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X LE PREMIER BAL DE TONY

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Le bal de l'Opéra était, en ce temps-là, le rendez-vous de la cour et de la ville.

Les femmes de qualité, les grands seigneurs s'y pressaient.

Les abords de l'Opéra, alors situé où se trouve à présent le théâtre de la Porte-Saint-Martin, étaient, ce soir-là, dès minuit, encombrés de litières, de carrosses et d'une foule compacte de masques.

Deux litières arrivèrent à peu près en même temps et s'arrêtèrent devant le péristyle.

Deux jeunes femmes et un homme, ce dernier paraissant âgé et très embarrassé de sa personne, sortirent de l'une. Un jeune homme et une ronde commère sortirent de l'autre.

Les deux jeunes femmes et leur suivant portaient des costumes villageois que reconnurent la ronde commère et le jeune homme qui l'accompagnait.

Car ces costumes provenaient de la boutique de mame Toinon, et le jeune homme en question n'était autre que notre ami Tony.

Mais Tony était métamorphosé. Au lieu de son habit de droguet et de ses bas de filoselle, Tony portait un habit de drap soutaché d'or, un beau gilet à ramages, une culotte et des bas de soie.

Il était poudré à frimas, portait l'épée en verrouil, le tricorne sous le bras et avait tout à fait l'air et les façons d'un vrai gentilhomme.

Pour tous ceux qui le virent entrer, Tony était un jeune seigneur débauché qui dédaignait de se déguiser et s'en venait promener à l'Opéra sa jolie figure, à seule fin d'y faire des conquêtes.

Quant à la femme à laquelle il donnait la main, on a déjà reconnu mame Toinon.

Mame Toinon s'était déguisée en marquise.

Elle avait les bras nus ainsi que les épaules, un tout petit masque sur le visage, un masque qui, ne cachant presque rien, laissait admirer les dents, pétiller le regard, s'arrondir le sourire.

Tony la conduisit triomphalement dans la salle.

Mame Toinon le regardait et le trouvait charmant.

—Tu es un vrai gentilhomme, lui dit-elle.

Tony soupira.

—Et je vais être fière de danser avec toi.

—Déjà? fit-il naïvement.

Ce mot impressionna douloureusement la sensible costumière.

—Comment! dit-elle, tu veux me quitter?

—Non, mais...

—Ah! c'est que je suis un peu jalouse de mon cavalier, moi...

Et mame Toinon montra ses dents blanches, épanouit son sourire, et, pour la première fois sans doute, enveloppa son ami d'une oeillade assassine.

—Patronne, dit tout bas Tony, je suis prêt à vous faire danser... Tenez, justement on organise un menuet là-bas.

Mame Toinon prit la main que lui offrait son commis et dit tout bas:

—Garde-toi bien de m'appeler patronne; puisque nous jouons aux gens de qualité, il faut en avoir les façons. Tu m'appelleras baronne.

—Et vous, comment m'appellerez-vous?

—Moi, je t'appellerai chevalier. Viens.

—Ah! pardon, dit Tony, je vous ai dit que j'allais vous faire danser...

—C'est convenu.

—Mais à une condition...

—Comment, petit drôle? dit la costumière, tu me fais des conditions à présent...

—J'ai un devoir à remplir.

—Lequel?

—Il faut que j'exécute un article du testament du marquis de Vilers.

—Quel est-il?

—C'est un secret, patr... baronne, je veux dire.

La prétendue baronne n'eut point le temps de répondre, car l'orchestre la contraignit à se mettre en place.

Précisément, l'une des deux bergères, qui étaient entrées au bal en même temps que Tony et madame Toinon, donnait la main à un officier des gardes-françaises et se trouva faire vis-à-vis à la costumière et à son commis.

Le menuet commençait.

Tout en dansant, Tony dévorait des yeux la danseuse et se demandait:

—Est-ce elle ou sa compagne qui est la marquise de Vilers?

Il lui vint une inspiration.

Au moment où il dut, pour obéir aux lois du menuet, changer de danseuse et quitter mame Toinon pour sa cliente, il dit tout bas à cette dernière:

—Vous souvenez-vous de Fraülen?

Soudain l'inconnue tressaillit, se troubla, et Tony sentit sa main trembler dans la sienne.

Il était fixé.

—Fraülen, murmura la pauvre femme d'une voix émue. Vous avez entendu parler de Fraülen?

—Et du marquis de Vilers...

Elle tressaillit de nouveau et regarda cet adolescent au charmant visage, au doux sourire un peu triste, au regard plein de mélancolie.

—Qui donc êtes-vous? fit-elle avec plus de curiosité que d'effroi.

—Un ami...

—Votre nom?

—Le chevalier Tony, répondit le commis hardiment.

—Vous connaissez mon mari?

—Oui.

—Est-il ici?

—Non, et c'est lui qui m'envoie.

—Mon Dieu! fit la marquise avec inquiétude, où donc est-il?

—A Versailles, chez le ministre.

—Mais il reviendra cette nuit?

—S'il le peut...

—Et il vous envoie?

—Pour vous rassurer, madame.

Tony ne put en dire davantage; une nouvelle figure le sépara, et il rejoignit mame Toinon.

Le menuet fini, un flot de masques passa entre Tony et la marquise, qui se perdirent de vue un moment.

Un mousquetaire, qui venait au bal en quittant son service, charmé par les belles épaules, le léger embonpoint et le pied finement cambré de mame Toinon, papillonnait autour d'elle et lui disait mille galanteries.

Tony profita de la circonstance pour abandonner mame Toinon et se mettre à la recherche de la pauvre veuve.

Mais la foule était nombreuse, difficile à fendre, et notre jeune héros erra pendant un bon quart d'heure avant d'avoir aperçu celle qu'il cherchait.

Tout à coup, un homme dont le visage était découvert et qui portait un manteau rouge, passa près de lui.

Tony le reconnut sur-le-champ.

C'était ce gentilhomme qui avait tué l'infortuné marquis. C'était le comte Gaston de Lavenay.

—Il doit chercher la marquise, pensa Tony.

Et il se mit à le suivre. Il le vit errer à travers le bal, puis s'arrêter soudain.

Il s'arrêta aussi. Le comte fit tout à coup quelques pas en avant et salua. Il était en présence de la marquise de Vilers, dont le masque s'était détaché un instant, et qu'il avait aussitôt reconnue, bien que ne l'ayant pas vue depuis quatre longues années.

—Bonjour, marquise, dit le comte d'un air railleur.

Tony s'était glissé derrière elle.

—Monsieur!... fit la marquise, je ne vous connais pas.

—Nous allons, si vous le permettez, renouer connaissance. Je suis le comte de Lavenay, et vous êtes la marquise de Vilers.

La pauvre femme jeta autour d'elle un regard éperdu; elle semblait chercher un appui. En vérité, elle ne se souvenait plus de lui. Nous savons que le marquis ne lui avait jamais parlé du serment qui le liait aux Hommes Rouges, et, comme leur souvenir lui était exécrable, il avait toujours évité de prononcer leurs noms. La marquise pensait avoir uniquement affaire à l'un de ces hommes de plaisir, qui fréquentent l'Opéra, et ne se souciait nullement d'être l'héroïne d'une aventure de bal.

—Ah! marquise, reprit le comte, vous conviendrez que j'ai mis une certaine discrétion à ne point troubler votre lune de miel.

—Monsieur!...

—Cependant, deux de mes amis et moi, nous désirerions avoir un certain billet que nous vous avons confié un soir à Fraülen...

A la demande du comte, la mémoire revint à la marquise qui, ne sachant pas qu'elle avait devant elle l'un des plus grands ennemis de son mari, répondit légèrement:

—Oh! monsieur, excusez-moi. Le billet confié à Fraülen?... Vous me rappelez une bien lointaine histoire.

—Avez-vous au moins gardé ce billet?

—Non, certes. Je n'y pensais plus, quand un jour monsieur de Vilers l'a trouvé par hasard dans mon bonheur du jour...

—Il l'a ouvert?

—Parfaitement, puis l'a jeté au feu avec colère. Je me souviens même que jamais il n'a voulu me dire ce qui l'avait offensé dans ce papier. Mais venez le lui demander demain. Il sera peut-être moins discret avec vous.

—Votre mari ne nous dira rien, madame ricana le comte.

—Et pourquoi?

Le comte eut un sourire étrange et sans doute il allait ajouter:

—Votre mari ne nous dira rien, madame, parce qu'il est mort, parce que je l'ai tué!

Mais il n'en eut pas le temps.

Tony, qui était devenu, nous l'avons dit, un homme, Tony, qui n'avait pas cessé de se tenir auprès de la marquise et avait tout entendu, se dressa sur la pointe des pieds et jeta son gant au visage du comte.

—Vous êtes un lâche! dit-il.

Le comte, stupéfait, anéanti par une semblable insulte, étouffa un cri et fit un pas en arrière.

Puis il regarda son agresseur.

Tony n'était qu'un enfant, mais il avait l'oeil étincelant, les lèvres pâles, et il appuya la main sur la garde de l'épée qu'il portait pour la première fois, avec tant de fierté et de résolution que le comte de Lavenay comprit qu'il avait devant lui un adversaire sérieux.

—Vous êtes un lâche, répéta froidement Tony.

La marquise reconnut son vis-à-vis de tout à l'heure.

—Ah! chevalier, dit-elle, éperdue.

Ce titre qu'elle donnait à Tony acheva de faire illusion.

Le jeune Tony était beau; il était bien tourné; il portait galamment son habit de gentilhomme.

Le comte ne douta pas un instant qu'il eût affaire à un homme parfaitement né.

—Ah! mon petit monsieur, dit-il, je vais vous couper les oreilles sur l'heure.

—Venez donc, dit Tony, et priez Dieu qu'il vous rende la peau bien dure!

Il jeta un regard protecteur à la marquise et sortit, fier et hautain, sur les pas du comte, en se félicitant d'avoir décidé Joseph à venir au bal. Il le rencontra à quelques pas de l'endroit où s'était passée cette scène et lui confia la marquise.

Mame Toinon n'avait rien vu, rien entendu.

Elle était tout entière aux galanteries du mousquetaire qui lui donnait le titre de baronne.


Le serment des hommes rouges: Aventures d'un enfant de Paris

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