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II LE COFFRET D'ÉBÈNE

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Tony se pencha sur le gentilhomme qui respirait encore, le prit dans ses bras et l'adossa contre une arcade.

—Mon ami, balbutia le marquis, je suis frappé à mort...

—Au secours! cria Tony.

Mais la place était déserte, et personne ne vint.

—Tais-toi, dit le marquis, c'est inutile... seulement écoute-moi... et jure-moi de faire ce que je te dirai.

—Je le jure, répondit le jeune homme.

—Il y a, reprit le marquis, dans ma chambre à coucher, une armoire dont j'ai la clef sur moi; dans cette armoire, tu trouveras un coffret d'ébène... et... tu le porteras...

Un hoquet interrompit le moribond qui, laissant sa phrase inachevée, ouvrit cette brusque parenthèse:

—Surtout n'en dis rien à ma femme... avant demain. Elle veut aller ce soir au bal de l'Opéra. Que le dernier désir... que je lui aie entendu formuler... hélas!... soit au moins réalisé... Tu te présenteras à l'hôtel tout à l'heure... Mon valet de chambre Joseph... t'ouvrira; tu lui montreras cette clef... et tu prendras le coffret... tu le porteras à mon ami... le baron...

Le marquis n'eut point le temps de prononcer le nom du baron; il se souleva violemment, poussa un soupir, puis renversa la tête et tomba sur le sol.

—Ah! il est mort! s'écria Tony.

Pour la première fois de sa vie, le jeune homme se trouvait dans une de ces situations qui commandent à la fois la prudence et l'énergie.

Cependant il avait seize ans à peine, un âge où la réunion de ces deux qualités est rare.

Mais notre héros les déploya en cet instant critique.

Tout d'abord il fouilla le marquis et trouva sur lui une bourse assez ronde et une clef, la fameuse clef. Il mit le tout dans sa poche et se dit:

—Je restituerai la bourse à la famille et je me servirai de la clef pour avoir ce coffret dont il m'a parlé, et que je dois remettre à un baron... Il n'a pas eu le temps de me dire le nom du baron, mais je le trouverai peut-être dans le coffret.

Or Tony savait que le marquis demeurait dans l'île Saint-Louis, mais il ignorait son nom ainsi que celui de la rue où il avait son hôtel. Il fut donc obligé de revenir rue des Jeux-Neufs.

Là, il trouva mame Toinon qui avait déjà commencé sa toilette.

—Eh bien, dit-elle, te voilà de retour?

—Oui, patronne.

—Comme tu es pâle!

—Oh! ce n'est rien!...

—Mais il est arrivé quelque chose... c'est impossible autrement!...

Soudain la costumière jeta un cri:

—Ah! mon Dieu! dit-elle, tu as du sang sur les mains.

Alors Tony fut obligé de raconter à sa mère adoptive la scène étrange et terrible dont il venait d'être témoin.

Mame Toinon l'écouta en frémissant et finit par s'écrier:

—Mais il faut absolument informer sa famille! Cours, c'est le marquis de Vilers, capitaine aux gardes-françaises; il demeure rue Saint-Louis-en-l'Isle.

Tony secoua la tête.

—Il n'a pas voulu que j'avertisse sa femme; il me l'a demandé avant de mourir. Je lui obéirai.

—Soit; mais... ce coffret...

—J'exécuterai la volonté du défunt, répondit Tony avec une gravité qui n'était pas de son âge.

Mame Toinon secoua la tête.

—Mon pauvre enfant, dit-elle, il ne fait jamais bon de se mêler des affaires des gens de cour.

—J'ai juré, répondit Tony avec fermeté. Je tiendrai mon serment; je vais aller à l'hôtel de Vilers.

—Pour quoi faire?

—Mais pour prévenir le valet de chambre du marquis.

Et Tony qui, pour la première fois peut-être, se montrait rebelle aux exhortations de mame Toinon, Tony s'en alla, muni des deux renseignements qu'on venait de lui donner, et il reprit sa course vers l'île Saint-Louis.

Mame Toinon s'était laissée tomber tristement sur une chaise en murmurant:

—Adieu, mou bal de l'Opéra!

Tony courut à perdre haleine et gagna l'île Saint-Louis en moins de temps qu'il n'en avait mis à venir de la place Royale à la rue des Jeux-Neufs.

Le commissionnaire attendait toujours à l'entrée de la rue Saint-Louis, appuyé sur son crochet qu'il avait mis bas et placé le bout inférieur en terre.

—Viens avec moi, lui dit Tony.

—Hé! dit le commissionnaire, je commençais à perdre patience, ma foi!

—Viens

—Et ce gentilhomme, où est-il?

—Viens toujours.

Le jeune homme jugea inutile de donner des explications à l'Auvergnat et s'en alla avec lui jusqu'à la porte de l'hôtel de Vilers. Là il lui dit:

—Laisse ton crochet, va sonner à la porte, et, quand elle sera ouverte, tu entreras chez le suisse et tu lui diras que tu veux parler à Joseph, le valet de chambre de M. le marquis; ensuite tu me l'amèneras.

Le commissionnaire exécuta ponctuellement les ordres de Tony.

Tony attendit quelques minutes, puis il vit venir à lui un vieux laquais grisonnant.

—Est-ce vous qui me demandez? fit-il en regardant curieusement Tony.

—C'est moi.

—Que me voulez-vous?

—Je viens de la part du marquis votre maître.

—Ah! fit le laquais, vous l'avez vu?

—Oui.

—Voici trois fois que madame la marquise sonne pour savoir s'il est rentré.

—Il ne rentrera pas.

—Pourquoi donc?

Tony répondit sans s'émouvoir:

—Parce qu'il vient de partir pour un voyage de vingt-quatre heures.

—Oh! c'est impossible! dit vivement le laquais; madame la marquise l'attend pour aller au bal de l'Opéra.

—Je le sais bien, puisque j'apporte les costumes.

Et Tony montra les trois cartons superposés sur le crochet du commissionnaire.

—Tiens! dit le valet, c'est tout de même bizarre.

Alors Tony prit la main de Joseph et lui dit en la pressant affectueusement:

—Vous aimiez donc bien votre maître, mon ami?

—Mais je l'aime encore, je l'aime toujours!

—Hélas! votre amitié, votre dévouement lui sont désormais inutiles.

Le valet étouffa un cri.

—Il est mort!... ajouta Tony.

—Mort? mort?? mort??? répéta le valet sur trois tons différents.

—Oui.

—Oh! ce n'est pas possible...

—Il est mort... depuis une heure... Il a été tué en duel, sur la place Royale, par un gentilhomme...

—Tué en duel par un gentilhomme?

—Oui.

—Savez-vous le nom de ce gentilhomme?

—Je l'ignore; mais je sais qu'il a fait le tour du monde tout exprès pour se battre avec votre maître.

—Ah! s'écria le valet qui paraissait posséder les secrets du marquis, c'est un des Hommes rouges! il fallait s'y attendre...

Et le valet se prit à pleurer.

Tony lui raconta alors la scène dont il avait été témoin, puis les dernières recommandations du marquis.

—Ainsi, dit Joseph, il veut que sa femme aille à l'Opéra?

—Oui.

—Mon Dieu! comment faire?

Tout à coup, Joseph se frappa le front.

—Je vais dire à ces dames, fit-il, que le roi, qui est à Versailles, a fait demander le marquis, et que, sans doute, il reviendra cette nuit.

—C'est cela!

—Mais... la cassette?

—Ah! c'est juste..., venez avec moi.

Le valet, qui était fort troublé, fit entrer Tony dans la cour de l'hôtel, débarrassa le commissionnaire de ses cartons, le paya et le renvoya. Puis il remit les cartons à un autre valet auquel il dit:

—C'est pour madame la marquise; cela vient de mame Toinon.

Tandis que le valet portait les costumes, Joseph prit Tony par la main, lui fit prendre un escalier de service et le conduisit au premier étage de l'hôtel.

Puis il poussa une porte devant lui et posa sur un meuble le flambeau qu'il avait pris chez le suisse.

—Voilà le cabinet de mon pauvre maître, dit-il; l'armoire est en face..., cherchez le coffret... Moi, je vais dire à madame que M. le marquis est à Versailles.

Et le valet, qui était en proie à un trouble et à une douleur extrêmes, laissa le jeune homme sur le seuil de la chambre qu'il appelait le cabinet de son maître.

C'était une vaste pièce tendue d'étoffe sombre et d'un aspect assez triste. Tony, un moment immobile sur le seuil, finit par entrer et ferma la porte derrière lui.

Jamais notre héros n'avait eu dans sa vie une heure aussi agitée que celle qui venait de s'écouler; jamais il n'avait été investi d'une mission pour ainsi dire aussi solennelle.

Il faut croire que la gravité des circonstances lui donna à ses propres yeux une véritable importance, car il s'enhardit tout à fait et se dit:

—J'ai fait un serment, je le tiendrai, et Dieu me punisse si je n'exécute pas fidèlement les dernières volontés de ce gentilhomme qui a eu confiance en moi!

Tony aperçut, en face de lui, l'armoire indiquée par le valet de chambre.

C'était un grand bahut de la Renaissance, à ferrures de cuivre, pourvu d'une fine serrure tréflée, comme on en fabriquait depuis peu.

Il prit la clef qu'il avait trouvée sur le marquis et la mit dans la serrure.

La clef entra, tourna deux fois et le bahut s'ouvrit.

Tony vit alors un joli coffret d'ébène sculpté, après lequel se trouvait une clef.

Il se hâta de l'ouvrir, moins par un sentiment de curiosité que dans le but de trouver dedans un indice quelconque qui pût le mettre sur la trace du destinataire, de ce baron dont le nom avait expiré sur les lèvres du marquis mourant.

A la grande surprise du jeune homme, le coffret ne renfermait qu'un cahier de parchemin, couvert d'une grosse écriture, et une lettre.

La lettre n'était point cachetée et portait cette inscription:

Au baron de C... on à celui qui trouvera ce coffret.

Tony, que cette initiale ne renseignait pas beaucoup, prit le parti d'ouvrir la lettre et lut:

«Mon cher ami,

»Je puis mourir demain. L'artilleur qui met le feu à une pièce de canon fêlée, le mineur qui travaille sous terre, le pêcheur assailli loin de la côte par une tempête, sont moins près de la mort que moi. Un poignard menace ma poitrine à toute heure; j'ai, comme Damoclès, une épée suspendue sur ma tête, et j'écris ces lignes en prévision de quelque catastrophe.

»Toi ou celui qui lira le cahier ci-joint, où je raconte l'histoire étrange de mon existence, vous me vengerez, si je meurs!...

»Marquis DE VILERS.»

Cette lettre bizarre et sinistre impressionna si vivement la jeune imagination de Tony, qu'il oublia mame Toinon, et Joseph, le valet de chambre, et le lieu où il se trouvait. Il alla fermer la porte au verrou, plaça le coffret et le flambeau sur une table, prit un siège et se mit à lire avec une curiosité ardente le manuscrit du marquis, lequel avait ce simple titre:

MON SECRET.


Le serment des hommes rouges: Aventures d'un enfant de Paris

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