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LE SOL.

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Montagnes. — Glaciers. — Avalanches. — Volcans. — Plateaux. Vallées. — Plaines.

Montagnes. — Les montagnes, qui forment les grandes nervures du sol, sont dues à des soulèvements partiels de la croûte terrestre. La forme des montagnes est extrêmement variée, mais à l’exception des cônes volcaniques, il y a bien peu de montagnes élevées, dont la cime se dresse solitaire au milieu de la plaine. Au contraire elles sont presque toujours disposées par groupes, et dans toutes les contrées dont le relief est accentué, on voit des hauteurs accessoires faire comme un cortège à la cime principale, et s’abaisser ensuite vers la plaine par une succession de collines ou de mamelons, entre lesquels sont creusés des vallons ou des ravins. C’est ce qu’on appelle un massif montagneux; les soulèvements du sol se présentent ordinairement sous la forme d’une succession de massifs, qui constituent une chaîne. Beaucoup de chaînes ne présentent que d’un seul côté l’apparence de massifs montueux et, de l’autre côté, s’abaissent par une succession de plateaux, qui s’arrêtent parfois en manière de falaises, pour reprendre ensuite leur horizontalité.

Malgré le peu d’étendue qu’elles ont par rapport aux plaines ou aux plateaux dans l’économie du globe, les montagnes sont bien plus parcourues par les touristes, par les hommes de loisir et par tous ceux qu’attirent le besoin d’une certaine fatigue physique et le goût des beautés pittoresques. Pour la plupart des gens du monde, un pays montagneux est, à peu de chose près, synonyme d’un beau pays, riche en sites grandioses et en aspects imprévus. Néanmoins les paysages de la montagne ne sont pas également goûtés par tout le monde.

«Il en est des monuments de la nature comme de ceux de l’art, dit Chateaubriand; pour jouir de leur beauté, il faut être au véritable point de perspective; autrement, les formes, les couleurs, les proportions, tout disparaît. Dans l’intérieur des montagnes, comme on touche à l’objet même, et comme le champ de l’optique est trop resserré, les dimensions perdent nécessairement de leur grandeur: chose si vraie, que l’on est continuellement trompé sur les hauteurs et sur les distances. J’en appelle aux voyageurs: le mont Blanc leur a-t-il paru fort élevé du fond de la vallée de Chamouny? Souvent un lac immense dans les Alpes a l’air d’un petit étang; vous croyez arriver en quelques pas au haut d’une pente que vous êtes trois heures à gravir; une journée entière vous suffit à peine pour sortir de cette gorge, à l’extrémité de laquelle il vous semblait que vous touchiez de la main. Ainsi cette grandeur des montagnes, dont on fait tant de bruit, n’est réelle que par la fatigue qu’elle vous donne. Quant au paysage, il n’est guère plus grand à l’œil qu’un paysage ordinaire.

Fig. 61. – Un Étang. (Tableau de Daubigny.)


«Mais ces monts qui perdent leur grandeur apparente quand ils sont trop rapprochés du spectateur, sont toutefois si gigantesques qu’ils écrasent ce qui pourrait leur servir d’ornement. Ainsi, par des lois contraires, tout se rapetisse à la fois dans les défilés des Alpes, et l’ensemble et les détails. Si la nature avait fait les arbres cent fois plus grands sur les montagnes que dans les plaines; si les fleuves et les cascades y versaient des eaux cent fois plus abondantes, ces grands bois, ces grandes eaux pourraient produire des effets pleins de majesté sur les flancs élargis de la terre. Il n’en est pas de la sorte; le cadre du tableau s’accroît démesurément, et les rivières, les forêts, les villages, les troupeaux gardent les proportions ordinaires: alors il n’y a plus de rapport entre le tout et la partie, entre le théâtre et la décoration. Le plan des montagnes étant vertical devient une échelle toujours dressée, où l’œil rapporte et compare les objets qu’il embrasse; et ces objets accusent tour à tour leur petitesse sur cette énorme mesure. Les pins les plus altiers, par exemple, se distinguent à peine dans l’escarpement des vallons, où ils paraissent collés comme des flocons de suie. La trace des eaux pluviales est marquée dans ces bois grêles et noirs par de petites rayures jaunes et parallèles; et les torrents les plus larges, les cataractes les plus élevées, ressemblent à de maigres filets d’eau ou à des vapeurs bleuâtres. Ceux qui ont aperçu des diamants, des topazes, des émeraudes dans les glaciers, sont plus heureux que moi: mon imagination n’a jamais pu découvrir ces trésors.

«Ces draperies blanches des Alpes ont d’ailleurs un grand inconvénient; elles noircissent tout ce qui les environne, et jusqu’au ciel dont elles rembrunissent l’azur. Pour savoir si les paysages des montagnes avaient une supériorité si marquée, il suffisait de consulter les peintres: ils ont toujours jeté les monts dans le lointain, en ouvrant à l’œil un paysage sur les bois et sur les plaines.»

Cette boutade du grand écrivain contre les sites de la montagne, étonnera ceux qui ont senti toutes les magnificences des Alpes. Elle surprendait moins chez un peintre; Troyon, obligé pour sa santé de passer un été dans une vallée de la Suisse est revenu enthousiasmé, mais il n’a pas rapporté une seule étude. Rousseau, qui ne reculait devant aucune audace a voulu peindre les Alpes dans leur majesté, mais sa fameuse Descente des vaches est une tentative bizarre, plutôt qu’une œuvre réussie.

Fig. 62. – Un lac dans les montagnes. (Tableau de Calame.)


Les paysages de montagnes ont pourtant trouvé chez les peintres quelques fervents adorateurs, parmi lesquels il faut citer d’abord Calame (fig. 62). «Telle scène des Alpes, écrit-il dans une de ses lettres, peut, aussi bien que la mer et les fuyants les plus lointains des pays plats, donner l’idée de l’infini. Ce n’est donc pas dans la configuration des Alpes qu’il faut chercher la cause du peu d’attrait, de la froideur qu’on remarque dans les reproductions qu’on en fait; ce n’est pas non plus dans la couleur qui leur est propre, et qui, aussi bien que dans tout autre pays, a ses splendeurs et ses harmonies; il faut la voir dans le peu de sérieux et de persévérance qu’on met à les étudier, dans les partis pris et les systèmes d’école qui s’accommodent mieux d’une nature où ils trouvent leur application que de celle qui rejette tout préjugé, tout système, et devant laquelle un grand maître, en plaine, n’est qu’un enfant, s’il ne l’aborde avec l’attention sérieuse qu’elle réclame... Tout ce qui est grand, noble, poétique, est compris par les artistes d’élite, pour lesquels les difficultés de l’entreprise ne sont que des appas de plus.»

Un critique d’une compétence incontestée, M. H. Delaborde, secrétaire perpétuel de l’Académie des beaux-arts, a combattu avec énergie les théories du peintre suisse dont il est d’ailleurs bien loin de contester la valeur:

«Le mérite de Calame, dit M. Delaborde, est d’avoir travaillé avec une énergique bonne foi à se créer une méthode neuve; de n’avoir pas spéculé, pour arriver au succès, sur des combinaisons d’idées anciennes; de s’être proposé enfin un idéal particulier, et d’en avoir poursuivi la réalisation, sans s’effrayer des obstacles ni des périls.... Son tort est de n’avoir pas assez compris que le courage pouvait ici dégénérer facilement en imprudence; que beaucoup de ces difficultés ne devaient pas même être abordées; et qu’en voulant s’approprier les plus rares curiosités de la nature, l’art courrait le risque de forcer ses ressources, de compromettre ou d’exagérer ses fonctions.»

La plupart des artistes partagent aujourd’hui la manière de voir de M. Delaborde, et il est certain que les sites empruntés aux montagnes ne répondent pas aux inspirations des paysagistes contemporains.

Ils ont eu pourtant un moment de vogue vers 1830. Le paysage historique, dont le Poussin avait fourni de si admirables modèles, avait été compris par Valanciennes d’une façon peu attrayante, et quand Michallon, Rémond et Watelet arrivèrent avec des motifs alpestres et des sites empruntés à la montagne, on commença à dédaigner les temples grecs et les nymphes folâtrant dans les bosquets; le goût public fut pour les torrents, les chalets rustiques, les vieux ponts de bois délabrés. Ce goût toutefois dura peu: peut-être fut-ce simplement parce que les artistes qui s’en étaient fait l’écho n’avaient pas une valeur suffisante pour le rendre durable. Toujours est-il que les jeunes gens ont complètement abandonné cette tradition et ont porté leurs efforts dans une autre direction.

Au lieu d’aller chercher des impressions dans les pays lointains, nos paysagistes entreprirent de rendre la campagne de France avec ses caractères particuliers Dès lors, la ferme remplaça la ruine ou le chalet, la mare toute peuplée de canards se substitua au fleuve classique, ou au torrent tumultueux, et on se mit de toutes parts à étudier le sol natal avec une exactitude rigoureuse. On se préoccupa de l’air ambiant, de l’atmosphère qui enveloppe toute chose, et des rapports du ton local de chaque objet avec la teinte générale déterminée par l’heure du jour et l’action de la lumière.

Au point de vue des représentations graphiques, les aspects que présentent les pays montueux peuvent se rapporter à trois genres principaux: les terrains du sommet, les terrains qui sont sur les pentes et les terrains qui s’étendent aux pieds de la montagne. L’aridité absolue est le caractère des sommets, les forêts couvrent généralement les pentes, et les cultures s’étendent dans les parties basses.

Les glaciers. — Les glaciers forment un des caractères essentiels des hautes montagnes. On donne le nom de glaciers à des amas de glaces éternelles qui se forment et se conservent en plein air sur les pentes des hauts sommets. La condition la plus favorable à la formation des glaciers est la proximité de plusieurs montagnes élevées; il arrive alors que non seulement les sommités, mais même les plateaux et les sommets intermédiaires se couvrent de glaciers qui descendent lentement par les gorges et les anfractuosités du mont, jusque dans des régions relativement beaucoup plus basses. Ces glaciers ont quelquefois une très grande étendue, et reçoivent alors le nom de mer de glace; des crêtes et des cimes rocheuses surgissent de ces mers, et semblent des îles volcaniques au milieu de l’Océan.

La glace des glaciers n’est pas luisante et polie, comme celle qui se forme sur les étangs en hiver, elle est inégale à sa surface et le plus souvent rugneuse. La couleur présente aussi un caractère particulier: vus de loin, les glaciers ont généralement une teinte bleuâtre ou verdâtre, qui devient très intense dans l’intérieur des crevasses. Quand on se trouve sur le glacier même, la couleur devient d’un blanc mat, à moins que la surface ne soit recouverte par les moraines, c’est-à-dire par des amas de roches et de débris, provenant d’éboulements. Dans la partie la plus élevée la glace prend souvent la forme d’aiguilles; le glacier est fendillé dans toute son étendue par des crevasses dont la direction est en général perpendiculaire à celle de son cours. On voit quelquefois dés représentations de glaciers dans les tableaux, mais ils apparaissent toujours à une certaine distance, ou bien ils se dissimulent derrière des roches, et on les devine plutôt qu’on ne les voit réellement.

Le tableau de Herzog, reproduit figure 63, nous montre les glaciers qui couvrent les montagnes de la Norvège. Ces montagnes, beaucoup moins élevées que les Alpes, présentent les mêmes aspects grandioses: les peintres suédois et norvégiens, qui s’attachent beaucoup à rendre les sites de leurs pays, en ont donné plusieurs fois des représentations qui ont été remarquées dans nos expositions.

Avalanches. — Les neiges occupent le sommet des hautes montagnes: en tombant dans les vallées sous l’action du soleil qui les fait fondre ou du vent qui les pousse, elles produisent les avalanches, un des spectacles les plus grandioses qu’il soit donné à l’homme de contempler.

«Une avalanche, dit Topffer, est une pelote de neige qui, venant à se détacher des hauteurs, se grossit des neiges sur lesquelles elle roule, devient en peu d’instants une masse formidable et, dans sa chute précipitée, brise, renverse, écrase tout sur son passage. Des circonstances accidentelles peuvent déterminer une avalanche dans tout endroit où la neige repose sur des pentes rapides; mais c’est en général dans les mêmes couloirs et aux mêmes endroits qu’elles ont lieu chaque année, en vertu de circonstances favorables et constantes qui leur font prendre cette route. En été, lorsqu’on voyage dans les Alpes, on reconnaît fort bien ces couloirs; ce sont de vastes pentes, entièrement dégarnies d’arbres, de rocs, et au bas desquelles sont accumulés des débris séculaires que la végétation envahit et recouvre, à mesure qu’en s’amoncelant, ils se servent de remparts à eux-mêmes. Dans les hautes vallées où les chaleurs sont de courte durée, les neiges qui se sont accumulées durant l’hiver au bas de ces couloirs, n’ayant pas le temps de fondre, y demeurent en permanence, et il arrive aux gens du pays d’appeler avalanches ces restes de l’avalanche véritable.»

L’aspect des avalanches n’est pas toujours le même. Élisée Reclus, dans son livre intitulé la Terre, explique la raison de ces différences: «Les allures de chaque avalanche, dit-il, varient suivant la forme même de la montagne. Sur les escarpements coupés de parois à pic, les neiges des terrasses supérieures, obéissant à la pression des masses plus élevées, plongent directement dans les abîmes qui s’ouvrent au-dessous. Au printemps et en été, alors que les blanches assises, ramollies par la chaleur, se détachent d’heure en heure des hautes cimes des Alpes, le gravisseur, arrêté sur quelque promontoire voisin, contemple avec admiration les cataractes soudaines qui se précipitent dans les gorges du haut des sommets éclatants. Combien de milliers de voyageurs, assis sur les pelouses de la Wengernalp, ont salué de leurs cris de joie les avalanches qui s’écroulent à la base des pyramides argentées de la Jung-Frau! On voit d’abord l’énorme couche de neige s’élancer en cataracte et s’abîmer sur les degrés inférieurs; des tourbillons de neige poudreuse, semblable à une fumée, s’élèvent au loin dans l’atmosphère, puis, quand le nuage s’est dissipé et que l’espace est rentré dans sa paix solennelle, on entend soudain le tonnerre de l’avalanche se prolongeant en sourds échos dans les anfractuosités des gorges: on dirait la voix de la montagne elle-même.»

Fig. 63. Sommets des hautes montagnes. (Tableau de Herzog.)


Le spectacle des avalanches, qui émeut si vivement les touristes, a rarement été traduit par la peinture, qui est généralement impuissante à rendre les grands cataclysmes. Aussi, quand ils veulent représenter des scènes de ce genre, les peintres font intervenir des figures dont l’effroi aide à faire comprendre une situation que le paysagiste traduirait difficilement sans leur secours. Les moines du mont Saint-Bernard venant au secours des voyageurs ensevelis sous la neige ont été maintes fois représentés.

Outre les avalanches, il y a dans les pays de montagnes ce qu’on appelle des tourmentes de neige. «Ce sont, dit Ad. Joanne, dans le Guide en Suisse, des espèces de tourbillons impétueux qui font voler dans l’air les neiges nouvellement tombées, les transportent en masses énormes semblables à des nuages, couvrent de cette poussière blanche toutes les traces de sentier, obstruent les passages, ensevelissent ou renversent en un instant les perches élevées de distance en distance pour indiquer aux piétons égarés la direction du chemin. Chaque année, ces tourmentes, si redoutées des chasseurs, des bergers et des guides, coûtent la vie à quelques voyageurs. Ceux qu’elles surprennent dans un passage difficile sont toujours exposés aux plus grands dangers.»

Volcans. — Les volcans sont des montagnes qui ont à leur sommet un creux en forme d’entonnoir, appelé cratère, d’où s’échappent à intervalles inégaux des pierres brûlantes, des matières en fusion, des cendres et de la fumée. La représentation des éruptions volcaniques n’est pas du ressort de la peinture, et les volcans eux-mêmes figurent très rarement dans les tableaux. Si, dans les vues des environs de Naples, on voit quelquefois apparaître le Vésuve, c’est toujours à l’horizon que l’on aperçoit sa fumée s’élevant discrètement vers le ciel. Les dessinateurs japonais n’ont pas la même répugnance que les nôtres pour ce genre de représentation, qu’on voit très fréquemment reproduites dans les petits albums que le commerce nous envoie à profusion depuis quelques années. Les volcans sont nombreux au Japon, et leur cime très élevée est souvent couverte de neige. Les dessins japonais rendent très bien la forme conique que ces montagnes prennent habituellement (fig. 64).

Plateaux. — Les plateaux sont des plaines élevées qui exercent quelquefois une grande influence sur le climat: ainsi il y a dans la zone torride de hauts plateaux dont la température devient, par suite de leur altitude, analogue à celle des pays tempérés. Sur les plateaux de l’Asie centrale, le froid est beaucoup plus intense qu’on ne pourrait le supposer d’après la latitude. Ces immenses plateaux, dont l’importance est capitale dans la géographie physique, en ont une beaucoup moindre dans les applications graphiques, parce que leur aspect ne diffère pas essentiellement de celui des plaines.

Fig. 64. — Volcan. (D’après un album japonais.)


Le caractère des plateaux qui ne sont pas animés par la culture est, en général, une très grande monotonie. Fromentin a donné des fameux plateaux de l’Alfa, en Algérie, une description qui n’a rien de bien séduisant. «Imagine-toi, dit-il, toujours la même touffe poussant au hasard sur un terrain tout bosselé, avec l’aspect et la couleur d’un petit jonc, s’agitant, ondoyant comme une chevelure au moindre souffle; si bien qu’il y a toujours du vent dans l’Alfa. De loin, on dirait une immense moisson qui ne veut pas mûrir et qui se flétrit sans se dorer. De près, c’est un dédale, ce sont des méandres sans fin, où l’on ne va plus qu’en zigzag, et où l’on butte à chaque pas. Ajoute à cette fatigue de marcher en trébuchant, la fatigue aussi grande d’avoir un jour entier devant les yeux ce steppe décourageant, vert comme un marais, sans point d’orientation et qu’on est obligé de jalonner de gros tas de pierres pour indiquer les routes. Il n’y a jamais d’eau dans l’Alfa; le sol est grisâtre, sablonneux, rebelle à toute autre végétation.»

La France a beaucoup de plateaux; ceux qui ne sont pas labourés, sont en général couverts de pâturages où les bestiaux vont en été chercher leur nourriture. Les plateaux du Jura forment du côté de la France une succession de terrasses bien caractérisées, et les horizons prennent souvent l’aspect de falaises. Les montagnes d’Auvergne ont des cônes plus arrondis, qui se mamelonnent et offrent des sites très pittoresques. Les petits plateaux qui sont sur le penchant des montagnes, ou qui en couvrent les sommets, ont été l’objet de quelques représentations. Pour expliquer leur caractère de plateaux, il suffit au peintre de montrer la vallée qui s’enfonce à côté du terrain plat sur lequel il dispose la scène principale. Cet aspect est très bien rendu sur un tableau d’Auguste Bonheur, intitulé le Ruisseau: le site est pris sur un plateau des montagnes de l’Auvergne (fig. 65).

Les vallées. — Les montagnes et les collines sont séparées par des parties creuses auxquelles on donne le nom de vallées, lorsqu’elles sont larges, et qui s’appellent gorges ou défilés lorsqu’elles sont étroites.

Les profondes vallées encaissées dans les montagnes se couvrent souvent d’une végétation magnifique: les vieux noyers, les hêtres, les tilleuls couvrent les prairies qui forment la base des monts, et presque toujours le fond même de la vallée est occupé par un torrent dont les eaux tumultueuses ajoutent encore à la beauté du site.

Les villages placés sur les pentes des monts, les moulins qu’alimentent des eaux bruyantes, les fontaines, les ponts rustiques jetés sur un torrent, donnent aux paysages de montagnes un caractère tout particulier, dont les peintres de genre plus peut-être que les paysagistes ont souvent profité. Les chalets des Alpes, et particulièrement ceux du canton de Berne, ont été si souvent représentés qu’ils sont en quelque sorte devenus classiques: mais ce genre est assez démodé aujourd’hui parmi les jeunes gens, en France surtout.

Les peintres suisses et allemands sont ceux qui s’occupent le plus de reproduire les sites grandioses que présentent à chaque pas les vallées profondes des contrées montagneuses. Ils en tirent même quelquefois un parti assez heureux. Nous citerons comme exemple un tableau de Jungheim qui représente la vallée de Lauterbrunnen dans les Alpes. On voit à droite la mince chute du Staubach et au fond les sommets de la Jung-Frau, dont on est séparé par la Wengernalp.

Fig. 65. – Plateau. – Le Ruisseau. – Souvenirs d’Auvergne. (Tableau d’Auguste Bonheur.)


Les plaines. — On donne le nom de plaines aux régions basses dont la surface est généralement unie ou inclinée en pente douce. Les plaines présentent parfois une grande monotonie, parce que la même végétation ou la même stérilité peuvent se rencontrer sur une étendue immense. Mais si le sol n’y est pas accidenté comme dans les montagnes, il donne davantage l’idée de l’immensité par la profondeur des horizons. Une plaine est comme une mer solide et, en interdisant à l’œil la possibilité d’une mesure positive, elle permet à la rêverie de s’égarer dans des conceptions plus grandioses. Aussi les artistes préfèrent généralement peindre les pays plats et dans lesquels la montagne n’apparaît que comme un accident de l’horizon. Il est évident qu’il n’y a rien ici d’absolu: les beautés de tous genres qu’offre le spectacle de la nature peuvent toujours être rendues par l’artiste, mais parmi les tableaux qui traduisent avec fidélité l’impression de la nature, ceux dont le sujet est pris dans la plaine sont beaucoup plus nombreux que les autres, d’où on peut conclure qu’ils ont plus d’attrait pour les peintres.

La principale raison qu’on peut donner de cette préférence, est dans l’importance que le ciel prend dans un pays plat. Si la plaine ne présente pas de grands accidents qui viennent arrêter le regard, elle laisse voir dans toute son étendue le grand dôme de l’atmosphère, avec ses jeux d’ombre et de lumière, ses nuages si variés dans leurs formes, ses teintes si merveilleusement dégradées. En outre, le moindre accident qui paraît sur la plaine, personnage ou animal, arbre, rocher ou maison, peut prendre au gré de l’artiste une importance considérable et lui venir en aide pour traduire l’impression qu’il a reçue.

Le touriste qui a admiré les glaciers des Alpes, qui a été impressionné par l’aspect pittoresque d’un château ou par la solennité imposante d’une cathédrale, est souvent surpris de ne plus retrouver dans la représentation des mêmes choses l’émotion qui l’avait charmé dans la nature, tandis qu’un motif très simple et en apparence dénué d’intérêt, forme le sujet d’un tableau qui le passionne. En effet ce qui plait dans un tableau, ce n’est pas le site représenté, c’est la manière dont l’artiste l’a vu et l’a interprété.

La peinture est une langue comme la poésie: ce qui nous touche dans un récit d’Homère, ce n’est pas la mort d’Hector, succombant sous les coups d’Achille, c’est la manière dont le poète l’a racontée. Toutes les guerres et tous les sièges enfantent des maux analogues à ceux qui suivirent la prise de Troie, et si la douleur d’Andromaque nous arrache des larmes, c’est qu’Homère a trouvé, pour la décrire, des accents d’une merveilleuse inspiration. Il en est de même pour les émotions que nous éprouvons devant la nature; mainte fois nous avons passé, sans nous arrêter, dans des endroits qui nous ont semblé fort peu dignes d’intérêt. Pourtant, si un artiste de talent s’avise de prendre ce lieu que nous avions dédaigné, nous sommes tout étonnés de trouver dans son tableau une saveur qui nous charme et que nous n’avions pas rencontrée dans le modèle parce qu’elle provient de son interprétation personnelle (fig. 66).

Les plaines, quoique généralement dépourvues de ces accidents pittoresques qui séduisent tant dans la montagne, plaisent souvent davantage aux artistes. En dehors des plaines cultivées, dont il sera question plus loin, les peintres ont trouvé dans nos pays assez de vastes terrains non défrichés dont le caractère sauvage les a séduits. Les landes de Gascogne se voient sur plusieurs tableaux célèbres de Jules Dupré et de Théodore Rousseau, qui ont longtemps travaillé du côté de Dax. La Bretagne, la Sologne (fig. 67), la Campine, ont eu tour à tour leurs adeptes. Des chaumières isolées, des mares qui paraissent au milieu des ajoncs, des terrains sablonneux coupés de bruyères, forment les motifs ordinaires de ces tableaux, où l’on voit quelquefois surgir un maigre buisson ou un vieil arbre rageur.

Fig. 66. — La Plaine. Dessin de Charles Jacques.)


Fig. 67. — La Lande de Bosi en Sologne. (Tableau de Germain Bonheur. Salon de 1875.)



Le monde vu par les artistes : géographie artistique

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