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PRÉFACE

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L’enfant pleure ou s’ennuie; sa nourrice l’apaise avec une chanson, ou l’amuse avec une histoire. L’enfance de l’humanité, comme celle de l’homme, a pris plaisir aux chants et aux récits; les contes sont aussi vieux que notre race.

Qu’ils devaient être bizarres, ces premiers-essais de l’imagination humaine! Ils étaient, sans doute, simples et courts; la mémoire y tenait une grande place et les souvenirs du monde primitif y ont laissé une empreinte ineffaçable.

Animaux fantastiques à combattre, mers à traverser, forêts immenses à défricher, tâches gigantesques à accomplir: tout cela ne rappelle-t-il point les premiers pas de l’homme sur la terre, alors que, tout petit, tout nu, tout misérable, il défendait, comme il pouvait, une vie sans cesse menacée. Quand ces grands exploits étaient accomplis, les mères, orgueilleuses, les racontaient à leurs fils; la tribu en gardait la tradition, sans cesse augmentée et comme rajeunie de nouveaux épisodes, en passant de bouche en bouche.

Aussi les contes ont-ils un fond commun à tous les peuples.

Les détails familiers, inventés par les conteurs, prennent tout naturellement la couleur de ce qui les entoure: paysage, demeure ou coutume, et voilà créée cette littérature populaire, où se retrouve l’âme de l’humanité épanchant ses joies ou ses douleurs, ses passions ou ses haines, sa sagesse ou sa folie, dans des milliers de contes, chansons., héroïdes, fabliaux, ballades, dictons, proverbes, etc.

Depuis une vingtaine d’années, l’étude de cet ensemble qu’on a appelé folkloreoccupe et même passionne, à juste titre, beaucoup d’esprits distingués. Dans le monde entier, des savants, des chercheurs recueillent chants, contes et légendes, les traduisent, en les accompagnant de commentaires. En Angleterre, en Allemagne et en France, tout particulièrement, ce travail a déjà acquis des proportions considérables.

Sous ce titre: Les Littératures populaires de toutes les nations, il se publie, chez M. Maisonneuve, un recueil d’une haute valeur littéraire et scientifique; presque toutes les provinces de France y sont ou y seront représentées. Ce sont les trois volumes consacrés par M. Luzel à la Basse-Bretagne qui ont fourni la matière des Contes du Pays d’Armor.

J’en ai dû la communication à l’amitié de l’auteur, je les ai lus et relus, et, à chaque lecture, je sentais croître le désir de faire partager à la jeunesse et même au grand public, le vif plaisir que j’éprouvais. Or, il faut bien l’avouer, les contes populaires ne peuvent être mis dans toutes les mains. Ils ont la saveur, mais aussi la crudité des choses incultes; de plus, recueillis uniquement dans un but d’érudition, ils intéresseront les amateurs de folklore, mais les redites, les longueurs, les épisodes parasites qui forcément les encombrent, lasseraient bientôt la patience des lecteurs profanes.

Avec l’autorisation de M. Luzel, j’en ai choisi un certain nombre, de genres variés et propres à donner une idée exacte de la merveilleuse richesse d’imagination qui caractérise les contes bretons. J’ai scrupuleusement conservé le fond même du conte; je n’ai créé aucun type, ajouté aucun épisode; je me suis bornée à enlever tout ce qui pouvait alourdir la marche de l’action, à développer les situations et les caractères dans le sens où ils étaient esquissés, enfin à faire disparaître tout ce qui aurait écarté le livre de la bibliothèque de famille, et je l’offre aujourd’hui au public, non comme mon œuvre, mais comme celle des enfants de Breiz-Izel.

C’est un des meilleurs d’entre eux qui a recueilli ces contes. Pendant plus de quarante ans, avec un zèle patient que rien ne rebutait, il a écouté les conteurs et les conteuses, le crayon à la main, écrivant sous leur dictée. Mendiants et mendiantes, pèlerines, chanteurs, ouvriers, laboureurs, sont venus lui offrir leurs richesses, mine inexplorée d’où il a su tirer des trésors précieux. Plus d’une fois, c’est au bord des routes, assis sur les bruyères des talus, ou sous le manteau noirci des grandes cheminées bretonnes, ou encore sur quelque rocher, battu des vents de mer, qu’il a tracé en hâte les lignes pressées où se déroulent de si brillantes aventures...

Sur cette terre de Bretagne,

La terre de granit, recouverte de chênes,

le temps passe sans rien emporter. Ailleurs, les chemins de fer, les journaux, l’industrie,–ce qu’on appelle le progrès,–ont fait table rase des mœurs et des croyances. Dans les monts d’Arrez, il est bien des hameaux isolés où l’on s’habille encore de peaux de bêtes et où, pour toute nourriture, on mange, comme il y a six mille ans, la bouillie d’avoine dans de grossières écuelles de bois, et les galettes de sarrasin, cuites sur la plaque de fonte, qui a remplacé les pierres rougies au feu, du temps du roi Gradlon. Là, se sont conservées aussi les vieilles traditions; là, on se groupe autour de la pèlerine, colportant de ferme en ferme ses récits merveilleux, et jamais le conte n’est assez long au gré du naïf auditoire.

Quel accueil vont rencontrer, dans les milieux étrangers, ces histoires qui semblent si bien à leur place au pays d’Armor?

Souvent l’héroïne d’un conte reçoit, en présent des fées, un coffret plein de bijoux, de perles et de diamants; elle l’emporte en hâte pour faire partager sa joie à sa famille... On ouvre le coffret, ... on ne trouve au fond qu’un peu de cendres ou quelques feuilles sèches!

C’est qu’elle a oublié un mot, un signe, un geste, dont le pouvoir magique lui assurait la possession de ses richesses, et cet oubli a suffi pour tout anéantir!

Les fées du pays d’Armor m’ont donné aussi des perles et des diamants.–Je vous les apporte, mes chers lecteurs; puissé-je n’avoir rien oublié de ce qui peut charmer!

Quimper, 25août1889.

Contes du pays d'Armor

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