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II

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Goulven, comme son aîné, avait marché longtemps, longtemps, portant son coq, cherchant fortune et ne trouvant même pas un gîte pour la nuit. Il couchait à la belle étoile, se nourrissait de fruits sauvages, buvait l’eau des fontaines, et, quand il était trop las, se reposait sur la bruyère. Un soir, exténué de fatigue, il arriva devant la porte d’un beau manoir, et y frappa pour demander l’hospitalité.

Le portier ouvrit. «Que voulez-vous? dit-il.

–Être logés, mon petit camarade et moi, jusqu’à demain, s’il vous plaît. Ce sera une grande charité, car nous sommes bien las.»

Goulven avait une honnête figure et une voix agréable. Le portier vit tout de suite qu’il n’avait pas affaire à un malfaiteur.

«Entrez, dit-il, mon pauvre garçon, et reposez-vous. Mon maître est un homme charitable; il vous logera bien pour cette nuit.»

Goulven entra dans la grande cuisine, où tous les domestiques étaient réunis. Ils lui firent bon accueil; mais la vue du coq les étonna grandement.

«Quel bel oiseau! disaient-ils; comme il a l’air hardi et éveillé! et quelle singulière coiffure il porte! Nous n’avons jamais vu son pareil!»

Goulven soupa avec eux, puis alla, comme eux, coucher à l’écurie, emmenant son coq. Du grenier, où il était étendu sur des bottes de paille, il entendait la conversation des charretiers et des valets de ferme.

«Allons! disaient-ils entre eux, qui est-ce qui va veiller, cette nuit, pour voir venir le jour. Est-ce toi, Léonic?

–Oh! moi, je suis fatigué, j’ai labouré tout le jour, je n’en puis plus.

–Alors, toi, Yves?

–Ce n’est pas mon tour, j’ai veillé avant-hier.

–Et Yvon!

–Je suis tout malade; j’ai la tête à l’envers.

–Alors, ce sera Fanche?

–Certes non; j’ai gardé, toute la nuit dernière, ma femme, qui est au plus mal; veille toi-même!»

Ils se rejetaient ainsi l’un à l’autre la peine de veiller, et finirent par se quereller bruyamment. Goulven, étonné de ce qu’il entendait, leur cria:

«Pourquoi donc avez-vous besoin de voir venir le jour?

–C’est le seigneur qui le commande ainsi, lui dirent-ils, et il faut que, chaque nuit, trois d’entre nous restent éveillés, pour prévenir les autres, quand le jour arrive. S’il n’y en avait qu’un seul, il pourrait s’endormir, et le jour serait déjà venu depuis longtemps, que personne ne s’en douterait.

–N’est-ce que cela? dit Goulven; ne vous inquiétez de rien; dormez tout votre soûl, mes amis, je me charge de votre besogne.

Vous vous chargez, tout seul, de voir venir le jour et de nous l’annoncer?

–Oui, moi et mon compagnon.

Mais, malheureux, si vous vous endormez et que vous ne vous réveilliez pas à temps, le maître s’en apercevra, et vous fera pendre sans miséricorde.

–Laissez-moi faire, vous dis-je; je réponds de tout.» Là-dessus, les garçons d’écurie et les charretiers se couchèrent tous et s’endormirent.

Vers trois heures du matin, le coq chanta...

Les hommes se réveillèrent en sursaut.

«Qu’est-ce qu’il y a? Qu’est ceci?» s’écrièrent-ils:

Ce n’est rien, dit Goulven; ne vous dérangez pas. Mon petit camarade dit qu’il va bientôt voir le jour.

Et ils se rendormirent.

Vers les quatre heures, le coq chanta encore.

Ils se réveillèrent de nouveau et crièrent .

«Qu’est-ce que c’est? Qu’est-ce que c ’est?

–C’est mon camarade qui annonce le jour, dit Goulven. Levez-vous et voyez!»

Une bande rose vif s’étendait à l ’horizon, au bord du ciel, sur la bruyère, et les rayons du jour naissant entraient par les petites fenêtres de l’écurie. Les hommes se levèrent en criant: «Le jour arrive! Le jour est venu!»

Et ils coururent avertir leur maître.

«Si vous saviez, maître!!!

–Quoi donc? Qu’est-il arrivé? Pourquoi venez-vous me réveiller, sitôt?

Vous savez l’étranger que vous avez logé cette nuit, avec son petit animal, qu’il nomme coq?

–Oui. Eh bien! qu’a-t-il fait?

–Ce qu’il a fait?–Ce petit animal, qui a l’air d’un oiseau comme un autre, ou à peu près, en sait plus long que nous tous, et que vous-même, maître, sauf respect. Ce matin, pendant que nous dormions tranquillement, il a vu venir le jour et nous l’a annoncé, et quand le moment de se lever est venu, il a chanté, si haut, si clair pour nous le dire, que pas un œil n’est resté fermé.

–Ce n’est pas possible! Vous vous moquez de moi!

–Rien n’est plus vrai, maître, et si vous aviez ce petit animal-là chez vous, vous n’auriez plus besoin de faire veiller personne pour voir venir le jour, et nous resterions chez vous très volontiers, car, à part cette histoire de nuits à passer, vous êtes un bon maître.

–Eh bien! qu’on dise à l’homme de ne pas quitter le manoir aujourd’hui. La nuit prochaine, j’irai veiller avec vous, et nous verrons ce que sait faire son fameux animal.»

Le soir venu, après souper, les valets de ferme, les charretiers, les garçons d’écurie, allèrent tous se coucher, et Goulven grimpa dans son grenier avec le coq, non sans leur avoir répété qu’ils n’eussent à s’inquiéter de rien, que tout se passerait à merveille.

Le maître ne se coucha point. Vers trois heures du matin, il vint à l’écurie.

Quelques instants après, le coq chanta: Coquerico!

Le maître fut bien étonné.

«D’où vient cette, musique? dit-il.

–C’est mon coq qui annonce que le jour va venir, répondit Goulven. Attendez un peu et vous l’entendrez encore.»

A quatre heures, le coq fit de nouveau: Coquerico! Coquerico!!

–Pourquoi le coq a-t-il chanté? dit le maître.

–Parce que le jour est arrivé», dit Goulven.

Il ouvrit la porte; une clarté gaie emplit l’écurie, et le seigneur vit que le jour était en effet venu, tout rose et tout joyeux (on était au mois de mai). Il était émerveillé et n’en revenait pas de son étonnement.

«Si tu voulais me vendre ton petit animal, dit-il à Goulven, tu me rendrais un fameux service! Aucun domestique ne veut rester ici plus de trois mois. La besogne est toujours en souffrance; les labours n’en finissent pas, les semailles ne sont jamais faites à temps; les récoltes pourrissent sur pied: c’est une ruine pour ma maison. Vends-moi ton coq. Combien en veux-tu?


«VENDS-MOI TON COQ? COMBIEN EN VEUX-TU?»

–Mille écus, et une bonne pension au manoir pour moi.

–C’est entendu», dit le seigneur.

Goulven était un beau garçon, bon travailleur, toujours prêt à chanter gwerz ou zône, à repondre à une plaisanterie. Le seigneur le prit en grande amitié, sa fille fit de même Trois mois n’étaient pas écoulés que l’ami Goulven, entré au manoir par charité, était devenu le gendre du maître, et, bien nourri, bien vêtu, bien logé, se promenait comme un propriétaire.

Contes du pays d'Armor

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