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VIII OU LE MARQUIS DE VILERS S'APPRÊTE
A CONSOMMER SA TRAHISON

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Le timbre de la pendule, en marquant trois heures du matin, continua à lire Tony, vint nous arracher, la jeune fille et moi, à notre extase et à notre bonheur.

—Mon Dieu! me dit-elle, il faut que vous partiez! Le comte est resté au bal, assis à une table de jeu; mais il va rentrer et il me fera demander sans doute.

—Quand vous reverrai-je?

—Ah! quelle maudite guerre! murmura-t-elle. La trêve expire au point du jour.

—Il est pourtant impossible, lui dis-je, que nous attendions à dimanche prochain.

—Oh! certes...

—Indiquez-moi un lieu où je puisse vous revoir demain. Tenez, ici, par exemple...

—Y songez-vous?

—Je trouverai un moyen d'entrer sain et sauf dans la ville et de m'en aller de même.

—Eh bien, soit, me dit-elle... À demain...

—A demain! répondis-je en lui baisant les mains avec transport.

Mais, comme je faisais un pas vers la porte mystérieuse, elle m'arrêta.

—Ah! mon Dieu! me dit-elle, le billet.

—Quel billet?

—Celui que m'ont confié vos amis.

Le souvenir me revint, et je sentis mon sang se glacer.

—C'est une plaisanterie, balbutiai-je: néanmoins gardez-le, je vous dirai tout demain.

Elle me conduisit jusqu'à la porte qui s'ouvrit sans bruit.

Nous échangeâmes le baiser d'adieu et je me trouvai dans les ténèbres.

—Venez! me dit une voix que je reconnus pour celle de la femme encapuchonnée.

Celle-ci me conduisit dans la rue:

—Retrouverez-vous votre chemin?

—Parfaitement. Bonsoir.

Et je regagnai la maison du magnat, où l'on dansait toujours.

Un homme était sur le seuil du premier salon quand j'entrai; c'était Gaston de Lavenay.

—On te cherche partout, me dit-il. Et Maurevailles prétend que tu as eu un rendez-vous avec la belle Hongroise.

Je devins aussi pâle qu'un fantôme.

—Maurevailles est un niais, répondis-je d'une voix altérée.

En ce moment, je l'aperçus qui venait nous rejoindre au bras de Marc de Lacy.

Je fis un violent effort et je lui dis:

—Où diable as-tu vu que j'avais eu un rendez-vous avec la comtesse?

—C'est une plaisanterie, répondit Maurevailles; mais tu es déjà si bien avec elle que nous sommes un peu jaloux.

Je compris qu'il fallait à tout prix détourner les soupçons de mes amis, et je dis en riant:

—Je fais les affaires de la communauté, messeigneurs.

—Et ce sera fort triste, ma foi! murmura Gaston, si tu n'es pas l'élu du sort.

—Je me résignerai...

—Hé! mais, dit Maurevailles, il faut pourtant que nous adoptions un plan pour l'enlèvement...

A l'infâme proposition de Maurevailles, qui parlait d'enlever la comtesse,—la femme que j'aimais déjà si ardemment!—je pâlis et me sentis chanceler.

Gaston de Lavenay répliqua:

—J'ai un plan.

—Voyons?

—Je te l'ai dit; nous enlèverons la comtesse dimanche prochain pendant qu'elle ira entendre la messe à la petite chapelle qui est située au milieu des bois.

—C'est bien loin, dimanche, dit Maurevailles.

—Et puis qu'en ferons-nous? demanda Marc de Lacy.

—Nous la conduirons au camp.

—Après?

—Après, nous lui dirons: Nous vous aimons tous les quatre. Déroulez le papier que nous vous avons confié, et voyez quel est celui de nous qui doit devenir votre mari.

—Mais enfin, messieurs, observai-je à mon tour, si elle préfère l'un de nous.

—Tant pis! une femme enlevée épouse qui l'enlève!...

—Messieurs, nous dit un officier français, l'heure de rentrer au camp est venue. Si nous partions?...

—Volontiers, répondis-je; et je vous jure que je dormirai de bon coeur sous ma tente.

L'officier qui venait de nous parler était un tout jeune homme, cornette au régiment de Bourgogne; il était nouveau dans l'armée, connaissait peu de monde et était enchanté de nous accompagner.

Sa présence nous empêcha de discuter plus longtemps le plan d'enlèvement.

Nous quittâmes ensemble le bal. Nous sortîmes de la ville avant le point du jour, et une heure après nous étions au camp.

J'avais, en route, pris le cornette sous le bras et je lui avais dit tout bas:

—Rendez-moi un service.

—Parlez...

—D'abord, êtes-vous discret?

—Quand je donne ma parole.

—Eh bien, donnez-la moi que ce que je vais vous demander restera à jamais un secret entre nous.

—Foi de gentilhomme.

—Le marquis de Langevin, notre mestre de camp, lui dis-je, avait son accès de goutte ce matin, et il n'est pas venu à Fraülen.

—Je le sais.

—Vous êtes son parent...

—C'est un cousin de ma mère, à la mode de Bretagne.

—Ce qui vous donne vos entrées à toute heure dans sa tente?

—A peu près...

—Eh bien, allez voir le marquis.

—Quand?

—En arrivant. Vous lui direz: Général, le marquis de Vilers a une grâce à vous demander; veuillez le faire appeler par un de vos aides de camp, comme pour affaire de service et à propos de prétendues dépêches venues de France.

—Ce sera fait, m'avait répondu le cornette.

Et, en effet, à peine étions-nous rentrés sous la tente habitée en commun par mes trois amis et moi, que nous vîmes arriver un aide de camp du général, le chevalier de Sorigny.

—Monsieur de Vilers, me dit-il, le colonel-général a reçu de France des nouvelles qui vous concernent.

Je jouai l'étonnement et je suivis le chevalier.

Mes trois amis n'eurent aucun soupçon.

Le colonel-général, marquis de Langevin, qui n'était plus jeune, bien qu'il fût d'une bravoure passant pour chevaleresque, avait le malheur d'être atteint de la goutte.

Quand il avait son accès, force lui était de garder le lit.

Mais, son accès passé, il remontait à cheval et devenait l'officier le plus actif de l'armée.

Or, comme, ce jour-là, il avait son accès, je le trouvai au lit, souffrant beaucoup et n'ayant fermé l'oeil de la nuit.

—Que diable me voulez-vous donc? fit-il en me voyant entrer.

—Je viens vous demander un service, général.

—Parlez, marquis.

—Un service auquel j'attache une si haute importance, que je donnerais ma vie, s'il le fallait...

—Peste!

—Avez-vous bien besoin de moi devant Fraülen, général?

—Hé! mais, répondit le marquis, je n'ai pas plus besoin de vous que des autres. Je fais le siège de Fraülen, j'ai ordre de ne pas le prendre... provisoirement du moins.

—Pouvez-vous me donner un congé?

—Sans inconvénient.

—Un congé de deux mois?

—Va pour deux mois. Je n'ai qu'à appeler mon secrétaire.

—Non pas, général!

—Plaît-il? fit M. de Langevin.

Alors j'expliquai au colonel-général que j'avais besoin de quitter le camp et que, pour le camp tout entier, je devais avoir reçu de lui une mission secrète des plus importantes.

—Mais pourquoi tous ces mystères? fit le marquis.

—Il faut que je sauve l'honneur d'une femme, répondis-je.

Le marquis était un parfait galant homme.

—S'il s'agit d'une femme, me dit-il, je n'insiste pas, gardez votre secret... et partez!...

—Mais ce n'est pas tout, général, lui dis-je.

—Que voulez-vous encore?

—Un mot pour le major Bergheim qui commande Fraülen. Il faut que je m'introduise dans la place et que, pendant trois jours, on m'y laisse vivre à ma guise, sans me traiter en ennemi.

Le marquis de Langevin se fit apporter une plume et écrivit la lettre suivante:

«Monsieur le major,

«Un de mes officiers qui, de plus, est mon ami, a perdu son coeur dans les rues de Fraülen dimanche dernier; il demande quelques jours pour le retrouver, et je vous engage ma parole de militaire qu'il ne s'occupera ni de stratégie ni de politique.

«Je suis, monsieur le major, le plus obéissant de vos serviteurs,

«Marquis DE LANGEVIN,

«Colonel-général, mestre-de-camp.»

—Avec cette lettre, me dit le marquis, vous ferez à Fraülen tout ce que vous voudrez.

—Merci, général.

—Il est inutile de vous demander, ajouta le marquis, si je dois vous garder le secret?

—Un secret absolu, s'il vous plaît, général!

—Allez, vous avez ma parole.

Je pris congé du général et je retournai auprès de mes amis.

—Messieurs, leur dis-je, les gentilshommes rouges vont être réduits à trois, de quatre qu'ils étaient.

—Hein? dit Maurevailles.

—Je pars.

—Comment! Tu pars?

—Oui, à l'instant; on selle mon cheval.

—Et... où vas-tu?

—C'est un secret entre le colonel-général et moi. On m'envoie en mission.

—Pour longtemps?

—Je ne sais.

Jusqu'au siège de Fraülen, nous nous étions aimés tous les quatre comme si nous eussions été frères. Nous allions ensemble au feu, nous ne nous quittions jamais.

Cependant, en apprenant mon départ, une joie subite brilla dans leurs yeux.

Je n'étais plus un ami, j'étais un rival.

Je m'éloignais et leur laissais, croyaient-ils, le champ libre.

—Prends garde! me dit Gaston de Lavenay. Si tu n'es pas ici dimanche...

—Eh bien?

—Nous enlèverons la Hongroise.

—Je ne serai pas ici; mais je compte bien, répliquai-je, que si le sort m'a désigné...

—Oh! nous tiendrons notre serment, sois tranquille, répondit Maurevailles.

Ces mots me firent éprouver un remords passager.

N'allais-je pas trahir mes camarades?

Mais j'avais une excuse: la comtesse Haydée ne les aimait pas: elle m'aimait!...

J'avais avec moi, au camp, un valet de chambre, Joseph, qui est encore à mon service et qui m'est dévoué jusqu'au fanatisme.

Joseph avait sellé mon cheval, placé ma valise à l'arçon et il m'accompagnait.

Une demi-heure après, j'étais de retour à Fraülen. Comme j'approchais des lignes de défense, j'avais placé mon mouchoir au bout de mon épée, m'annonçant ainsi comme un parlementaire. Les portes de Fraülen s'ouvrirent devant moi lorsque je montrai la lettre du marquis de Langevin pour le commandant de place.

Le major Bergheim me reçut sur-le-champ, ouvrit la lettre du marquis, la lut, la relut, et finit par me regarder en souriant.

—Je gage, me dit-il, que j'ai la moitié de votre secret.

Je tressaillis.

—Oh! si c'est ce que je crois, poursuivit-il, soyez persuadé que je n'y mettrai aucun obstacle, moi...

Je gardai le silence.

—Il y a longtemps, acheva-t-il, que je souhaite une mésaventure au comte de Mingréli.

A ce nom, un léger incarnat colora mes lèvres.

Le major Bergheim était un vieux courtisan qui avait eu de grands succès à Vienne, et même à Paris, où, dans sa première jeunesse, il était attaché à l'ambassade. Il admirait M. de Richelieu pour ses galanteries et il était toujours prêt à épauler un mauvais sujet.

—Oh! vous pouvez parler avec moi, me dit-il. Je sais tout et je suis muet; je vois tout, et je suis aveugle. J'ai donc vu, la nuit dernière, que vous étiez tombé éperdument amoureux de la jeune comtesse Haydée.

—Monsieur...

—Et, certes, ce n'est pas moi qui vous trahirai.

Je déteste le comte et je vous souhaite tout le succès possible auprès de sa fille.

Je remerciai le major de ses voeux et lui demandai la permission d'aller me loger, muni d'un sauf-conduit qu'il me donna, dans un faubourg de la ville, où je m'empressai de changer de vêtement et de me métamorphoser; je m'appliquai une grande barbe, j'adoptai le costume des paysans hongrois et, grâce à la connaissance que j'avais de la langue de leur pays, je me donnai, dans l'hôtellerie où nous descendîmes, pour un riche paysan de la Hongrie orientale apportant ses redevances à son seigneur, qui se trouvait pour le moment à Fraülen.

Et je passai la journée à chercher le moyen de soustraire, le soir même, la belle Hongroise à la tyrannie du comte...

La nuit venue, je me rendis, sous mon nouveau costume, dans cette rue sombre, par laquelle j'avais déjà pénétré chez la jeune fille.

La femme encapuchonnée m'attendait sur le seuil de la porte bâtarde. Elle me prit silencieusement la main, et, comme la veille, me conduisit, à travers le corridor ténébreux, jusqu'à cette porte secrète qui donnait accès dans le boudoir de la comtesse Haydée.


Le serment des hommes rouges: Aventures d'un enfant de Paris

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