robardic s’imagina qu’elle lui souriait et se sentit tout à coup un grand désir d’arriver jusqu’à elle. Mais comment faire? Il ne savait pas nager, il n’y avait sur la rivière, ni pont, ni bateau, et le courant était trop violent pour qu’on pût essayer d’y trouver un gué.

«Ah! si j’avais les ailes d’une colombe! s’écria Robardic, et tout de suite, il ajouta: Reine des colombes! viens à mon secours!»

A peine avait-il prononcé le dernier mot, qu’il fut changé en un ramier blanc et, s’envolant, il alla se poser sur l’épaule de la châtelaine. Le seigneur du château entra au même moment dans la chambre de sa fille.

«Voyez, mon père, lui dit celle-ci, le bel oiseau qui est venu se percher sur mon épaule! Il me semble tout apprivoisé, on dirait qu’il me connaît. Quelles jolies petites mines il me fait!

–Oui vraiment, répondit le seigneur, c’est un superbe ramier blanc. Je n’en ai jamais vu de si beau. Il faut tâcher de l’attraper et le mettre dans notre cage d’argent qui est vide.»

Robardic n’était pas encore habitué à son métier d’oiseau; il se laissa prendre et enfermer dans la cage. On lui donna du grain, de l’eau, du biscuit, mais toutes ces friandises le laissaient fort insensible, et quand il fut seul sur le balcon de pierre, où l’on avait posé la cage, il commença à s’inquiéter de son sort.

«J’ai été bien maladroit, pensait-il de me laisser attraper d’abord, et puis encager ensuite. J’aurais dû m’envoler, me débattre, résister... Qu’est-ce que je vais faire maintenant pour sortir de là?»

Tout en réfléchissant, il vit une petite fourmi qui grimpait le long des barreaux de la cage pour arriver au biscuit. Une idée lumineuse lui vint!

«Reine des fourmis, ma petite amie, tire-moi d’ici!» s’écria-t-il.

Aussitôt, il se sentit devenir fourmi. Il passa alors sans difficulté, de la cage sur le balcon, il descendit le long du grand rosier qui tapissait le mur de ses branches fleuries, arriva à terre sans encombre, si ce n’est sans fatigue, et reprit la forme humaine dès qu’il en eut formé le désir.

Il se rendit dans la cour du château et, s’adressant à l’homme qui gardait la porte, il lui dit:

«Savez-vous si on a besoin d’un domestique dans ce château? Je suis jeune et fort, comme vous voyez, et plein de bonne volonté. Je voudrais gagner ma vie en travaillant.

–Le pâtre est parti hier, répondit le portier, si vous voulez prendre sa place?.....

–Très volontiers; pourvu que j’aie quelque chose à faire, peu m’importe le reste.

–C’est bon, je vais vous conduire à maître Corentin, le chef des bergeries.»

Corentin reçut bien le jeune garçon, dont la belle tournure lui plut tout de suite.

«C’est presque dommage de faire un simple pâtre d’un beau garçon comme toi, dit-il; mais je n’ai pas d’autre place à t’offrir, et il faut bien commencer par le commencement. Écoute-moi: Demain au matin, tu mèneras les bêtes dans la prairie que tu vois là-bas, sur la lisière de la forêt, et tu auras bien soin de n’en laisser entrer aucune sous bois.

–Pourquoi? demanda Robardic.

–Parce qu’il y a là un vieux sanglier féroce et rusé comme pas un. Tous les jours, il trouve moyen de nous enlever bœuf, vache ou mouton. Prends bien garde à toi, car si tu perds seulement une tête de bétail, notre maître te fera jeter dans une sombre prison.

–C’est bien, dit Robardic, sans s’émouvoir. Vous pouvez me confier le troupeau.»

Le lendemain, de grand matin, il partit avec ses bêtes. Il y en avait beaucoup, mais elles étaient très maigres, ce qui n’avait rien d’étonnant, car le pré où on les menait paître était tondu au ras du sol. On les y conduisait si souvent que l’herbe n’avait pas le temps de repousser.

Au contraire, dans le bois à côté, on voyait des clairières couvertes d’une herbe haute, épaisse et d’une fraîcheur délicieuse.

«Ces pauvres créatures me font pitié, pensa Robardic. Elles meurent de faim. Il n’y a vraiment rien à paître pour elles ici. Je vais les laisser entrer dans le bois. Si le vieux sanglier vient, j’appellerai le roi des lions à mon secours.»

Et il poussa son troupeau dans la forêt.

Le soir, il le ramena gaiement du pâturage. Le sanglier n’était pas venu et il ne manquait pas une tête.

Le seigneur qui se trouvait là pour surveiller la rentrée de tout son monde, fut surpris de voir l’air de bonne santé, de vigueur qu’avait le bétail.

«Les bêtes reviennent ce soir le ventre plein, ce qui ne leur était pas arrivé depuis longtemps, dit-il. Où donc ont-elles trouvé tant à paître?

–Dans le bois, monseigneur, répondit Robardic; il y a de l’herbe en abondance.

–Dans le bois! Tu les a laissées entrer dans le bois malheureux!

–Sûrement, il le fallait bien, puisqu’il n’y a plus d’herbe dans la prairie.

–Et le sanglier?

–Je n’ai point vu de sanglier.....

–Tu as eu une chance singulière, mais prends bien garde, car tu pourrais ne pas être aussi heureux tous les jours, et s’il te manque du bétail tu sais ce qui t’attend?

–Oui, monseigneur, je le sais.»

Pendant huit jours, le pâtre mena son troupeau dans le bois, sans que rien d’extraordinaire lui advînt. Les bêtes engraissaient à vue d’œil, leur poil luisant, leur croupe rebondie, faisaient plaisir à voir et le seigneur était enchanté de son nouveau serviteur.

«Comment peut-il bien s’y prendre pour éloigner, le sanglier, disait-il? Il y a là-dessous quelque mystère. Il faut que je voie par moi-même ce qui se passe.»

Le neuvième jour donc, il se leva de bon matin et alla trouver Robardic qui se disposait à partir:

«Je veux aller au bois avec toi, lui dit-il. Il se pourrait bien que toutes les histoires du sanglier ne soient que des contes, forgés par des serviteurs infidèles pour expliquer leurs méfaits. Tu es sans doute plus honnête que les autres, c’est pourquoi tu n’as rien à raconter.

–Comme il vous plaira, monseigneur», dit Robardic.

Mais à peine étaient-ils entrés dans le fourré qu’ils entendirent le bruit d’une course furieuse, et un énorme sanglier se précipita sur eux. En un clin d’œil, Robardic grimpa sur un arbre, et, d’une main vigoureuse, il aida à y monter le seigneur, beaucoup moins leste que son pâtre.

Il était temps! Le sanglier tournait autour de l’arbre en poussant des grognements formidables, menaçant ses ennemis de ses crocs aigus et les regardant d’un air terrible, avec ses yeux rouges et sanglants. Le seigneur mourait de peur, mais Robardic, assis sur une branche, les pieds ballants, mangeait tranquillement le gros morceau de pain qu’il avait emporté pour son déjeuner.


IL ALLAIT SI VITE, ET CREUSAIT SI PORT, QU’EN TROIS MINUTES....

«Si tu laisses seulement tomber une miette de ce que tu manges là, je déracinerai l’arbre, et je te dévorerai, dit le sanglier. (Dans ce temps-là, les bêtes parlaient.)

–Nous allons bien voir!» dit Robardic; et il jeta un morceau de pain. Le sanglier s’en saisit, l’avala et se mit à fouir au pied de l’arbre. Il allait si vite, et creusait si fort à chaque coup, qu’en trois minutes il eut achevé sa besogne. Le chêne tomba, entraînant dans ses branchages le seigneur et Robardic.

Celui-ci ne perdit point son sang-froid:

«Roi des animaux! viens à mon secours, tu l’as promis!» cria-t-il.

Le lion apparut aussitôt, se précipita sur le vieux sanglier, le mit en pièces et disparut.

Quand le seigneur fut bien assuré que l’ennemi était mort, tout à fait mort, il se décida à se dégager des branches, et à reprendre pied à terre. Il fit de grandes amitiés à Robardic, revint au château avec lui, voulut qu’il dinât à sa table, qu’il goûtât de son meilleur vin et, dès lors, lui témoigna une vive affection.

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