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XV LE RAVISSEUR DE LA MARQUISE

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Presque aussitôt apparut M. La Rivière, un gros bonhomme à la face rougeaude, au sourire béat, tout le contraire du type que l'on se fait généralement du policier de l'ancien régime. Il est vrai que ses petits yeux gris, percés en vrilles, brillaient comme deux étoiles derrière les lunettes bleues qui les abritaient. Sans ces deux yeux, on eût pu prendre M. La Rivière pour un franc imbécile. Quand on les avait vus fixés sur soi, on frissonnait.

M. La Rivière fit un magnifique salut et attendit, les mains croisées sur son ventre, que M. de Marville l'interrogeât.

—La Rivière, demanda le lieutenant général, a-t-on exécuté mes ordres relativement aux barrières?

Le policier tira sa montre, une grosse montre d'argent:

—L'expédition a été faite à moins onze, supputa-t-il, le départ à moins quatre... Mettons quinze minutes l'une dans l'autre pour le trajet ventre à terre. Monseigneur, dans trois minutes tous les postes seront prévenus. La plupart les ont déjà.

—Et s'il y a un résultat? ne put s'empêcher de demander Lavenay.

M. La Rivière répondit:

—S'il y a un résultat, monseigneur le saura au bout d'un quart d'heure.

M. de Marville congédia du geste le policier qui salua et disparut.

—Vous le voyez, comte, dit-il, tout est prévu.

Les mesures les plus sérieuses sont prises. Vous n'avez donc rien à redouter pour la marquise. Quant à vos amis qui vous attendent, je ne veux pas les laisser se morfondre inutilement sur la place Vendôme, où ils doivent commencer à trouver le temps long. Je vais les envoyer chercher.

—Pardon, monsieur le lieutenant de police, se permit-il de demander. Mais comment savez-vous que c'est place Vendôme qu'ils m'attendent?

Pour toute réponse, M. de Marville tendit au comte un papier que M. La Rivière, en entrant, avait invisiblement placé sur le bureau.

Lavenay lut sur ce papier:

—Deux autres Hommes Rouges se promènent place Vendôme.

—C'est admirable, fit-il en s'inclinant.

—Mais, en attendant, reprit M. de Marville, racontez-moi par suite de quelles étranges circonstances vous avez pu arriver à tuer votre ami intime, le marquis de Vilers.

Lavenay commença son récit et expliqua les faits que nous connaissons déjà pour les avoir lus, avec Tony, dans le manuscrit du mort.

Seulement, le récit de Lavenay s'arrêtait au départ du marquis, de celui qu'il appelait «le traître.»

—Il avait failli à sa parole, ajouta le comte; nous nous réunîmes en tribunal pour le juger.

—Et vous l'avez condamné?

—A mort.

Le lieutenant de police avait écouté avec un vif intérêt ce récit presque fantastique.

—Et la comtesse Haydée? demanda-t-il.

—Il fut décidé que rien ne serait changé à son égard.

—Comment cela?

—Nous avions juré qu'elle serait à celui dont le nom était sur le bulletin choisi par elle.

—Eh bien?

—De deux choses l'une: ou le marquis avait fait disparaître ce bulletin, ou le papier était resté entre les mains de la comtesse. Dans le second cas, la chose allait naturellement; car il est évident que si son nom avait été sur ce papier, le marquis n'eût pas eu besoin d'enlever la comtesse pour l'épouser.

—Et si le bulletin était détruit?

—Il l'est. Or, le marquis étant mort, le pacte subsiste entre nous trois. Nous referons trois billets, et, comme la première fois, nous consulterons le sort.

—Mais vous savez que la comtesse Haydée ne vous aime pas, puisqu'elle avait choisi M. de Vilers?

—Parfaitement. Aussi sera-ce là sa punition.

—Sa punition?

—Elle apprendra la mort de celui qu'elle aimait, et qui a trahi son serment, et appartiendra à l'un de nous, à celui que le sort désignera.

—Et si celui-là est M. de Lacy ou M. de Maurevailles?

—Je mettrai autant de zèle à l'aider que j'ai mis d'acharnement à poursuivre et à tuer le marquis.

—Mais c'est de la folie!...

—Pour nous trois, liés par notre parole, c'est de l'honneur!

On gratta à la porte.

L'huissier venait avertir le lieutenant de police que les deux gentilshommes qu'il avait envoyés chercher étaient là. M. de Marville se leva pour recevoir MM. de Maurevailles et de Lacy.

Ceux-ci étaient déjà depuis longtemps sur la place Vendôme, enveloppés dans leurs manteaux, et marchant de long en large, à côté de leurs chevaux tenus en laisse par les palefreniers, quand on était venu les mander près du lieutenant de police. Ils se doutèrent qu'il était arrivé quelque incident nouveau. Aussi, après les salutations, parurent-ils attendre une explication.

—Messieurs, leur dit M. de Marville, je viens d'avoir un long entretien avec votre ami. Il m'a raconté votre pacte. Il ne m'a pas caché qu'il l'avait déjà en partie accompli. Il reconnaît que c'est lui qui a tué le marquis de Vilers.

—En duel! répondirent en même temps les deux gentilshommes.

—Et il m'a affirmé en outre que le combat avait été loyal...

—Nous nous en portons garants pour lui, s'écria Maurevailles.

—Et nous demandons notre part de responsabilité, ajouta Lacy.

M. de Marville réfléchit un instant. Certes, le cas était grave. Il y avait eu un meurtre commis et la victime était un officier connu de la cour et de la ville. Cela pouvait engendrer un grand scandale. Mais d'un autre côté, ce n'était que par induction que le lieutenant de police était arrivé à savoir le nom du mort. Pour tout le monde, le cadavre qui reposait là-bas dans les caveaux du Châtelet était celui d'un inconnu.

Au pis-aller, si plus tard on arrivait à savoir que le marquis de Vilers avait été tué, les trois officiers n'hésiteraient pas à répondre de cette mort. Ils l'avaient promis. Et le lieutenant de police voyait qu'ils étaient gens à tenir leur parole. Il était d'ailleurs en pouvoir de les y contraindre.

En ce temps, malgré les édits, il y avait pour les duels une grande tolérance. On ne courait donc pas grand risque à fermer les yeux sur celui-ci. Quant à l'exempt qui avait fait l'enquête, il n'était pas difficile de lui fermer les yeux et la bouche.

—Messieurs, dit M. de Marville, j'accepte votre parole. Vous êtes libres. Et maintenant attendons le résultat des mesures prises relativement au carrosse. Justement voici une estafette qui arrive. Peut-être allez-vous savoir quelque chose.

En effet le galop d'un cheval venait de retentir sur les pavés inégaux de la rue des Capucines. On entendit ce cheval s'arrêter devant l'hôtel, puis un cavalier de la maréchaussée, dont le sabre traînait sur les marches, monter l'escalier.

Aussi impatient que les trois amis, M. de Marville n'attendit pas qu'on vînt le prévenir et se précipita dans l'antichambre.

Le cavalier tenait à la main un large pli scellé. M. de Marville lui arracha la lettre et rentra dans son cabinet en regardant la suscription.

—Porte Saint-Antoine! dit-il.

Il brisa le cachet et parcourut rapidement la dépêche en murmurant:

—Oh! c'est étrange!

—Que se passe-t-il donc? demandèrent à la fois Lavenay, Maurevailles et Lacy.

—Voyez vous-mêmes, Messieurs. Selon mes ordres, on a arrêté le carrosse à la porte Saint-Antoine...

—Eh bien?...

—Il contenait deux personnes: un homme âgé, vêtu d'un surtout de fourrures, et une jeune femme...

—Le ravisseur et madame de Vilers...

—A l'invitation des gardes, l'homme aux fourrures s'est incliné avec un sourire...

—Et on l'a arrêté?

—On l'a laissé libre.

—Comment cela?...

—La marquise s'est penchée à la portière et a prié le chef des gardes de ne pas mettre obstacle à leur voyage.

—C'est impossible!

—Lisez plutôt. Elle a déclaré qu'elle partait librement avec...

—Avec?... interrompirent les Hommes Rouges suspendus aux lèvres du lieutenant!

—Avec son père!!!

Les trois gentilshommes restèrent anéantis. Marc de Lacy reprit le premier son sang-froid; il demanda enfin:

—Mais où l'emmène-t-il?

—Il n'appartient à personne de le lui demander.


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