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V OU TONY APPREND A QUOI PEUT SERVIR LA VALSE

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La jeune Hongroise n'avait remarqué, disait ensuite le manuscrit, ni les regards de mes amis braqués sur nous, ni le trouble que m'avait fait éprouver cette espèce de surveillance.

La danse finissait.

—Voulez-vous que je vous présente à mon père? me demanda la comtesse.

—Je vous en serai reconnaissant, répondis-je.

Elle continua à s'appuyer sur mon bras et me conduisit jusqu'à cette colonne contre laquelle le magnat était demeuré appuyé depuis que sa fille dansait.

—Mon père, lui dit-elle, je vous présente M. le marquis de Vilers.

Le magnat me salua avec la courtoisie d'un homme bien né, mais il n'y eut rien dans son geste, son regard ou sa voix qui pût me laisser croire que mon nom eût été déjà prononcé devant lui.

—Il paraît, pensai-je, que la belle comtesse n'a pas jugé convenable de lui parler du petit service que je lui ai rendu à Paris.

Puis, comme le magnat ne m'adressait que quelques paroles insignifiantes et semblait désirer que sa fille demeurât avec lui, je pris congé:

—Comtesse, dis-je en me retirant, m'accorderez-vous, cette nuit, l'honneur de vous faire valser?

—Avec plaisir, me répondit-elle, en m'enveloppant de ce sourire qui m'avait déjà enivré. Venez me chercher quand on valsera.

Elle prit alors à sa ceinture le petit bouquet que chaque danseuse, en Allemagne, a coutume de confier à son danseur, et elle me le donna en ajoutant:

—Vous me le rapporterez.

Je m'éloignai et voulus me perdre dans la foule, mais Gaston de Laveney me frappa sur l'épaule.

—Hé! hé! me dit-il, tu fais un peu trop tes affaires personnelles, marquis, il me semble...

—Moi? pas du tout.

—Te voilà présenté..., tu nous présenteras, j'imagine.

—Parbleu! dit Maurevailles qui s'approchait avec Marc de Lacy.

Marc ajouta:

—Cela va de soi. Tu dois nous présenter l'un après l'autre.

—Soit, répondis-je.

—Nous avons eu nos renseignements, nous aussi, dit Gaston de Lavenay.

—Ah!

—La belle a un amour au coeur...

Je tressaillis.

—Elle aime, nous a-t-on dit, un petit cousin à elle...

Ces mots me firent éprouver un éblouissement, et le sang fouetta mes tempes avec violence.

—Êtes-vous sûrs de cela?

—On dit tant de choses!

—Mais qu'importe! dit Gaston de Lavenay, il faudra bien qu'elle se résigne à aimer celui de nous qui...

—Moi, interrompit Maurevailles, je vais vous donner un autre renseignement.

—Voyons?

—La belle Hongroise habite un château en aval du Danube, sur la rive gauche, et à la frontière de l'Empire.

—Je sais cela.

—Attendez..., son père est un chasseur passionné, et il lui arrive de s'absenter deux ou trois jours de suite.

—Pour chasser?

—Oui.

—Hé! dit Marc de Lacy, cette indication est précieuse. Le père absent, on enlèvera plus aisément la fille.

—Comment! messieurs, fis-je avec aigreur, vous comptez donner suite à votre plaisanterie?

—Plaît-il? fit Gaston.

—Est-ce que tu te moques de nous? exclama Maurevailles.

—Non, mais...

—Ah! messieurs, dit Marc de Lacy, notre ami le marquis est plus roué qu'il n'en a l'air.

—Mais... je te jure...

—Il a avancé ses petites affaires et il voudrait maintenant nous distancer.

—Ma foi! dit Gaston, il me vient une idée.

—Voyons?

—Tu vas la prier de tirer elle-même du chapeau de Maurevailles le nom du vainqueur.

—Mais il faudra donc lui expliquer...

—Absolument rien. Tu lui diras que nous avons fait une gageure, que cette gageure est provisoirement un mystère.

J'étais au supplice.

Cependant je n'osai refuser.

En ce moment le prélude d'une valse se fit entendre.

La comtesse m'avait promis de valser avec moi.

—Messieurs, dis-je en grimaçant un sourire, je vais continuer à avancer mes affaires.

Et je les quittai brusquement.

La comtesse Haydée m'attendait, debout, auprès de son père, qui n'avait point quitté sa place.

J'allai m'incliner devant elle. Elle prit ma main en souriant.

—Allons, me dit-elle.

Je lui fis faire deux tours de valse sans pouvoir murmurer une seule parole, tant j'étais ému; mais elle me dit:

—J'ai tenu à valser avec vous, parce que je veux vous parler, marquis.

Je sentis, à ces mots, tout mon sang affluer au coeur.

Elle continua:

—Au point du jour, la trêve du dimanche finira, et il vous faudra regagner le camp français.

—Hélas! balbutiai-je, et dimanche prochain est bien loin.

—Pourtant, reprit-elle, il faut que je cause avec vous.

Sa voix trahissait une émotion contenue.

—... Que je cause avec vous, poursuivit-elle, longuement, pendant plus d'une heure.

—Je suis à vos ordres, comtesse.

Ma voix tremblait plus que la sienne.

—Et, dit-elle encore, il faut que mous soyons seuls.

Je tressaillis et je songeai à mes trois amis.

—Je vais quitter le bal dans une heure, continua-t-elle.

—Et puis?

—En sortant du faubourg, vous vous dirigerez vers le Danube.

—Bien.

—Vous verrez une petite maison blanche, isolée de toute autre habitation.

—Je la connais.

—Cette maison est inhabitée. Vous irez vous asseoir sur le seuil de la porte et vous attendrez!

A mesure que la comtesse parlait, mon coeur battait avec violence.

—Ah! soupira la jeune fille au moment où la valse finissait, je n'ai, hélas! foi qu'en vous...

Et comme je lui demandais l'explication de ces étranges paroles:

—Ne m'interrogez pas, dit-elle; dans une heure vous saurez tout.

J'allais la reconduire auprès de son père et sortir du bal, mais, en ce moment, je vis Maurevailles, Lacy et Lavenay qui s'avançaient vers nous.

Maurevailles avait à la main son tricorne qui renfermait nos quatre noms.

—Présentez-nous donc! fit-il.

Je devins fort pâle; mais je parvins néanmoins à me dominer, et, souriant à la jeune fille, je lui dis:

—Permettez-moi, comtesse, de vous présenter mes trois amis les hommes rouges.

Elle les salua avec une grâce charmante.

—Madame, lui dit alors Maurevailles, nous avons fait un pari, mes amis et moi.

—En vérité, fit-elle souriante.

—Nous avons une expédition à entreprendre. Il faut que l'un de nous se dévoue, me hâtai-je d'ajouter.

—Ah! mon Dieu! dit-elle. Mais vous êtes en pleine trêve, messieurs?

—Il ne s'agit point de guerre, madame.

—C'est différent, en ce cas.

—Et nous avons mis nos quatre noms dans un chapeau.

—Eh bien?

—Nous cherchons une main innocente pour remplir le rôle du destin; il était impossible d'en trouver une plus pure et plus belle, murmurai-je.

Elle eut un frais éclat de rire.

—Ah! comme vous voudrez! dit-elle.

Et elle mit sa main blanche dans le chapeau de Maurevailles.

Une violente émotion s'empara sans doute de mes trois rivaux, car je les vis pâlir.

Gaston de Lavenay, surtout, devint livide.


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