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XI LES TERREURS DE MAME TOINON

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Le comte et Tony gagnèrent la porte, quittèrent l'Opéra et s'en allèrent jusqu'au premier réverbère; là, le comte tira son épée.

Tony l'imita.

Mais, avant de tomber en garde, le comte regarda de nouveau son jeune adversaire.

—C'est singulier, dit-il; je ne vous ai jamais vu!...

—Je vous connais, moi, répondit Tony.

—Qui êtes-vous?

—Peu vous importe!

—Cependant...

—Faut-il vous répéter, une fois de plus, que vous êtes un lâche?

Le comte rugit.

—Un lâche et un assassin!...

—En garde, donc! s'écria le comte hors de lui.

—Je suis l'exécuteur testamentaire du marquis de Vilers, que vous avez tué ce soir, dit Tony en croisant le fer, et je me suis juré de vous tuer, vous, Maurevailles et Marc de Lacy!...

Et Tony, qui n'avait jamais touché une épée et se trouvait en présence de l'un des bretteurs les plus renommés de ce temps, Tony fondit sur son adversaire avec cette impétuosité, cette vaillance brutale de ceux qui n'ont point été initiés aux galantes finesses de l'escrime... Aussi, avec son inexpérience et sa jeunesse, semblait-il prédestiné à trouver la mort dans ce combat qu'il avait provoqué.

Le comte Gaston de Lavenay était un tireur habile et prudent qui s'était fait une réputation terrible dans les gardes-françaises.

C'était lui qui avait tué le marquis Van Hop, un Hollandais fameux, qui longtemps, à Versailles, avait semé l'effroi parmi les gentilshommes.

Tony allait donc mourir.

Cependant mame Toinon, qui avait un peu perdu de vue le sort de son client, le pauvre marquis de Vilers, et qui n'était venue à l'Opéra que pour s'y amuser très consciencieusement, mame Toinon, disons-nous, s'était longtemps complue à écouter les paroles du beau mousquetaire, qui persistait à la considérer comme une femme de qualité.

Mais, au bout d'une demi-heure, après avoir dansé et valsé, la costumière se prit à songer à Tony.

Où était-il?

Elle le chercha longtemps à travers le bal, et, pour la première fois peut-être, elle éprouva un bizarre sentiment de jalousie.

—Comment!... Le bambin, se dit-elle, oserait-il s'amuser sans moi?

Et, parcourant les salles, elle inspecta les groupes et les coins. Nous savons qu'en ce moment Tony était sur le point de partager le sort du marquis de Vilers.

Tout à coup, arrivée sur le lieu même où avait eu lieu la provocation, elle vit et entendit quantité de gens qui, avec force gestes, se racontaient et interprétaient à leur façon la scène que nous avons racontée.

Elle bondit et, de ses deux bras écartant la foule, se plaça au milieu du groupe stupéfait; puis, s'adressant à celui qui semblait en savoir le plus:

—Vous dites, demanda-t-elle, qu'un jeune homme a jeté tout à l'heure son gant au visage d'un seigneur?...

—Oui. J'étais à deux pas.

—Et ce jeune homme était un beau petit blond tout poudré?

—Parfaitement.

—Déguisé en mousquetaire?

—C'est cela.

—Et ils sont sortis ensemble?

—Par le foyer d'entrée.

Grâce au même mouvement par lequel elle avait fendu la foule, mame Toinon se fit de nouveau place et, relevant ses paniers, descendit quatre à quatre les marches de l'escalier.

Il était trois heures du matin. Tous ceux qui devaient venir à l'Opéra étaient déjà entrés. Aucun des danseurs ne songeait encore à se retirer. Mame Toinon ne rencontra donc personne à qui elle pût demander de quel côté s'étaient dirigés les deux hommes.

Est-ce son instinct, est-ce la Providence qui la guida?

Une minute après, elle tombait comme la foudre entre les deux adversaires qui ne l'avaient même pas vue venir, et, entourant de l'un de ses bras son petit Tony, s'écriait en agitant l'autre sous le nez du comte abasourdi:

—Vous moquez-vous du monde? Est-ce que vous croyez que c'est vous qui allez me le tuer? Mais je vous tuerais plutôt, savez-vous?

Tout en étreignant contre elle l'adoré de son coeur, la commère lui arracha de la main son épée et se mit bravement en garde à sa place.

Le comte commençait à trouver la scène fort amusante. Son adversaire improvisée continua:

—Il faudrait savoir, entendez-vous, que ce petit-là est mon enfant d'adoption, mon commis, et qu'on ne s'appelle pas pour rien mame Toinon, costumière, qui a même une boutique joliment achalandée.

A ces mots, le comte, qui naturellement avait abaissé son épée depuis l'invasion de cette singulière femme, ne se tint plus de rire.

—Un commis, lui, oh! c'est trop drôle! Et moi qui avais pris son déguisement pour son costume ordinaire! Et la marquise qui l'appelait chevalier! Ah! ah! ah! j'en rirai longtemps. Mais je ne me bats pas avec les commis, mon petit ami. Les injures de tes pareils ne nous salissent pas, nous autres...

Tony écumait de rage, mais le bras gauche de «mame Toinon» était véritablement un étau, duquel il lui fut impossible de se dégager, pendant que le comte, toujours riant aux éclats, remettait son épée au fourreau, puis s'éloignait...

Alors mame Toinon embrassa son commis, puis le regarda avec amour à la lueur du réverbère.

Tony pleurait.

—Il a raison, dit-il en sanglotant, je ne suis qu'un courtaud de boutique...

Il s'opéra en lui comme une révolution.

L'histoire qu'il avait lue, l'avait initié aux moeurs et à la vie des gentilshommes. Il se sentit rougir à la pensée que la marquise de Vilers, elle aussi, quand elle le reconnaîtrait, ne verrait peut-être en lui que le commis de mame Toinon.

Il se frappa sur le coeur et dit:

—Cela changera!

À partir de ce moment, l'avenir de l'enfant était-il donc irrévocablement décidé?

Toutefois, pensant à la marquise, il se souvint qu'elle était restée au bal.

—Adieu, dit-il à mame Toinon.

—Où veux-tu aller encore?

—A l'Opéra.

—Pour y rencontrer une nouvelle affaire?

—Pour y accomplir un devoir.

En prononçant ces mots, il avait l'air si vaillant que mame Toinon vit qu'il serait inutile de lutter contre sa volonté.

—Adieu, fit-elle.

Et notre héros, qui se trouvait de prime abord au niveau des circonstances, remit fort galamment son épée au fourreau, rajusta ses habits un peu en désordre et rentra dans le bal.

Mais, à vingt pas derrière lui, se glissait mame Toinon.


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