Читать книгу Le monde vu par les artistes : géographie artistique - René Ménard - Страница 25
LES ÉTATS-UNIS
ОглавлениеUnion américaine. — Les tribus indiennes. — Les Américains. — Les beaux-arts. — Villes américaines.
Union américaine. — Les États-Unis sont bornés au nord par les possessions anglaises, à l’est par l’Atlantique, au sud par le golfe du Mexique et le Mexique, et à l’ouest par le grand Océan. Cet immense territoire, aujourd’hui occupé par une population active et intelligente, était autrefois parcouru par des tribus d’Indiens que la civilisation refoule de plus en plus vers l’ouest. Il faut donc voir aux États-Unis deux peuples différents: les Peaux-rouges, ou Indiens, qui forment la population indigène et primitivement propriétaire du sol, et ensuite les Américains de race européenne qui ont transporté dans le nouveau monde les habitudes et les mœurs de la mère patrie.
Les tribus indiennes. — Les vastes plaines qui s’étendent à l’est des montagnes Rocheuses, autour des grands lacs, et que traversent le Missouri, l’Ohio et le Mississipi, étaient autrefois couvertes de tribus d’Indiens, que leur couleur briquetée a fait désigner sous le nom de Peaux-rouges. Les yeux petits, le nez et la bouche grands, les pommettes extrêmement saillantes, les cheveux noirs et lisses, et l’absence presque complète de barbe, forment les caractères principaux de cette race, dont les origines sont inconnues, bien qu’habituellement on considère les Indiens de l’Amérique comme issus d’une émigration qui serait venue d’Asie. Ils n’ont eux-mêmes aucune tradition concernant leur histoire, et vivent dans une contrée qui, avant eux, avait déjà des habitants, dont ils ont sans doute anéanti la race, et dont ils n’ont pas eux-mêmes souvenir.
Fig. 141. — Guerrier tenant son fusil. (D’après un dessin de K. Bodmer.)
Aucune des traditions recueillies chez les Indiens qui peuplent ces contrées ne se rapporte aux monuments qu’on a trouvés sur le sol américain, et dont la date paraît extrêmement ancienne. Les grandes constructions dont on a découvert les restes sur plusieurs points de l’Union américaine, consistent en murailles de terre qui s’élèvent parallèlement sur le sol, et en murailles souterraines qui sont quelquefois en pierres ou en briques. Elles paraissent se rattacher à un système de fortifications, et se composent en général de parapets et de fossés, avec cette particularité que les portes s’ouvrent toutes du côté du levant. La plupart de ces constructions sont situées au bord des rivières, et affectent la forme triangulaire; celles qui sont éloignées des cours d’eau sont circulaires, mais leur dimension est beaucoup moindre, et leur diamètre dépasse rarement 50 mètres.
Fig. 142. — Intérieur d’une tente chez les Peaux-rouges. (D’après un dessin de Karl Bodmer.)
«Dans l’ouest de l’Union, depuis les grands lacs jusqu’au Mississipi, écrit M. Batissier (Histoire de l’Art monumental), on rencontre des rochers portant des inscriptions, de grands tertres ronds ou carrés remplis d’ossements, et des débris de fortifications, comme la muraille en terre de Chilicothe, qui est défendue par un fossé de 6 mètres de large. Ces divers ouvrages se voient surtout au confluent des rivières, dans les positions les plus favorables à l’emplacement des villes, et dans les terrains les plus fertiles. Le nombre de ces tertres excède peut-être trois mille, et les plus petits n’ont pas moins de 6 mètres de hauteur sur plus de 30 de diamètre à leur base. Les |plus grands ont jusqu’à 30 mètres de haut; ils sont bâtis partie en terre, partie en pierre, et par assises comme les téocallis. Ils renferment des squelettes d’Indiens, du charbon, des urnes, des haches et des pilons en pierre. On a trouvé un tertre tumulaire près de Crecks-Flafs, dans la vallée e l’Ohio. Son volume représente environ un million de pieds cubes de terre, et sa forme est celle d’un cône tronqué. Sir J. El. Alexander l’a fouillé et a recueilli à l’intérieur des vases de grès, des ossements humains, dix-sept cents boules d’ivoire, cinq à six cents petits coquillages et une table de granit sur laquelle est gravée une inscription composée de vingt-trois lignes orizontales et parallèles, dans laquelle sont employés vingt caractères différents, sans analogie avec ceux des langues connues. Le voyageur anglais pense que ce tumulus ne remonte qu’au XIIIe siècle de notre ère. — Il est une autre classe de monuments assez communs en Amérique, nous voulons parler des pierres branlantes. Dans l’État de Massachusets, il y en a une qui pèse au moins 10,000 kilogrammes. Il y en a deux dans le Rhode-Island, près de Providence; une autre à Philips-Town, dans l’État de New-York, et enfin à New-Hampshire. — Les remparts en terre ou en pierre observés aux États-Unis sont ou circulaires ou rectangulaires. Quelques-uns ont une grande étendue, et présentent des gradins à l’intérieur, comme dans les amphithéâtres.»
Fig. 143. Campement de Peaux-rouges. (D’après un dessin de K. Bodmer.)
Fig. 144. — Femmes indiennes, d’après K. Bodmer.
Fig. 145. — Cavaliers indiens, d’après K. Bodmer.
Chateaubriand est le premier qui ait introduit les Indiens dans la littérature, et, comme il ne les a vus qu’en passant, il les a poétisés et leur a prêté des sentiments qui sont particuliers à la race blanche. L’Américain Cooper, qui avait vécu parmi eux, en a tracé une peinture beaucoup plus exacte. Au point de vue de l’art, K. Bodmer est le seul peintre sérieux qui ait visité leurs tribus. Son voyage aux grands lacs et aux montagnes Rocheuses date de 1834, et il est resté trois années au milieu des tribus indiennes, avec le prince Maximilien de Wied-Neuwied, qui a écrit le texte du grand ouvrage dont Bodmer a fait les dessins. Les tribus parmi lesquelles il a vécu habitaient les prairies qu’arrose le Missouri, au pied des montagnes Rocheuses. Elles ont été depuis refoulées dans les forêts qui avoisinent les grands lacs, et la contrée qu’il a visitée est aujourd’hui traversée par un chemin de fer et couverte de riches cultures. Mais, bien que presque tous ses dessins aient été faits dans le même endroit, ils sont applicables à toutes les tribus indiennes qui peuplaient autrefois l’Amérique du Nord, depuis les terres polaires où elles étaient en lutte avec les Esquimaux, jusqu’aux plaines brûlantes du Mississipi, où Chateaubriand a placé son roman des Natchez. Ces tribus étaient généralement nomades, et présentaient entre elles la même affinité que les Bédouins qu’on rencontre dans les différentes parties du Grand Désert.
Fig. 146. – Une tribu, d’après K. Bodmer.
C’est à une circonstance particulière que Bodmer a dû de pouvoir faire d’après nature les beaux dessins qui resteront comme un document précieux pour l’histoire de l’Amérique. Aucun Indien ne voulait se laisser dessiner, et ils attachaient à cela une idée superstitieuse, croyant qu’ils seraient ensorcelés si on faisait leur portrait. Pourtant à l’aide de quelques pièces de monnaie (et peut-être aussi avec de l’eau-de-vie), l’artiste parvint à vaincre les scrupules d’un de ces Indiens, que ses compagnons regardèrent comme un homme voué à une mort certaine et très prochaine. Or il arriva qu’à quelques jours de là, cet Indien ayant été avec quelques autres chasser dans la forêt, revint tout seul, parce que ses compagnons avaient été tués dans une embuscade dressée par des Indiens d’une tribu ennemie. Il n’en fallut pas plus pour convaincre les autres que le peintre était véritablement un sorcier, mais un bon sorcier, qui préservait de la mort ceux qu’il avait dessinés. C’était à qui poserait dans ses plus beaux atours, et les Indiens venaient tour à tour lui demander comme un service de vouloir bien retracer leurs visages sur le papier. C’est à cette circonstance que nous devons les documents dans lesquels nous avons pris les dessins qui accompagnent ce travail (fig. 141).
Fig. 147. — Retour de chasse, d’après K. Bodmer.
Les Indiens n’habitent pas des maisons, mais des tentes de peaux dont on peut voir la disposition intérieure sur la figure 142, et l’aspect extérieur sur la figure 143 qui représente un campement. On remarquera à côté des tentes qui constituent ce campement une sépulture placée sur quatre branches d’arbres plantées en terre: c’est un mode d’ensevelissement particulier aux tribus indiennes.
Fig. 148. — Chef de tribu en costume do cérémonie. (D’après un dessin de K. Bodmer.)
L’agriculture n’existe pas chez les Indiens, qui vivent tous des produits delà chasse, et qui sont pour la plupart d’excellents cavaliers (fig. 145). Aussi voit-on un grand nombre de chevaux dans la plupart des représentations où les Indiens sont réunis en nombre (fig. 146). Il est à peine utile de dire que ces populations sauvages n’ont guère plus d’industrie qu’elles n’ont d’agriculture. Les Indiens achètent, avec les produits de leur chasse, les armes à feu dont ils se servent et qu’ils ne sauraient pas fabriquer. Encore la plupart d’entre eux ont-ils des flèches plutôt que des fusils, et c’est à l’aide de ces armes imparfaites, mais dont ils se servent avec une remarquable habileté, qu’ils attaquent les innombrables troupeaux de bisons qui parcourent en bandes les savanes de l’Amérique du Nord, et dont la peau leur sert à faire les vêtements dont ils se couvrent (fig. 147).
«La principale partie de leur costume, dit le prince Maximilien de Wied-Neuwied, est la grande robe, appelée manitou, dans la décoration de laquelle ils déploient un grand luxe (fig. 148). Quand le temps est sec, ils portent ces peaux de bison avec le poil en dedans, et, quand il pleut, avec le poil en dehors; elles sont tannées du côté de la chair, ornées en travers d’un cordon de grains de verre bleus ou blancs, auxquels se rattachent ordinairement trois rosettes rondes, tantôt petites, tantôt très grandes, placées à distances égales et de la même manière, formant, du reste, des dessins divers et élégants. Le centre est souvent rouge et le tour bleu de ciel, avec des figures blanches, ou bien ces mêmes couleurs sont différemment disposées. Ce cordon transversal est fréquemment aussi bordé avec des piquants de porc-épic teints de différentes couleurs, et alors il est plus étroit; ils les portaient de cette manière avant que les blancs leur eussent fait connaître les grains de verre. Parmi ces robes, il y en a aussi qui, du côté de la chair, présentent des figures noires sur un fond brun-rouge; d’autres représentent, en noir ou en couleurs brillantes, sur un fond blanc, les exploits du propriétaire de la robe, ses blessures, le sang qu’il a perdu, les hommes qu’il a tués ou faits prisonniers, les armes qu’il a prises, les chevaux qu’il a volés, dont le nombre est indiqué par celui des fers; tout cela est dessiné à la manière grossière de leur peinture encore dans l’enfance, en noir, rouge, vert ou jaune. Tous les peuples du Missouri fabriquent plus ou moins de ces robes de bison; mais ce sont les Pahnis, les Mandaris, les Menittaris (fig. 149) et les Corbeaux qui se montrent les plus habiles dans ce genre de peinture. Ils ont encore une autre manière de peindre les robes, par laquelle ils indiquent le nombre exact des objets de valeur qu’ils ont donnés en présent. Par ces présents, qui sont souvent d’un grand prix, ils se font un nom et acquièrent de la considération parmi leurs compatriotes. Sur ces robes, on remarque alors des figures rouges avec un cercle noir à l’extrémité, placées à côté l’une de l’autre en rangées tranversales; elles signifient des fouets ou des chevaux donnés, parce que, quand on fait présent à quelqu’un d’un cheval, on y ajoute toujours le fouet. Des figures transversales rouges et d’un bleu noirâtre indiquent du drap ou des couvertures de laine; des raies parallèles représentent des fusils qui sont assez exactement dessinés. Souvent la robe est découpée par le bas en plusieurs bandes retombantes, et ornée sur les côtés de touffes de cheveux, de crins teints en jaune ou en vert et de grains de verre. Les Indiens peignaient autrefois ces robes avec plus de soin qu’aujourd’hui, et on les obtenait pour cinq balles de fusil et autant de charges de poudre; aujourd’hui, au contraire, elles sont plus mal faites, ce qui ne les empêche pas de coûter huit ou dix dollars.»
Fig. 149. — Menittaris, d’après K. Bodmer.
Les pauvres Indiens font donc œuvre d’artiste en peignant ainsi des figures ou des ornements sur leurs peaux de bisons. La peinture au reste ne constitue pas parmi eux un métier spécial, mais elle est exercée par les chefs de tribus. L’un d’eux, Mato-Tope, qui fut un guerrier illustre dans sa tribu, en même temps qu’un artiste à sa manière, a été particulièrement connu de Bodmer qui en a tracé le tableau suivant:
«Homme de beaucoup d’intelligence et d’un grand courage; — moyenne taille; — costume de parade, que ces Indiens portent en guerre, lorsqu’ils combattent à cheval. — Figure peinte en noir et rouge imitant le sang qui coule; — sur le côté des joues, des raies rouges en zigzag figurant la foudre. — Le tour des yeux rouge; — cheveux raides en bandes lisses tombant de chaque côté de la figure. — Du sommet de la tête jusqu’aux pieds, une crinière de plumes d’aigle maintenues perpendiculairement à une bande de drap rouge et de crin attachée à la coiffure, formée d’un morceau de drap rouge sur lequel sont attachés des boutons de cuivre; — le dessus de la tête recouvert d’hermine tombant de chaque côté sur la poitrine; — plumes de hibou découpées placées derrière les oreilles; — deux cornes de bison amincies, ornées à leurs extrémités de crins rouges; un fil tendu d’une pointe à l’autre pour les soutenir. — Chemise en peau de mouton sauvage tannée, dont le poil est ménagé sur le bord. — Les manches, les épaules et le revers, rabattus sur la poitrine, richement ornés de broderies en. porc-épic, de queues d’hermine, de crins de différentes couleurs et de cheveux humains, trophées d’ennemis, qui pendent sur l’emmanchure des épaules et sur la couture des manches; — sur le devant de la chemise sont figurées les blessures données ou reçues. — Pantalon de peau teint et brodé, mocassins de même, avec queue de loup traînant après les talons. — Lance ornée d’une chevelure humaine tendue sur un cercle ornementé ; plumes d’aigle sur toute la longueur de la lance.»
Fig. 150. — Combat de deux guerriers. (Dessin d’un chef indien.)
La figure 150 est le fac-simile d’un dessin que cet illustre chef avait tracé sur sa peau de bison. Bodmer raconte ainsi le sujet représenté sur cette curieuse peinture, qui a été exécutée par Mato-Tope: «Cette peinture représente un combat singulier dans lequel Mato-Tope tue son adversaire. — Mato-Tope, étant en excursion avec une partie de ses guerriers, rencontre des cavaliers Chayennes, ses ennemis les plus acharnés; le chef de ces derniers s’avance, et, faisant signe qu’il veut parlementer, il demande si le célèbre Mato-Tope est parmi eux. Sur la réponse affirmative, le Chayenne répondit qu’il ne souffrirait pas de rival comme Mato-Tope, et que, si ce dernier le voulait, ils combattraient en présence de leurs troupes. — Il descendit de cheval; — tous deux marchèrent l’un vers l’autre en déchargeant leurs fusils, qu’ils jetèrent bientôt pour prendre l’arme blanche. — Le Chayenne, grand et fort, se servit de son couteau à scalper; Mato-Tope, plus petit, mais plus leste, de sa hache de guerre; — dans la lutte, il saisit par la lame et en se coupant les doigts le couteau de son adversaire, avec lequel il le tua, puis le scalpa. — Le Chayenne mort, ses cavaliers prirent la fuite. En mémoire de ce fait d’armes, le chef Mandan porte un petit couteau attaché à sa coiffure. — Entre autres combats, il représente celui-ci peint sur son manteau semblable au fac-simile.»
Fig. 151. — Un cavalier. (Dessin d’un chef indien.)
Le cavalier représenté figure 151 est également un ouvrage de Mato-Tope, dessiné par lui sur son manteau.
Parmi les tribus d’Indiens qui existent encore, les plus importantes sont celles des Chippeways, qui habitent au-dessus des grands lacs, et celles des Sioux, nation très belliqueuse, autrefois puissante, aujourd’hui encore indomptable, absolument incapable de se plier à aucune civilisation, et dont les restes parcourent les forêts du Far-West. La figure 152 représente un chef de cette tribu, qui peut être considéré comme un des types indiens les mieux caractérisés.
Le nombre des Indiens tend à diminuer tous les jours (fig. 153). En général, ceux du Canada se plient plus facilement aux mœurs des blancs, et au besoin se mêlent avec eux; ceux des États-Unis, réduits pour la plupart à la dernière misère, refoulés partout et traqués comme des bêtes fauves, vivent presque exclusivement des produits de leur chasse, et pratiquent le brigandage toutes les fois qu’ils trouvent l’occasion favorable. On estime à environ cent cinquante mille le nombre des Indiens qui acceptent l’idée du travail, et vivent plus ou moins dans le contact des blancs; il est difficile d’apprécier le nombre de ceux qui mènent une vie errante dans les bois et reculent sans cesse devant les colons défricheurs qui s’avancent chaque jour sur le terrain dont ils étaient jadis propriétaires. Bien qu’ils trouvent moyen de piller de temps à autre une ferme ou une diligence, ils ne sont redoutables que dans les lieux peu habités, et on peut prévoir le moment peu éloigné où ils auront cessé d’exister comme nation.
Fig. 152. — Chef Sioux, d’après une aquarelle de Bodmer (faite en 1833).
Ce n’est plus que dans les solitudes chaque jour de plus en plus rétrécies du Far-West que l’on retrouve les derniers descendants des puissantes tribus indiennes qui jadis occupaient tout le continent américain. Au nord, sur le territoire du Dacotah, les Sioux achèvent de disparaître. Au sud, le territoire indien renferme encore des Chayennnes, des Choctaws, des Corbeaux. Puis viennent les Apaches, les Comanches, les Navajoas, les Utahs, etc. De tous ces peuples il ne restera bientôt plus que le nom: la misère, l’eau-de-vie, la guerre et les famines auront eu, d’ici peu, raison de ces malheureux qui sont arrivés au dernier degré de l’avilissement.
Fig. 153. — Migration d’Indiens, d’après K. Bodmer.
Les Américains. — Les sociétés américaines n’ont pour ainsi dire pas eu de commencement; elles sont filles des sociétés plus vieilles de notre continent. Mais le sol a transformé ses habitants: il a reçu des Anglais, des Français, des Allemands, etc., et il en a fait des Américains. L’esprit positif des Américains est reconnu par tout le monde. La nécessité les a rendus ingénieux; ils se sont fait successivement agriculteurs, navigateurs, commerçants, industriels. Tout était à créer dans ce pays; ils ont tout créé, et, emportés par la force d’impulsion, ils ont fini par devancer l’Europe.
Les anciens colons, révoltés contre la métropole, proclamèrent leur indépendance, qui fut reconnue officiellement en 1783. Aujourd’hui les États-Unis forment une République fédérative qui comprend 38 États et 10 territoires (fig. 154). Nulle part l’instruction n’est aussi générale qu’aux États-Unis, et dans aucun pays du monde les journaux et les revues ne sont aussi répandus. Et pourtant, dans ce pays sans illettrés, il se fait peu de travaux dans l’ordre purement intellectuel, et, en somme, la science et l’art y sont peu honorés. C’est ce qu’a très bien remarqué M. de Tocqueville, lorsqu’il dit à propos des Américains: «Leur origine toute puritaine, leurs habitudes uniquement commerciales, le pays même qu’ils habitent et qui semble détourner leur intelligence de l’étude des sciences, des lettres et des arts; le voisinage de l’Europe, qui leur permet de ne point les étudier sans retomber dans la barbarie; mille causes particulières, dont je n’ai pu faire connaître que les principales, ont dû concentrer d’une manière singulière l’esprit américain dans le soin des choses purement matérielles.»
Fig. 154. — États-Unis. (Partie orientale.)
Quant à la vie privée, voici le tableau qu’en trace madame Beecher-Stowe: «Quiconque a voyagé dans la Nouvelle-Angleterre, écrit-elle, a dû remarquer, dans quelques frais villages, la vaste ferme à l’ombré épaisse des érables, avec sa cour soigneusement tenue, mais où l’herbe croît entre les pavés. Il se souvient sans doute du parfait repos, de l’ordre et de la tranquillité que l’on respire en ces lieux. Jamais rien de dérangé, jamais rien hors de sa place, pas un piquet qui branle à la palissade, pas une paille qui salisse la verte pelouse avec ses touffes de lilas croissant sous les fenêtres. S’il a pénétré dans l’intérieur de la ferme, il a dû remarquer ces chambres vastes et claires dont le rigide arrangement exclut toute idée de désordre, et ces habitudes domestiques aussi réglées que la vieille horloge. Ne voit-il pas d’ici, dans la chambre de la famille, comme on la nomme, l’armoire vitrée où sont rangés, dans un ordre majestueux, l’Histoire ancienne et moderne de Rollin, le Paradis perdu de Milton, le Pèlerinage du chrétien de Bunyan. et la Bible de famille annotée par Scott, en compagnie d’autres livres également sérieux et respectables? Une telle maison n’a pas de domestiques, et, malgré cela, on voit, chaque après-midi, la dame du logis avec sa coiffe d’un blanc de neige, des lunettes sur le nez, occupée à coudre, au milieu de ses filles, aussi paisiblement que si c’était là sa seule occupation. Depuis un moment dont on a peine à se souvenir, l’ouvrage est fait, et, à quelque heure que vous arriviez, vous le trouverez fait. Le carreau de la cuisine ignore ce que c’est qu’une tache; les tables, les chaises, les ustensiles ne sont jamais dérangés. Et, cependant, on prépare ici chaque jour trois ou quatre repas, on y lave et on y repasse le linge, et d’abondantes provisions de beurre et de fromage y voient le jour dans le silence et le mystère.»
Fig. 155. – Une famille de quakers. (Tableau de Benjamin West.)
Les beaux-arts. — Benjamin West, qui vivait à la fin du siècle dernier, est le seul peintre américain, qui, antérieurement à notre génération, se soit acquis un certain renom dans les arts. La Famille de Quaquers, que reproduit la figure 155, donne bien l’idée d’une société honnête, mais raide et guindée, comme il y en avait beaucoup au temps de la jeunesse du peintre, surtout dans la Pensylvanie, qui est son pays natal.
C’est à l’Exposition universelle de 1855 que le public français a été appelé pour la la première fois à voir de la peinture américaine. Edmond About, en signalant quelques portraits, est frappé par le côté industriel qui a toujours droit de cité chez Les Américains, même lorsqu’il s’agit de beaux-arts:
«Il y a de jolis portraits parmi ceux de M. Healy, et l’un des mieux réussis est le portrait-réclame de M. Charles Goodyear, peint sur caoutchouc. Les tableaux sur caoutchouc seront-ils élastiques? Nous pourrons donc agrandir les tableaux de M. Meissonnier et abréger ceux de M. Horace Vernet.»
Nous allons voir maintenant comment Paul Mantz a apprécié la peinture américaine à l’Exposition de 1867:
«Ce qui manque à l’art des États-Unis, c’est un peu d’originalité. Les peintres de New-York et de Boston regardent trop du côté de Londres; nous leur conseillons de s’affranchir. Ils ont sous les yeux une nature particulière, des mœurs spéciales: ces choses, presque inconnues de la vieille Europe, méritent d’être racontées, et elles seront d’autant plus frappantes si elles nous sont dites dans un style américain. Du reste, un grand pas a été fait; le mouvement s’accentue chaque jour et s’accélère, et nous croyons que le fier pays qui nous a donné Cooper, Prescott, Edgar Poe, Emerson, Longfellow, aura bientôt des sculpteurs, des architectes et des peintres.»
Les, espérances conçues en 1867 ne se sont pas réalisées complètement. Il y a eu, il est vrai, un changement, mais ce n’est pas dans le sens de l’originalité. Le grand établissement fondé aux États-Unis par M. Goupil n’a peut-être pas été étranger à la transformation dont nous parlons. Toujours est-il que les peintres américains, autant qu’on en a pu juger par l’Exposition de 1878, regardent moins du côté de l’Angleterre, et plus du côté de la France. Depuis plusieurs années, nombre de jeunes gens ont traversé l’Atlantique, pour venir s’inscrire comme élèves à l’atelier de Gérome: quelques-uns ont acquis du talent, mais ils ont tous le défaut de voir trop la nature avec les yeux de leur maître. Le plus remarqué d’entre eux a été M. Bridgman, qui a obtenu une médaille de deuxième classe, avec son tableau des Funérailles égyptiennes.
Sur quatre-vingt-sept peintres américains qui ont exposé des tableaux, trente-trois habitent Paris, quelques-uns demeurent en Angleterre ou en Italie, et on n’en trouve pas en somme plus de quarante habitant les États-Unis, où ils sont disséminés dans des villes distantes l’une de l’autre de quelques centaines de lieues. Ces artistes ne constituent pas un groupe ayant un corps de doctrine à eux: aussi, bien que quelques peintres américains aient une valeur personnelle incontestable, il n’y a pas à proprement parler d’école américaine.
Les dessinateurs de journaux illustrés forment sous ce rapport un groupe plus nettement accusé. La librairie a pris en Amérique un très grand développement, et les gravures qui accompagnent les livres montrent souvent une véritable originalité. Mais, dans les applications de l’art à l’industrie, nous trouvons une pauvreté d’invention qui prouve que le peuple américain, qui pousse si loin le besoin du luxe et du confortable, est encore peu sensible aux choses du goût. Sous le rapport de la fabrication des meubles, des tapisseries, de la cristallerie, de la céramique, l’Amérique n’a rien montré de bien saillant. Dans l’orfèvrerie et la bijouterie, on est frappé de voir que des pièces importantes en or et en argent ressemblent exactement à des objets à treize sous, et n’en diffèrent que par la valeur du métal. Il faut faire une exception pour les vaisselles de Tiffany, imitations japonaises qui ont produit à Paris une impression d’autant plus vive qu’on ne s’attendait nullement à trouver pareille chose dans l’exposition américaine. Un de nos premiers bijoutiers français, L. Falize, apprécie ainsi les ouvrages de son confrère américain: «Un orfèvre bien et justement remarqué, c’est M. Tiffany, de New-York. Ayant eu la bonne fortune d’étudier à Philadelphie, deux ans avant nous, les procédés des Japonais, comme il nous est donné de le faire aujourd’hui dans leur intéressante exposition, il a mis à profit cette avance. Il délaisse l’émail, il ne s’applique pas à copier les fines et capricieuses ciselures de Kanasawa et de Takaota; ce qu’il emprunte au Japon, c’est son décor le plus franc: des plantes aux larges feuilles, des oiseaux, des poissons; ce qu’il a surtout pénétré, c’est le secret de ses alliages...» Le succès que Tiffany a obtenu à l’Exposition de 1878 ne peut manquer de lui susciter en Amérique des imitateurs et des concurrents. Il serait curieux que l’art industriel des Américains ait eu son point de départ au Japon.
Fig. 156. — Provinces de l’Est.
Les villes américaines. — Un double caractère frappe l’étranger qui visite les villes américaines: c’est une très grande animation produite par l’activité du commerce, unie à une immense monotonie qui résulte de la disposition habituelle des villes et du genre de constructions qu’on y voit. Certes il ne faut pas se plaindre que les rues soient partout garnies de larges trottoirs et coupées à angles droits, que le terrain sur lequel une ville est bâtie ne soit jamais mamelonné, mais uni et plat, qu’on ne trouve nulle part de ces ruelles infectes et de ces vieux quartiers qui déshonorent presque toutes nos villes d’Europe et qui font le désespoir de nos édilités. Seulement il en résulte une uniformité d’autant plus fatigante qu’elle n’est nulle part rompue par la silhouette des édifices. Il y a pourtant des monuments, mais qui sont généralement froids pour l’esprit comme pour les yeux. Dans ces villes nées d’hier, aucun édifice ne peut évoquer un souvenir, et quand on veut en examiner l’architecture, on la trouve souvent banale, et quelquefois bizarre, jamais originale: les photographies des monuments américains, qu’on a vues à la dernière Exposition, suffiraient à le démontrer. Nous n’avons donc pas à nous arrêter longtemps sur ces riches cités où l’art compte pour si peu de chose, et nous nous contenterons de nommer les principales.
Tout le long de la côte baignée par l’océan Atlantique, et, dans la. direction de l’ouest, jusqu’aux monts Alleghanys, les dépassant même quelquefois, se groupent les États qui ont été le berceau et sont encore le cœur des États-Unis. C’est ici que s’est maintenu jusqu’à ce jour le centre de la vie politique de l’Union américaine; mais il semble tendre à se déplacer pour se reporter vers l’occident et surtout du côté des grands lacs, où tous les jours on voit s’élever des villes nouvelles. Ces villes ont naturellement un caractère très différent de celles qui ont servi de berceau à l’Union américaine et dont la physionomie se rapproche beaucoup plus de celle de nos cités européennes. Lorsque, après les premiers défrichements, on trouve un emplacement favorable pour l’établissement d’un centre de population, on construit d’abord, et quelquefois avec un certain luxe, les édifices regardés comme indispensables, une église, une école, un tribunal, etc. On les groupe dans un centre autour duquel on trace de larges voies de communication, et les terrains les plus rapprochés de ce centre prennent immédiatement une valeur qui ne peut manquer de tenter les spéculateurs. Alors on voit s’élever comme par enchantement des habitations, des hôtels pour les voyageurs, des magasins pour les marchandises, etc. Ces premières constructions ont généralement un caractère provisoire, et la maison de bois, exposée par les Américains dans la rue des Nations en 1878, en donne assez exactement l’aspect. A mesure que la ville nouvelle acquiert de l’importance, les habitations se transforment et prennent un caractère plus durable; mais les constructions hâtives se multiplient alors dans les faubourgs, qui gardent beaucoup plus longtemps que le centre leur allure de ville improvisée.
Un point assez important à noter pour ce qui concerne les villes dont la fondation remonte au dernier siècle, c’est que leur origine se rattache à des nationalités différentes. Ainsi celles qui se trouvent sur le bassin du Mississipi ont été pour la plupart fondées par des colons français, bien que l’élément anglais y soit devenu prédominant par la suite. Au contraire, les villes situées entre les monts Alleghanys et l’océan Atlantique sont toutes d’origine anglaise. Enfin les villes des États du Sud présentent, avec celles des États du Nord, des différences d’aspect souvent assez notables, par la raison que le climat exerce naturellement une influence considérable sur la forme et la disposition des habitations.
BOSTON (250,500 hab.), dans le Massachusetts, est considérée comme la métropole intellectuelle des États-Unis. C’est une des plus anciennes villes de l’Amérique anglaise; cité puritaine, propre, froide et digne, en tout semblable à ses habitants. Les édifices publics, comme dans tous les centres importants de l’Union, ont des prétentions un peu fatigantes au grandiose. La plupart des rues sont bordées de grands arbres, et un beau parc se trouve au cœur de la ville. Boston n’a pas l’aspect enfiévré de New-York, et la vie n’y paraît pas entièrement absorbée par les affaires. Dans les quartiers commerçants, où il y a toujours une certaine foule, on n’est ni pressé ni bousculé, et il règne un calme relatif. La vieille cité puritaine a des prétentions littéraires, et s’intitule l’Athènes des États-Unis.
NEW-YORK (942,000 hab.) est une ville située sur une espèce de presqu’île resserrée entre deux rivières: le détroit dit East-River, sépare la ville proprement dite du faubourg de Brooklyn (396,000 hab.) et la rivière d’Hudson la sépare de Jersey-City (82,000 hab.). Si on réunissait à New-York les villes et bourgs du voisinage. qui en sont devenus des annexes, on atteindrait un chiffre énorme de population. La ville est entièrement consacrée au commerce et à l’industrie. Les murs sont tapissés d’annonces de toutes les grandeurs et de toutes les couleurs; l’attention est accaparée par elles. Il n’est guère facile de se faire une idée du mouvement qui règne dans certaines rues, telles que Broad-Way et Wall-Street, par exemple. Des omnibus., des chariots, des wagons, des voitures se croisent et se coupent sans cesse, produisant un encombrement toujours renaissant. La foule des piétons n’est pas moins formidable.
«La diversité des quartiers nous frappa tout particulièrement, dit Henri Rochefort en parlant de New-York. Les uns verdoient, les autres poudroient. Plusieurs sont gais comme le soleil, quelques-uns tristes comme l’humidité. L’architecture composite y a produit d’affreux monuments. Les marbres de toute provenance y abondent, mais le mauvais goût jette son voile criard sur toutes ces richesses aussi mal utilisées que possible... New-York est située à l’embouchure de l’Hudson, sur une île séparée de la grande terre par un fleuve étroit, et dont elle couvre toute la partie méridionale. Le noyau de la ville était autrefois un amas de collines boisées et de vallées charmantes environnées de marais, dont le dessèchement s’est opéré peu à peu. La partie nord se composait d’un terrain rocheux planté de forêts, aujourd’hui disparues sous les bâtisses, et dont les taillis étaient peuplés de gibier.
«De l’autre côté de l’eau s’étend Brooklyn, qui se reliera à New-York-City par un pont gigantesque, et qui est actuellement desservi par des paquebots perpétuellement en marche. Le manque d’ordre et d’alignement qui distingue New-York étonne et amuse. Les rues sont accaparées par les petits marchands. Des enseignes démesurées flottent au vent. Les échoppes encombrent les trottoirs. Les vitrines présentent l’image du chaos. De cette fournaise s’élève un inextinguible brouhaha.»
Albany (76,000 hab.) est la capitale de l’État de New-York, qui contient encore plusieurs villes très importantes, entre autres Buffalo (117,000 hab.), que sa situation à l’embouchure d’une rivière qui se jette dans le lac Erié a rendu le centre du commerce dans la région des grands lacs.
PHILADELPHIE (674,000 hab.), dans la Pensylvanie, est la seconde ville des États-Unis par son importance. Cette ville est une des plus belles du nouveau monde par la régularité de ses rues, qui se coupent à angles droits, et par l’élégance de ses maisons particulières. Elle possède quelques édifices d’un aspect assez grandiose. On cite particulièrement la Douane, anciennement la Banque, monument construit avec un beau marbre blanc tiré des monts Alleghanys. La ville s’étend sur une longueur de plusieurs kilomètres le long de la rivière de Delaware.
Philadelphie est une ville lettrée et une ville savante; ce n’est pas encore une ville artiste, mais il paraît que le goût des arts y est assez répandu.
PITTSBOURG (86,000 hab.), dans la Pensylvanie, doit sa prospérité à son heureuse situation au confluent des deux rivières qui forment l’Ohio; C’est une ville régulièrement bâtie, mais à laquelle ses maisons noircies par la fumée donnent un aspect singulièrement triste. Cité manufacturière et commerçante, Pittsbourg n’a pas un seul monument qui mérite d’être signalé. La Pensylvanie renferme encore quelques villes importantes parmi lesquelles il suffira de nommer Alleghany-City (53,000 hab.), Hanisburg (23,000 hab.), qui est la capitale de l’État, Érié sur le lac du même nom, etc.
BALTIMORE (267,000 hab.), dans le Maryland, présente un aspect plus monumental que la plupart des villes américaines. La cathédrale catholique, avec un dôme imité de celui du Panthéon de Rome, la colonne en marbre blanc érigée en l’honneur de Washington, et plusieurs autres édifices de la ville, sont conçus dans un style classique qui n’accuse pas une bien grande originalité, mais que ne déparent pas non plus les bizarreries de goût qu’on rencontre souvent en Amérique. Baltimore est de beaucoup la cité la plus peuplée de l’État de Maryland, dont la capitale, Anapolis, est une toute petite ville sans importance. On peut remarquer d’ailleurs que dans la plupart des États qui composent l’Union américaine le siège du gouvernement est dans une ville tout à fait secondaire.
WASHINGTON (109,000 hab.), la capitale des États-Unis, est située sur la rive gauche du Potomac, dans un endroit renommé pour la salubrité de l’air et la beauté des environs. Cette ville a été fondée par Washington, dont elle a pris le nom. «Le plan, dit Malte-Brun, en fut tracé par un Français, le major l’Enfant; il réunit dans un très haut degré la commodité, la régularité, le charme de la perspective et la libre circulation de l’air. Avant de rien commencer, on avait déterminé la position des divers édifices publics, tels qu’on les a construits depuis, sur le terrain le plus avantageux; tous dominent ou des perspectives lointaines ou des vues agréables, et leur situation les rend susceptibles de tous les accessoires que pourrait exiger par la suite l’utilité ou l’embellissement.» Le Capitole, qui passe pour le plus beau monument des États-Unis, est construit dans le goût solennel et froid qui forme le style officiel de la plupart des édifices contemporains. Washington est placée dans le district fédéral de Colombia, entre le Maryland et la Virginie. Richmond (51,000 hab.), capitale de la Virginie, a été, pendant la guerre de sécession, le centre de l’insurrection sudiste.
CINCINNATTI (216,000 hab.) n’était qu’un petit groupe de chaumières en 1789. C’est aujourd’hui une grande et belle cité, industrieuse et commerçante, qui s’étend majestueusement sur les bords de l’Ohio, mais qui, comme toutes les villes américaines, n’offre aucun intérêt pour l’artiste. Ses maisons de briques sont régulièrement alignées sur de larges rues bien pavées; ses églises, dépourvues de sculptures et de peintures, sont bien closes, garnies de tapis épais et munies de calorifères qui garantissent du froid les fidèles. On y trouve des hôtels confortables, des écoles bien aménagées, des boutiques luxueuses, et on y cherche en vain un monument à noter.
Le bassin du Mississipi descend de la région des lacs au golfe du Mexique et occupe en largeur tout le territoire qui va des monts Alleghanys aux montagnes Rocheuses. Dans sa partie haute, il est boisé, marécageux et humide, puis il s’étale jusqu’à la mer en immenses prairies brusquement coupées par des forêts vierges. Le gigantesque fleuve auquel il emprunte son nom le sépare en deux parties. Celle de la rive gauche est la plus riche et la mieux cultivée.
De ce côté est CHICAGO. la cité Champignon (298,000 hab.), qui s’est élevée comme par enchantement. Chicago, située sur la rive gauche du lac Michigan, est la principale ville de l’Illinois.
«Chicago, si célèbre par son commerce, écrit Henri Rochefort, l’est au moins autant par ses incendies. Quand cette ville inflammatoire est restée deux ans sans brûler de fond en comble, les architectes et les entrepreneurs organisent des meetings de protestation. La facilité avec laquelle elle renaît de ses cendres la fait comparer par les auteurs du pays à l’oiseau fabuleux qui a donné son nom à diverses compagnies d’assurance.... Bâtie dans une situation merveilleuse, aux confins des grandes savanes américaines, Chicago avait d’abord été surnommée la Reine des Prairies, qu’elle relie, en effet, à la grande civilisation moderne. Les premières maisons en furent construites, comme pour toutes les villes qui débutent, avec les arbres qu’on abattait dans les environs. On conçoit les ravages que devait produire-dans un pareil milieu l’incendie activé par les vents qui soufflent du lac Michigan, véritable mer intérieure qui a ses tempêtes, ses bourrasques et même ses naufrages. Le feu de 1871 dévora dix-sept mille quatre cent cinquante maisons. Les divers désastres qu’a subis Chicago ont au moins servi à mettre en relief l’admirable activité américaine. En France on gémit des années entières sur les ruines d’une bicoque qui s’effondre. Là-bas le fléau le plus dévastateur a bien vite trouvé son maître. Les victimes ne perdent pas leur temps à pleurer sur elles-mêmes et à contempler les décombres. La maison incendiée fume encore que celle qui doit lui succéder commence déjà à sortir de terre.»
SAINT-LOUIS (310,900 hab.), dans le Missouri, s’étend sur une longueur de plus de 10 kilomètres sur la rive droite du Mississipi. Fondée par quelques Français en 1764, cette ville n’avait encore que deux mille habitants en 1816. Malte-Brun en donne la description suivante: «La partie la plus considérable est composée de maisons à plusieurs étages en briques et en granit, dont on trouve des blocs énormes en creusant les fondations dans le sol d’alluvion sur lequel elle est bâtie. L’autre partie de la ville, habitée par des Français, n’est, pour ainsi dire, qu’un faubourg. Les maisons y sont généralement en bois, mais propres, entourées de galeries élégantes, ombragées de beaux arbres, et toujours accompagnées de petits jardins.»
LA NOUVELLE-ORLÉANS (191,000 hab.), dans la Louisiane, est bâtie sur un terrain bas et malsain, près de l’embouchure du Mississipi. Mme Ida Pfeiffer donne de cette grande et riche cité le tableau suivant.
«La Nouvelle-Orléans, située sur un sol marécageux, se trouve en différents endroits à deux mètres et demi au-dessous du niveau du fleuve. Elle se présente bien, est régulièrement bâtie, a beaucoup de belles maisons en briques, de larges rues, et quelques jolies places avec des squares et des jardins. Il est fâcheux qu’à l’exception d’un petit nombre, les rues soient si sales et si mal tenues.»
La partie occidentale des États-Unis (fig. 157) est beaucoup moins peuplée que la partie orientale. C’est là que s’étendent les solitudes du Far-west, champ immense ouvert aux hardis pionniers américains.
C’est dans les déserts de l’Utah que s’est développée la singulière civilisation mormonne, civilisation où la polygamie est admise et dont la religion a été révélée par le prophète Brigham Young. Les adeptes, de cette religion dépassent actuellement le chiffre assez respectable de 130,000. Les besoins de cette religion ont donné l’idée à Brigham Young d’une architecture particulière dont le temple de la cité du Lac-Salé nous offre un curieux mais très vilain spécimen.
Un chemin de fer relie maintenant l’Atlantique au grand Océan, traversant ainsi l’Amérique du Nord dans sa plus grande largeur.
Fig. 157. — États-Unis. — Partie occidentale.
Attirés par les mines d’or, quelques colons sont venus s’établir sur la côte californienne jusque-là déserte et ont jeté les premiers fondements de San Francisco.
San Francisco (150,000 hab.), est une ville de formation toute récente, et qui est aujourd’hui le centre d’un commerce immense avec la Chine, l’Australie, et tous les pays que baigne le grand Océan.
«A deux ou trois heures en mer avant d’aborder, dit Henri Rochefort dans la description de son arrivée à San Francisco, on voit se développer une terre accidentée, où de riants cottages sont assis sur les flancs de collines aux contours capricieux. Au fond du tableau, les montagnes d’une certaine altitude forment des arêtes décroissantes et secondaires de l’immense chaîne des monts Diablo, dont le principal s’élève à l’arrière de San Francisco, le surplombant comme une sentinelle qui veille. On pénètre dans la baie par une passe large de deux milles environ et longue de cinq, flanquée, à droite et à gauche, de monticules tourmentés. En quittant la passe, on se meut dans une large nappe d’eau dont le léger clapotis n’a rien d’océanique. A l’endroit où passaient par milliers les chevaux et les bestiaux, où se dressaient, au milieu des herbes et des bouquets d’arbres, de grossières huttes de bergers, s’étale aujourd’hui la somptueuse cité de l’or. Les tapis d’herbes ont disparu sous des édifices aux alignements irréprochables, et la forêt de chênes monstrueux, de pins et de cèdres, qui obstruaient le rivage, a fait place à une forêt de mâts qui se croisent dans la rade.»