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II

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Le ravisseur de Mona Kerbili était le roi des Morgans de l’île d’Ouessant. Il avait, sous la mer, un palais magnifique. On y entrait par une ouverture cachée dans ces rochers que vous voyez là-bas à droite. C’est là qu’il conduisit sa prisonnière. Il lui fit d’abord admirer toutes les richesses et toutes les beautés de sa demeure qui dépassait de bien loin tout ce qu’on peut voir de plus beau sur la terre, en fait de palais et de châteaux, et puis il lui dit qu’il voulait l’épouser.

Mais Mona, tout effrayée, lui demanda du temps pour réfléchir.

Cependant, le roi des Morgans avait un fils, et ce jeune prince était le plus beau des enfants des Morgans. A peine eût-il vu Mona, qu’il en devint éperdument amoureux, et il déclara à son père qu’il voulait la prendre pour femme. Le vieux roi fut très mécontent, car il voulait se réserver la fille de la terre pour lui-même. Il fit donc de grandes menaces à son fils et lui défendit de penser à Mona.

«Jamais, lui dit-il, je ne vous permettrai de vous marier avec une fille des hommes. Il ne manque pas de jolies Morganes dans mon royaume. Choisissez celle qui vous plaira et vous aurez mon consentement et mes trésors.

–Je ne veux d’aucune d’elles, répondit le jeune prince, c’est Mona Kerbili qu’il me faut.

–Vous ne l’aurez pas, lui dit son père.

–Eh bien! je ne me marierai jamais», reprit le prince.

Le vieux roi tint bon, mais son fils tomba malade de chagrin. Il était dans un état de tristesse et de langueur qui faisait peine à voir. Rien ne pouvait l’en tirer. Alors, le vieux Morgan chercha à le marier et, usant de tout son pouvoir, il le força à demander la main d’une Morgane renommée pour sa beauté. Elle était fille d’un des plus nobles et des plus puissants seigneurs d’entre les Morgans, et les noces devaient être superbes. On en fixa le jour; on invita beaucoup de monde; on fit de grands préparatifs et le prince ne savait plus qu’imaginer pour rompre un mariage qui lui semblait odieux. Le jour fatal arriva enfin. Un cortège nombreux et brillant accompagnait les fiancés à l’église; car il faut dire que ces petits hommes de la mer ont leur religion et leurs églises, sous l’eau, comme nous autres, sur la terre. Ils ont même des évêques, assure-t-on, et Goulven Penduff, un vieux marin de notre île, qui a navigué sur toutes les mers du monde, m’a dit qu’il en avait vu plus d’un.

Mona n’était point du cortège. Le matin même, il s’était passé une scène terrible, entre elle et le vieux roi.

«Mon fils se marie, lui, avait-il dit, je veux me marier aussi. Avant que le jour soit fini, il faut que tu sois ma femme.»

La jeune fille poussa un cri d’horreur, et dit que jamais elle n’y, consentirait. C’est en vain qu’il essaya de la faire changer de résolution, en lui promettant des trésors, de beaux habits, la couronne même; elle refusait tout. Il entra dans une grande colère, car son pouvoir ne lui permettait pas d’aller jusqu’à épouser Mona malgré elle.

«Puisque tu n’as pas voulu être une reine, tu seras une servante! lui cria-t-il, furieux. Je t’ai enlevée, tu es mon esclave, je puis faire de toi ce que je veux. Il n’y a que la mort pour toi, si tu n’exécutes pas mes ordres. Je te charge de préparer le repas des noces. Je veux qu’il soit prêt pour notre retour de l’église, et si tu ne nous sers pas un festin abondant et délicieux, tu seras décapitée.

–Mais je n’ai rien de ce qu’il faut pour un repas», dit la pauvre Mona.

Le roi lui montra de grandes coquilles marines, qui étaient rangées tout autour de la cuisine.

«Voilà, dit-il, des pots et des marmites. C’est à toi à les remplir. Tire-toi d’affaire comme tu pourras, sinon... tu sais ce qui t’attend!» Et il partit.

Son fils avait écouté toute cette scène, avec horreur et désespoir. Cependant, il n’osa rien dire devant le vieux roi, pour ne pas l’exciter encore contre-la malheureuse Mona, dont les sanglots lui déchiraient le cœur.

Le cortège se mit en marche: c’était un beau spectacle, je vous assure! Les Morgans et les Morganes avaient mis leurs plus beaux habits, ornés d’or, d’argent et de pierres précieuses. La fiancée brillait comme un soleil, mais le prince avait l’air sombre et distrait. Comme on approchait de l’église, il s’écria tout à coup:

«J’ai oublié l’anneau du mariage!

–Dites-moi où il est, j’enverrai quelqu’un le chercher, dit son père.

–Non, non, il faut que j’y aille moi-même, car personne ne saurait le trouver, là où je l’ai mis. J’y cours;– attendez-moi ici, je serai de retour dans un instant.

–Au moins, prenez un de vos serviteurs avec vous.

–Je n’ai besoin de personne, je ne ferai qu’aller et venir.»

Et il partit, en courant de toutes ses forces.

Il arriva tout droit à la cuisine. Mona en pleurs, toute échevelée, les bras et les yeux levés au ciel, lui sembla plus belle qu’il ne l’avait jamais vue. Il lui prit doucement la main et, la regardant avec tendresse, il lui dit:

«Consolez-vous, ne craignez rien, ayez seulement confiance en moi. Le repas sera prêt à temps, et cuit à point. Alors, s’approchant du foyer, il étendit la main vers le bois qui y était empilé et dit:

«Beau feu! allume-toi!»

Aussitôt une grande flambée remplit la cheminée.

Il étendit encore la main vers les casseroles, les marmites, les poêles, les broches, et tout cela vint se ranger autour du foyer. Alors, en les touchant du doigt, chacun à son tour, il dit:

«Ici, de la chair de saumon!

Ici, de la sole aux huîtres!

Ici, des maquereaux frits!

Ici, du canard rôti!

Ici, du far!»

Et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’il y ait eu de quoi donner à manger à cinq cents personnes.

Ensuite, il appela les pots et les bouteilles et, de la même façon, les remplit des vins et des liqueurs les plus choisis. En un clin d’œil, et sans que Mona eût seulement bougé de la place où elle se tenait, saisie d’admiration, le repas fut prêt, et une table magnifique, dressée pour le servir. Le jeune Morgan rejoignit alors en toute hâte le cortège nuptial.

«Vous nous avez bien fait attendre, mon fils, dit le roi.

–C’est que je ne pouvais pas parvenir à ouvrir mon tiroir», lui répondit le prince, d’un air indifférent.

Chacun reprit sa place, et l’on arriva à l’église. Elle était toute ornée de nacre, de perles, de coquillages, de fleurs de mer de toute espèce; c’était un spectacle superbe. Un évêque de mer célébra le mariage; les jeunes époux reçurent les compliments de toute l’assemblée, et l’on revint au palais.

Le vieux roi courut tout de suite à la cuisine; il fut bien étonné de voir Mona tranquille et fraîche, et de sentir la bonne odeur qui s’exhalait des marmites et des casseroles:

«La noce est là. Le repas est-il prêt? dit-il brusquement.

–Oui, tout est à point», répondit Mona avec douceur.

Le roi, furieux, ôta le couvercle des casseroles. En voyant toutes les bonnes choses qui étaient dedans, il s’écria:

«Quelqu’un vous a aidée? Je devine qui c’est, mais je le retrouverai bien!»

Et, tout en grondant, il se rendit dans la salle du festin.

On se mit à table. Les plats étaient si fins et si copieux, les vins si parfaits, que tout le monde mangea son content, et même plus. Les chants commencèrent, les plus beaux sonioude l’île furent dits par un Morgan qui avait une voix admirable, on l’aurait entendu d’ici à la côte.

On dansa la gavotte et le jabadao de Cornouailles jusqu’au jour, et quand les danseurs étaient las, ils se rafraîchissaient avec les vins les plus exquis. Vers minuit, les nouveaux mariés quittèrent le bal et se retirèrent dans la chambre nuptiale, magnifiquement ornée de drap d’or et de courtines de soie.

Le vieux Morgan les accompagna, mais il s’arrêta dans une petite salle, qui n’était séparée de la chambre que par une mince cloison. Il avait pris Mona avec lui, et lui donna une torche de cire allumée.


«QUELQU’UN VOUS A AIDÉE ET JE DEVINE QUI C’EST.»

«Allez, lui dit-il, éclairez la chambre pour les jeunes époux, et tenez la torche bien droite, car sitôt qu’elle sera consumée jusqu’à votre main, vous serez mise à mort.»

Mona, tremblante, prit la torche, et, le cœur défaillant, fit ce qu’on lui commandait.

Le vieux roi, de temps en temps, demandait:

«La torche est-elle consumée?

–Pas encore», disait Mona.

Cependant la cire fondait, et l’instant fatal approchait. Le prince nouveau marié dit alors à la Morgane, son épouse:

«Prenez la torche des mains de Mona et tenez-la un moment, pour que cette fille puisse nous faire du feu.»

La Morgane, sans défiance, prit la torche qui n’avait plus qu’un tout petit bout de cire. Au même moment, le vieux roi répétait sa question.

«La torche est-elle consumée?

–Oui», dit la Morgane.

Transporté d’une fureur aveugle, le vieux Morgan entra dans la chambre, sabre au poing, et, sans regarder celle qui tenait la torche, il lui abattit la tête d’un seul coup, et disparut.... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le lendemain matin, au lever du soleil, le jeune prince entra chez son père et lui dit:

«Je viens vous demander la permission de me marier, mon père.

–Comment? te marier! N’es-tu pas marié d’hier?.....

–Si, mon père, mais aujourd’hui, je suis veuf: ma femme est morte.

–Ta femme est morte!... Tu l’as tuée, malheureux!!...

–Non, mon père, c’est vous même qui l’avez tuée.

–Moi!... Moi!!... j’ai tué ta femme!!!

–Oui, mon père. Hier soir, vous avez abattu, d’un coup de sabre, la tête de la femme qui tenait une torche allumée.

–Mais c’était Mona, la fille de la terre?

–Non, mon père; c’était la jeune Morgane que j’avais épousée, malgré moi, pour vous obéir. Du reste, si vous ne me croyez pas, vous n’avez qu’à venir dans ma chambre, vous en assurer par vous-même. Le corps est là, à l’endroit où il est tombé, en recevant le coup mortel.»

Le roi courut à la chambre du prince, aussi vite que ses vieilles jambes le lui permirent. Il entra dans une colère terrible, en voyant l’erreur qu’il avait commise. Il se démenait comme un fou furieux.

Au bout de quelques jours, quand il fut un peu apaisé, il fit venir son fils.

«Je vois bien, lui dit-il, que je ne gagnerai rien à te faire marier contre ton gré. Il faut pourtant bien que tu te maries, pour que ma couronne ait des héritiers: qui veux-tu épouser? Dis-le franchement.


LE VIEUX MORGAN LUI ABATTIT LA TÈTE D’UN SEUL COUP.

–Mona, la fille de la terre, mon père.»

Le vieux roi ne répondit pas et s’en alla... Il réfléchit, pendant huit jours, à toute cette affaire. Il se rappela l’histoire du repas de noces, il chercha à s’expliquer la fin tragique de la jeune Morgane. Il comprit que le prince était un grand magicien, que lutter contre son pouvoir serait inutile et que, d’ailleurs, Mona et lui seraient toujours d’accord pour avoir raison d’un vieux rival aussi odieux a l’un qu’à l’autre. Après bien des soupirs, bien des grognements, bien des rebuffades, il se résigna enfin à ce qu’il ne pouvait empêcher. Il accorda son consentement, et Mona, la fille de la terre, devint la femme du plus beau des Morgans.

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