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VII OU TONY EST INITIÉ A UNE SOMBRE HISTOIRE
D'AMOUR

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Je me trouvai, disait encore le marquis de Vilers dans ce manuscrit si palpitant, à l'entrée d'un joli boudoir comme nos marquises de Versailles savent en avoir.

C'était un boudoir à la française avec des meubles de Boule, des sièges en bois doré, recouverts de tapisseries des Gobelins; les murs étaient tendus d'une étoffe de soie d'un gris tendre à grands ramages.

Ça et là, j'aperçus des tableaux, des bronzes, des statuettes d'un goût parfait.

Je n'étais plus chez une Hongroise, j'étais chez une femme de qualité de Versailles.

Ce boudoir était vide cependant.

—Entrez, me dit la femme encapuchonnée, et attendez.

Je fis quelques pas dans cette pièce que deux flambeaux à trois bougies éclairaient, et je m'assis sur un canapé auprès de la cheminée, où flambait un grand feu.

—Si je suis tombé dans un piège, pensai-je, il faut convenir que celui qui m'y attire mène galamment les choses.

Mais à peine avais-je fait cette réflexion, qu'une portière s'écarta dans le fond du boudoir.

Je me levai précipitamment, et un cri de surprise et de joie m'échappa.

La belle Hongroise pénétrait dans le boudoir et vint à moi.

—Pardonnez-moi, me dit-elle, de ne m'être point trouvée moi-même au rendez-vous que je vous ai donné. Ce n'est point ma faute, en vérité; c'est celle des circonstances. J'ai craint que nous ne fussions surpris... et j'ai préféré ce lieu.

—Qu'importe! lui répondis-je, puisque j'ai le bonheur de vous voir.

Elle eut un sourire triste et me demanda:

—Par où êtes-vous venu?

—Par... là... fis-je en me retournant vers le mur, et en reconnaissant avec surprise que ce mur n'avait aucun indice de porte.

Elle tira tout à fait la portière qu'elle avait soulevée pour entrer.

—C'est mon boudoir, me dit-elle; il dépend de la maison de ville que nous possédons à Fraülen, mais au lieu d'y pénétrer par cette porte, vous y êtes venu par une autre, que moi seule et la femme qui vous a amené connaissons.

—Mon Dieu, ajouta-t-elle avec tristesse, savez-vous que si on vous surprenait ici, vous seriez perdu?

J'eus un fier sourire de dédain.

—Et moi aussi peut-être, ajouta-t-elle en courbant le front.

Alors seulement je frissonnai et jetai un regard inquiet autour de nous. La comtesse Haydée vint s'asseoir auprès de moi, prit ma main et me dit:

—Monsieur le marquis, laissez-moi vous répéter que vous êtes le seul homme en qui j'aie foi.

—Oh! répondis-je, permettez-moi donc alors d'être le plus fier des hommes.

—J'ai osé venir à vous, me dit-elle, car vous êtes brave et loyal et me l'avez déjà prouvé.

—Comtesse...

—Ah! poursuivit-elle, tous ceux qui me voient jeune, belle, couverte de pierreries, adorée de tous, s'imaginent que je suis la plus heureuse des femmes. D'autres encore prétendent, en me voyant refuser tous ceux qui aspirent à ma main, que je suis une jeune fille sans coeur. Hélas! les uns et les autres se trompent. Vous seul saurez le secret de ma mystérieuse existence.

La jeune fille parlait avec une émotion grave, pleine de dignité. Je pris sa main et la portai respectueusement à mes lèvres.

—Madame, lui dis-je, quelque terrible que puisse être le secret que vous allez me confier...

—Oh! dit-elle en m'interrompant, je sais qu'il sera gardé.

—Parlez donc, madame, je vous écoute...

—Monsieur le marquis, reprit-elle, je ne suis point la fille du comte.

Je fis un geste de surprise.

—Je ne suis pas Hongroise.

A cette révélation, mon étonnement redoubla.

—Je suis née à Paris, il y a aujourd'hui dix-neuf ans, et je ne suis point comtesse de Mingréli.

Le comte de Mingréli n'est pas même mon parent, et cependant il m'aime avec une sauvage affection, avec une affection qui m'est odieuse et m'épouvante.

—Mon Dieu! m'écriai-je en frissonnant, qu'allez-vous m'apprendre?

Elle me comprit sans doute, car son visage eut une expression de défi, tandis qu'elle ajoutait:

—Oh! rassurez-vous, je suis restée digne de moi-même. Le comte, après m'avoir aimée comme un père, m'aime à présent d'une autre affection; il voudrait m'épouser. Mais, je vous l'ai dit, ce vieillard à demi sauvage m'épouvante et, jusqu'à présent, j'ai refusé son amour... et j'ai pu le forcer à respecter ma résistance. Hélas! je ne sais ce que me garde l'avenir. Si on ne vient à mon aide...

—Oh! m'écriai-je avec enthousiasme, je vous protégerai, moi, je vous défendrai.

—Merci! me dit-elle. Écoutez encore...

Je regardai la comtesse, dont la voix était émue.

Elle reprit:

—Voici mon histoire. Je m'appelle Haydée de Tresnoël, et je suis la fille cadette du comte Armand de Tresnoël.

—L'ancien colonel de Royal-Cravate?

—Oui.

—Mais je me suis battu sous ses ordres!...

—Je le sais, me dit-elle en souriant.

—Oh! poursuivez, madame, et dites-moi...

—Attendez... Mon père a long-temps servi en Autriche. Il y avait connu le comte de Mingréli et s'y était lié avec lui.

Une année, j'avais alors dix ans, le comte vint à Paris, se présenta chez mon père, à qui il venait rendre visite, et jeta un cri terrible en m'apercevant.

Je ressemblais d'une façon étrange à une enfant que le malheureux avait perdue six mois auparavant.

Chez lui, toutes les affections sont violentes, vivaces et sentent un peu l'homme primitif.

Le comte aimait ardemment sa fille morte; en me voyant, il se prit pour moi, qui lui ressemblais, d'une ardente affection. Pendant un an, il ne quitta point Paris. Il logea chez mon père, il y vécut; il ne me quitta pas.

J'étais sa fille.

Mon malheureux père, vous le savez, continua la jeune fille, fut tué en duel. J'avais déjà perdu ma mère.

Mon père mort, je devais être confiée à une parente éloignée.

Le comte se chargea de moi, mais il s'en chargea à une condition qui devait faire le malheur de ma vie.

Il ne m'adoptait point, il me faisait passer pour sa fille et me substituait à elle, grâce à cette ressemblance.

Tout le monde, en Autriche et en Hongrie, me croit sa fille, et c'est pour lui, à moins qu'il ne m'épouse, le seul moyen de m'assurer son immense fortune.

La jeune fille s'arrêta un moment et me regarda silencieusement. Elle était émue; une larme brillait dans ses yeux.

—Ainsi, lui dis-je, après vous avoir aimée comme sa fille...

—Il voudrait faire de moi sa femme.

—Mais c'est un vieillard! m'écriai-je.

—Oh! répondit-elle, à l'heure où il aurait pu, pour la première fois m'avouer son amour, j'étais encore une enfant, je l'aimais plus qu'aucun homme au monde, et j'eusse fait ce qu'il m'aurait demandé sans y réfléchir.

—Mais depuis...

Elle s'arrêta une seconde fois et soupira.

Pour la seconde fois aussi, j'éprouvai un tressaillement bizarre.

Était-ce un pressentiment?

Elle avait un nom et un aveu sur les lèvres; mais elle se domina sans doute et me dit brusquement:

—Croiriez-vous que cet homme s'est pris pour moi d'un amour si violent, si étrange, si effrayant, que sa jalousie est devenue mon supplice de toutes les heures et de tous les instants!

Un jour, un jeune officier de hussards m'a demandée en mariage.

Le comte a refusé net.

Le jeune homme a osé m'écrire; il a fait plus, il est venu errer sous mes fenêtres. Un matin, on l'a trouvé mort dans un des fossés du château. Le comte l'avait tué pendant la nuit.

—Quelle infamie! m'écriai-je.

—Un autre jour, continua la jeune fille, ce tyran a osé me dire: «Vous ne voulez point être ma femme, soit! mais jamais vous n'aurez d'époux... je tuerai tous ceux qui vous aimeront.»

La jeune fille s'arrêta encore, et la larme que j'avais vue briller dans son oeil, roula lentement sur sa joue. Je pris sa main dans les miennes:

—Eh bien, lui dis-je, que dois-je faire? Qu'attendez-vous de moi?

—Sauvez-moi! me dit-elle.

Je jetai un cri.

—Ah! tenez, acheva-t-elle, vous souvenez-vous de cette nuit... où j'allais à l'Opéra... où vous m'avez sauvée?...

—Oui.

—Eh bien, depuis lors...

Elle s'arrêta... Sa voix était tremblante, étouffée.

—Achevez? je vous en conjure! m'écriai-je hors de moi.

—Eh bien!... cette nuit-là, j'ai compris que je ne pouvais épouser le comte...

Les dernières paroles de la jeune fille m'avaient ouvert le ciel.

Elle m'aimait!

Pendant deux heures, Haydée et moi, nous échangeâmes les plus doux serments et méditâmes un plan d'évasion.

Je voulais à tout prix la soustraire à la tyrannie du comte, la conduire en France et l'y épouser.

J'avais oublié le pacte honteux qui me liait aux autres hommes rouges.


Le serment des hommes rouges: Aventures d'un enfant de Paris

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