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IX OU TONY LIT LE DERNIER MOT DU SECRET
DU MARQUIS

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La jeune fille,—acheva de lire Tony,—m'attendait avec impatience. A ma voix, elle étouffa un cri de joie.

—Ah! venez vite, me dit-elle, j'ai une bonne nouvelle à vous donner.

—Parlez, répondis-je en lui baisant la main.

—Le comte part.

—Où va-t-il?

—A Vienne, où l'empereur le demande.

—Et il ne vous emmène point?

—Il le voulait; mais, depuis le matin, je me prétends malade.

—Et il consent à vous laisser ici?

—Oh! non pas, il m'envoie dans son château des bords du Danube.

—Avec qui?

—Sous la garde de ma gouvernante et d'une sorte d'intendant eu qui il a une confiance aveugle...

—Mais alors...

—La gouvernante est cette femme qui vous a conduit ici.

—Et l'intendant?

—Je l'ai acheté à prix d'or. Il favorisera notre fuite.

—Eh bien, lui dis-je, cela tombe à merveille, car, démon côté, j'ai tout préparé.

—Vraiment?

—J'ai loué une barque pour descendre le Danube. Elle est montée par deux Bulgares.

—Mais, me dit-elle, si nous descendons le Danube, où irons-nous?

—En Turquie d'abord, afin qu'on perde nos traces.

—Et puis?

—En France.

—Oh! Paris, me dit-elle avec un naïf enthousiasme, Paris!... le paradis eu ce monde! c'est là que je veux vivre.

Je ne quittai Haydée que vers trois heures du matin, comme la nuit précédente.

Le lendemain, le comte partit pour Vienne, et sa prétendue fille monta dans une litière avec sa gouvernante.

A une lieue de Fraülen, la litière s'arrêta.

En cet endroit la route côtoyait le Danube et une barque était amarrée dans les roseaux.

Quatre hommes montaient cette barque, moi et mon domestique, déguisés toujours en paysans hongrois, et deux mariniers bulgares.

L'intendant consentit à s'en aller, et la jeune fille et sa gouvernante s'assirent dans l'embarcation.

Nous descendîmes le Danube jusqu'à la mer Noire.

Là nous trouvâmes un navire de commerce français qui faisait voile pour le Bosphore.

Deux mois après, nous débarquions à Marseille, et huit jours plus tard nous arrivions à Paris.

Vous me permettrez, mon ami, de vous résumer en quelques lignes ma vie tout entière à partir de cette époque. J'étais parjure avec mes amis, et, malgré toutes les précautions que j'aie pu prendre, ils ont su que je les avais trahis et que j'avais enlevé Haydée.

Longtemps mariés secrètement, nous avons vécu ignorés.

Malheureusement, un jour, nous eûmes la folie de penser que ni Marc de Lacy, ni Maurevailles, ni Lavenay, à quatre années de distance, ne reconnaîtraient dans mademoiselle Haydée de Tresnoël, devenue marquise de Vîlers, la jeune comtesse hongroise de Mingrélie.

J'annonçai publiquement mon mariage, et nous vînmes habiter mon hôtel de l'île Saint-Louis.

Mais, il y a huit jours, j'ai reçu la lettre suivante, que je transcris textuellement:

«Marquis,

«Te souviens-tu de Fraülen?

«D'abord nous t'avons soupçonné de nous avoir trahis et d'avoir enlevé la comtesse Haydée.

«Aujourd'hui nos soupçons se sont changés en certitude, et tu peux t'attendre à notre visite.

«Nous avons fait un nouveau serment, nous, tes anciens amis: le serment de te tuer.

«Gaston de Lavenay part le premier pour Paris.

«Attends-le sous huit jours.

«Après Gaston, ce sera Marc; après Marc, ce sera moi.

«MAUREVAILLES.»

Je les connais, ils viendront. Je les attends!...

C'est une fatalité, mon ami; mais je n'ai plus qu'un moyen de vivre tranquille avec ma femme et sa jeune soeur qui était restée à Paris et que nous avons attirée auprès de nous, c'est de tuer ces trois hommes l'un après l'autre...

Haydée ne sait rien.

Là finissait le manuscrit, qui ne portait plus qu'une signature, celle du marquis de Vilers.

Pendant un moment, le commis de mame Toinon demeura comme stupéfait.

Les pages qu'il venait de lire avaient produit sur lui une si vive impression qu'il se demanda tout d'abord s'il ne rêvait pas.

Puis sa jeune imagination s'éveilla. Il se sentit devenir homme. Il pensa:

—Pour avoir été si ardemment aimée par ces quatre officiers, cette comtesse Haydée, aujourd'hui marquise de Vilers, est donc bien belle? Qui la protégera maintenant? Et ce pauvre marquis que j'ai vu mourir, qui le vengera? Qui défendra sa mémoire? Où le trouver, ce baron de C... à qui est adressé le manuscrit?

Et, tout à coup, Tony, qui se prenait au sérieux, se frappa le front et s'écria:

—En attendant, monsieur de Vilers est abandonné là-bas dans la boue de la place Royale.

Et vite il ouvrit la porte de la pièce en emportant le coffret.

Dans le corridor, il rencontra Joseph, le brave valet de chambre, qui s'essuyait les yeux et faisait des efforts inouïs pour ne pas sangloter.

—Du courage! lui dit-il.

—Ah! mon jeune ami, lui répondit celui-ci, il faut en avoir de reste pour savoir ce que je sais et faire ce que je fais. Il était si bon, mon pauvre maître, si vraiment gentilhomme! Quand, afin d'obéir à sa dernière volonté, j'ai porté vos costumes à ma maîtresse pour ce bal où elle doit se rendre, il me semblait à chaque instant que les larmes allaient me trahir. Ah! vous n'avez pas besoin de me recommander d'avoir du courage. Je vous jure que j'en ai.

—Eh bien, reprit Tony, il vous en faudra un plus grand. Vous comprenez bien que deux honnêtes femmes ne peuvent aller toutes seules au bal de l'Opéra. Mon pauvre Joseph, mettez le costume que votre maître aurait pris et accompagnez-les.

—Mais vous voulez donc que je meure en route?

—Je ne veux rien, dit Tony. Je n'ai le droit de rien vouloir. Je vous prie seulement de veiller sur celle que son mari ne peut plus protéger.

Et ces mots furent prononcés sur un ton si simple et à la fois si convaincu que le vieux valet de chambre répondit:

—C'est juste. Quand le maître n'est pas là, il faut que le chien de garde y soit. Je ferai ce que vous dites, mon ami.

—Eh bien, à demain, reprit Tony. Ainsi que le marquis m'en a prié, je viendrai apprendre à la marquise la terrible nouvelle... après qu'elle aura goûté le dernier plaisir souhaité devant lui.

Sur ces mots, le jeune homme s'éloigna et se dirigea vers la place Royale. Il voulait faire déposer jusqu'au lendemain chez mame Toinon le cadavre du marquis.

A son grand étonnement, la place, toujours déserte à cette heure, était pleine de monde. L'hôtel près duquel le marquis avait été frappé était éclairé et ouvert; de nombreux groupes causaient sur le pas de la porte.

Tony s'approcha et prêta l'oreille.

—Il n'y a plus de sûreté dans Paris, disait un bon bourgeois.

—Mais ce doit être un duel, répliquait un autre.

—Je vous soutiens que c'est un assassinat.

Instinctivement Tony pensa que la prudence lui faisait un devoir de se taire.

—Si je parle, se dit-il, ils m'entraîneront chez le lieutenant de police qui me retiendra et me prendra mon temps. J'ai un autre soin à remplir.

Et, se glissant dans les groupes, il écouta un mot par-ci, un mot par-là. Au bout de quelques minutes, il savait que le corps du marquis, rencontré par des passants qui avaient réveillé tous les habitants de la place Royale, venait d'être transporté au Caveau des morts.

C'est ainsi qu'à cette époque on appelait la Morgue.

Le Caveau des morts était situé dans le sous-sol de la prison du Châtelet.

A seize ans, on a de bonnes jambes. Tony arriva au Châtelet en même temps que les gens de police qui portaient la civière. Une crainte le tourmentait. Il se disait:

—Que l'on trouve dans les poches du marquis un papier à son nom ou que quelqu'un le reconnaisse, on ira aussitôt avertir froidement, brutalement sa femme. Il faut que j'empêche cela.

Et, s'introduisant dans le Caveau des morts derrière les gens de police, il se cacha sous l'une des nombreuses civières déposées dans la première salle et attendit que ceux-ci fussent partis.

Dès que le gardien les eut reconduits, sa lumière à la main, jusqu'au seuil de la porte et se fut barricadé, Tony, pour ne pas l'effrayer, se mit à tousser légèrement.

Le gardien dressa la tête.

Tony recommença un peu plus fort.

Le gardien entra dans la loge ou reposait sa femme et dit à celle-ci:

—Écoute donc.

Tony eut un gros rhume. La gardienne dit:

—Est-ce que ce monsieur qu'on vient d'amener ne serait pas mort? Veux-tu que je me lève?

Il faut croire que cette excellente femme n'avait pas une foi très grande dans la bravoure de son époux; mais le commis de mame Toinon l'ayant entendue faire cette réflexion et voulant lui épargner la peine de prendre froid, sortit de sa cachette et se montra timidement à la porte de la loge.

—Au secours! s'écria le gardien.

—N'ayez pas peur, dit Tony, je ne vous veux que du bien.

—Eh! il a l'air gentil, ce petit-là, fit la gardienne... Écoute-le donc pourvoir.

Après leur avoir raconté comment il se trouvait devant eux, le commis à mame Toinon ajouta:

—Je connais le gentilhomme qu'on vient de placer dans le Caveau.

—Eh bien, grommela le gardien, ce n'est pas à cette heure-ci qu'on fait les déclarations.

—Aussi ne suis-je pas venu pour en rédiger une.

—Qu'est-ce que vous demandez alors?

—Pour des raisons particulières, il ne faut pas que la femme de ce gentilhomme, madame la marquise, soit informée de sa mort avant que je vous le dise.

—Comment, c'est un marquis! s'écria la gardienne.

—Et très riche! répondit Tony. Je vous promets, au nom de sa femme, une forte somme si vous vous arrangez de façon qu'on ne reconnaisse pas le cadavre avant demain à midi. Songez donc, on le lui porterait. Jugez de la douleur de la pauvre femme qui croit son mari en parfaite santé.

Et Tony donna de si excellentes raisons, sentimentales et pécuniaires, que le gardien, et la gardienne, dans l'espérance de faire une bonne affaire en même temps qu'une bonne action, lui promirent tout ce qu'il voulut.

—Alors une dernière prière, ajouta le jeune homme. Permettez-moi de le voir ce soir.

—Ça, c'est plus facile que le reste, dit le gardien, qui commençait à exagérer l'importance de ses services pour être mieux récompensé.

Et il fit pénétrer le jeune ami du marquis dans le Caveau des Morts.

Sur une dalle de pierre, à côté de cinq ou six autres cadavres, reposait l'infortuné dont Tony possédait le secret.

Pâle et blême, les yeux encore ouverts, le marquis avait, dans la mort, une expression de douceur et de beauté qui impressionna vivement le témoin de sa dernière heure.

Tony, d'abord, lui ferma les yeux, puis l'embrassa et s'agenouilla.

Quelle inspiration d'en haut lui vint pendant sa courte prière? Nous ne saurions le dire. La vérité est qu'en se relevant, le jeune homme s'écria:

—Monsieur le marquis, je demandais qui protégerait votre veuve et qui vous vengerait. Eh bien, ce sera moi!

Et Tony, étendant la main sur le cadavre, ajouta solennellement:

—Je le jure!!!

Puis il déposa un dernier baiser sur le front du gentilhomme, remercia de nouveau le gardien et sortit.

Un quart d'heure après, Tony entrait chez mame Toinon et lui disait:

—Je veux aller à l'Opéra!...

La costumière jeta un cri de joie, sans avoir le soupçon des graves événements que cette soirée allait préparer, et se hâta tellement qu'elle ne vit pas même son commis serrer le coffret qu'il portait, dans un vieux bahut dont il avait la clef...


Le serment des hommes rouges: Aventures d'un enfant de Paris

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