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LES EAUX

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La mer. — Les côtes. — Les marées. — Les eaux courantes. — Les eaux stagnantes.

La mer. — La surface du globe n’est pas unie: elle présente des parties creuses et des saillies qui sont insignifiantes par rapport à sa masse, mais qui ont une très grande importance dans les représentations artistiques. La mer occupe les parties creuses, tandis que la terre proprement dite, c’est-à-dire les continents et les îles, forme les parties saillantes. Les anciens, qui personnifiaient tout, n’ont pourtant pas su donner à la mer une forme bien déterminée. Neptune, le dieu des mers, est, il est vrai, caractérisé par son trident, qui est un engin de pêche; mais, à part cet attribut, il ressemble assez exactement à Jupiter, et n’a rien dans sa personne qui puisse faire songer à la mer. En revanche, le cortège du dieu, qui est chargé d’exprimer le mouvement des eaux, ne laisse aucun doute sur les fonctions que la mythologie lui attribue (fig. 44). Non seulement les tritons et les naïades sont presque toujours accompagnés de dauphins et de coquillages, mais leur forme même se revêt souvent d’écaillés de poissons ou tout au moins de nageoires dans la partie inférieure de leur corps. C’est au milieu de ces personnages nageant et bondissant que les sculpteurs représentent Vénus sortant de l’écume des vagues (fig. 45).

Les artistes modernes, plus exacts observateurs des réalités, devaient naturellement abandonner les gracieuses fictions de l’antiquité, et étudier la palette à la main les aspects sous lesquel la mer se montre à nos-yeux.

La mer, qui présente une beaucoup plus grande étendue que la terre, n’offre pas moins de variété dans ses aspects. Sa surface, tantôt unie, tantôt tumultueuse, reflète dans une certaine mesure les teintes du ciel, et change d’apparence selon le temps et le mouvement des nuages. La mer a en outre une couleur qui lui est propre, mais qui n’est pas toujours la même. C’est ainsi qu’à l’embouchure des rivières elle est d’un gris jaunâtre, comme on le voit sur la plupart des tableaux de l’école hollandaise, tandis que sur certaines parties de l’Océan, dans le golfe de Gascogne, par exemple, elle est souvent d’un vert très franc. La Méditerranée, au contraire, est d’un bleu intense, et il est remarquable que Joseph Vernet, qui en a si admirablement rendu les côtes, ne soit jamais arrivé à en reproduire la teinte. De nos jours, plusieurs artistes ont peint la Méditerranée; leurs tableaux ne présentent pas toujours le même charme dans la disposition, mais ils se rapprochent davantage de la vérité sous le rapport du ton. M. Mazure a fait en quelque sorte une spécialité du bleu de la Méditerranée, et si ses productions pèchent un peu par la monotonie, comme le montre chaque exposition, c’est qu’il aime avec passion les rives de la Provence et ne veut pas regarder autre chose.

Fig.45. – Naissance de Vénus. (D’après un bas-relief antique


Fig. 44. – Pompe de tritons et de naïades. (D’après un bas-relief antique.)


Fig. 46. — La Mer. — La Femme du marin. (Tableau de Butin. Salon de 1879.)


La mer ne nous offre pas seulement des couleurs variées, elle a aussi des formes, des formes mouvantes et changeantes, il est vrai, mais se modifiant suivant une loi implacable, qui provient de la double action de l’eau sur le sol et du vent sur la surface de l’eau. L’action de l’eau sur le sol est surtout sensible dans le voisinage des côtes, où la vague rencontre à chaque instant des obstacles qui la brisent et la font écumer. Mais le flot obéit aussi à un mouvement déterminé, qui, même lorsque la mer semble calme, est bien visible à l’œil nu, surtout lorsque une barque ou un canot vient à sillonner la surface de l’eau.

Ce mouvement que les flots impriment à tout ce qu’ils supportent a été traduit d’une manière bien lisible sur un tableau qui figurait à l’Exposition de 1879, et qui représentait simplement un petit canot conduit par la femme d’un marin (fig. 46). Tout le charme de ce petit tableau vient de ce que la nature a été prise sur le fait. Le mouvement de la femme est en rapport direct avec l’inclinaison du canot, qui laisse voir à l’intérieur des paniers à poisson avec un petit enfant que le mouvement de la mer n’incommode nullement.

Lorsque la mer est agitée, les vagues s’élèvent à une hauteur énorme pour retomber ensuite avec fracas. Bernardin de Saint-Pierre décrit ainsi une tempête à laquelle il a assisté :

«Quand nous eûmes doublé le cap de Bonne-Espérance, et que nous vîmes l’entrée du canal de Mozambique, le 23 juin, vers le solstice d’été, nous fûmes assaillis par un vent épouvantable du sud. Le ciel étant serein, on n’y voyait que quelques petits nuages cuivrés, semblables à des vapeurs rousses, qui le traversaient avec plus de vitesse que celle des oiseaux. Mais la mer était sillonnée par cinq ou six vagues longues et élevées, semblables à des chaînes de collines, espacées entre elles par de larges et profondes vallées. Chacune de ces collines aquatiques était à deux ou trois étages. Le vent détachait de leurs sommets anguleux une espèce de crinière d’écume où se peignaient çà et là les couleurs de l’arc-en-ciel. Il en emportait aussi des tourbillons d’une poussière blanche qui se répandait au loin dans leurs vallons, comme celle qu’il élève sur les grands chemins en été... Ce qu’il y avait de plus redoutable, c’est que quelques sommets de ces collines, poussés en avant de leurs bases par la poussière du vent, se déferlaient en énormes voûtes qui se roulaient sur elles-mêmes en mugissant et en écumant, et eussent englouti le plus grand vaisseau s’il se fût trouvé sous leurs ruines.»

Dans un admirable tableau du Louvre, Ruysdaël a représenté une Tempête sur le bord des digues de la Hollande. Mais cette scène, qui reproduit avec tant d’animation les flots agités d’une embouchure de rivière, ne donne aucunement l’idée d’une tempête en pleine mer. Joseph Vernet a fait plusieurs scènes de naufrage qui se passent presque toujours sur des côtes rocheuses. Quoiqu’il possédât mieux que personne le dessin si particulier des vagues en mouvement, il aurait rendu bien incomplètement sa pensée, s’il n’avait fait intervenir des naufragés, qui expliquent mieux encore que les flots la scène qu’il voulait représenter.

Quant à un naufrage dans la haute mer, malgré les tentatives très nombreuses qui ont été faites pour en traduire l’impression sinistre, je ne crois pas qu’on en ait jamais représenté qui soient à la hauteur du sujet. Aussi Géricault, dans son Radeau de la Méduse (fig. 47), a-t-il cherché l’expression dramatique dans le mouvement des personnages et non dans celui des flots. Ce n’est pas un naufrage qu’il a montré, ce sont des naufragés. On comprend, en les voyant, les dangers qu’ils ont essuyés, les fatigues qu’ils ont endurées, mais toute l’éloquence du peintre est ici dans la figure humaine, et dans ce tableau, qui est certainement ce que la vie maritime a inspiré de plus beau dans les arts, la mer n’apparaît que sous une forme accessoire.

Fig. 47. — La Mer. — Radeau de la Meduse. (Tableau de Géricault.)


La mer à l’état calme n’a pas eu d’interprète plus sincère que Guillaume Van de Velde, un des plus grands maîtres de l’école hollandaise. Cet admirable artiste n’est jamais si fort que quand il peut dérouler une vaste étendue de mer, comme une nappe limpide que peuplent des navires et des barques placées à toutes les distances. Personne d’ailleurs n’a été plus exact dans la construction des navires: il en connaissait à fond l’anatomie. Ses vaisseaux pourraient servir de documents dans un musée de constructions maritimes, mais le savoir technique se dissimule derrière le sentiment de l’art, et parmi tant de mâts et de cordages qui s’entre-croisent à travers le ciel, on ne trouve pas la plus petite sécheresse; les détails, qui sont dessinés d’une manière très ferme, sont pourtant discrets et paraissent tellement enveloppés dans l’atmosphère, qu’ils n’attirent jamais l’œil du spectateur d’une façon importune, mais se trouvent toujours, pour peu qu’on veuille les chercher.

Clays est, parmi les artistes contemporains, celui qui a rendu avec le plus de vérité la mer par un effet calme. Au reste il représente rarement la haute mer, et les sites qu’il choisit sont presque toujours pris à l’embouchure des rivières (fig. 48).

La mer varie suivant les latitudes, et elle n’est pas la même dans les contrées équatoriales que sur nos côtes européennes. Mais c’est surtout dans les zones glacées que l’Océan prend un aspect étrange qui ne se trouveras ailleurs.

«Ces rochers d’apparence cristalline que charrie l’Océan, dit Reclus, sont la splendeur des parages arctiques. De dimensions souvent colossales, ils offrent parfois une architecture d’une régularité presque parfaite; mais ils prennent aussi les formes les plus variées ou les plus bizarres: ce sont de hautes tours, des colonnes accouplées, des groupes de sculpture, des statues se dressant au-dessus de la mer comme des dieux de marbre: Hayes compare au colosse de Rhodes un des blocs qu’il rencontra; un large détroit coulait entre ses deux piliers. Dans les eaux relativement tièdes, comme celles du Spitzberg, que vient réchauffer le Gulf-stream, la glace est incessamment rongée, et la partie des masses flottantes qui s’élèvent au-dessus de la surface marine, prend d’ordinaire l’apparence d’une sorte de pilier portant un large chapiteau plus ou moins incliné et frangé de stalactites. L’assise du sommet est blanche et parfois revêtue de neige, tandis que les cannelures du pilier, dont la glace plus compacte est battue par le flot, ont la couleur de l’émeraude ou du saphir. Les soubassements des colonnes sont percés de grottes dans lesquelles l’eau s’engouffre avec un sourd murmure; parfois ils sont criblés de trous d’un petit diamètre d’où chaque flot s’élance en jets divergents. Les gerbes argentées jaillissent alternativement de chaque côté du pilier, suivant les balancements que lui imprime la mer. Dans les eaux très froides, comme celles de l’archipel arctique, des phénomènes contraires se produisent. Au lieu d’être rongés et fondus par les vagues, les blocs tombés des glaciers commencent d’abord par s’accroître graduellement, à cause de la basse température du liquide dans lequel ils sont plongés, et qui se solidifie autour des énormes tours flottantes.»

Fig. 48. — Sur l’Escaut. (Tableau de Clays. Salon de 1875.)


Les côtes. — Les côtes, c’est-à-dire le point où le sol terrestre se trouve en contact avec la mer, présentent une très grande variété d’aspects. Cependant ces aspects peuvent presque toujours se rattacher à deux natures de terrains, qui sont les falaises et les dunes. Les falaises sont comme une brusque interruption d’un terrain montueux qui descend à pic et en ligne droite vers la mer. Ce sont les assauts répétés des vagues, qui ont donné cette apparence de murailles à pic, à des coteaux dont les bases se rapprochaient autrefois de l’Océan par une inclinaison douce et presque insensible. Les falaises se dressent quelquefois à plusieurs centaines de mètres au-dessus du niveau de la mer, et on se demande avec étonnement comment l’eau, en se heurtant contre des roches, a pu renverser tranche par tranche de pareilles fractions de montagnes et en a réduit les débris en poussière pour en faire ensuite disparaître jusqu’à la trace (fig. 49). Les lames qui viennent se briser contre ces blocs les fractionnent de plus en plus, et ils finissent par se changer en galets auxquels le flot donne une forme arrondie en les roulant sans cesse. Ces roches, que des éboulements nouveaux viennent incessamment renouveler, se couvrent souvent d’une épaisse végétation d’algues marines, et de plantes aux allures bizarres qui tapissent et protègent le sol déchiqueté sur lequel elles croissent.

Les rivages sablonneux sont découpés par des anses, comme les côtes rocheuses, mais ils présentent en général un aspect plus arrondi. Ils sont formés par des dunes, ou des séries de monticules sablonneux dans lesquels poussent des petites herbes espacées et d’un ton grisâtre. Les peintres hollandais, qui n’ont jamais mis de falaises dans leurs tableaux, ont au contraire souvent représenté les dunes dont la côte des Pays-Bas est couverte tout le long de la mer du Nord. Ces dunes, si solitaires la plupart du temps, s’animent pourtant un peu à l’approche des villages ou des fermes; on y voit parfois un berger avec ses moutons qui cherchent leur maigre pâture dans ces terrains dénudés.

Les ports et les embouchures de rivières forment aussi une catégorie assez importante parmi les sujets maritimes. Joseph Vernet a fait, d’après les principaux ports de France, une suite de tableaux extrêmement remarquables. Ils sont réunis dans une des salles du Louvre, et, bien que leur ensemble présente une certaine uniformité d’aspect, on est frappé, quand on les examine l’un après l’autre, de l’animation que présente la population des ports, et du parti que l’artiste a su tirer des navires serrés contre les quais. Tous ces mâts, qui se dressent comme une forêt, présentent un enchevêtrement très compliqué au travers duquel pourtant on distingue nettement les détails qui sont toujours dessinés avec une grande précision.

En général, pourtant, les grands navires et les paquebots qui font les voyages au long cours prêtent peu à l’interprétation pittoresque; il n’en est pas de même des petites embarcations qui ne s’éloignent pas de la côte. Les artistes ont traduit de mille façons différentes les scènes de pêche, l’arrivée et le départ des barques, et tous les détails de la vie du marin.

Ce n’est pas seulement l’aspect pittoresque des barques penchées sur la grève qui plaît tant aux artistes dans la marée basse, c’est tout un petit monde qui s’agite sur le sable mouillé, et qui participe à la fois de la vie maritime et de la vie champêtre. Ici ce sont des chercheurs de marne ou de varech (fig. -50), là des pêcheuses qui s’en vont les jambes nues et la hotte sur le dos, plus loin une charrette qui s’avance le long du flot mourant, conduite par des paysans qui cherchent quelques ingrédients maritimes. L’école hollandaise a fréquemment représenté des scènes de ce genre, et les artistes modernes s’y complaisent également.

Fig. 49. — La Falaise. — Falaises de Dieppe. (Guillemet Salon de 1877.)


Cette prédilection s’explique tout naturellement par les convenances spéciales de l’art qui, pour charmer, a besoin d’exprimer la vie dans sa forme la plus simple, la plus naïve, et se trouve mal à l’aise dans tout ce qui est artificiel et arrangé. Voici (fig. 51) des barques de pêcheurs amarrées le long d’une côte. On aperçoit au loin la petite ville dominée par son église: les filets sont en train de sécher, les mâts et les voilures présentent un heureux désordre, les femmes des pêcheurs vont chercher le poisson, les matelots sont au travail: on ne sent nulle part l’apprêt, et ce mouvement incessant, qui est la vie des côtes, exerce un attrait singulier sur les voyageurs et sur les artistes.

Fig. 50. — Les Chercheurs de marne. (Tableau de Zuber. Salon de 1876.)


Il y a trente ans, car c’était, je crois, en 1850, je vins à Trouville, sur la foi de quelques amis, qui m’avaient dépeint ce pays comme un petit coin perdu au bord de la mer, et fréquenté seulement par les artistes. Le renseignement aurait été parfaitement exact quelques années auparavant, quand le peintre de marines Mozin vint le premier sur cette côte pour y planter sa tente, et dessiner les masures qui baignaient dans l’eau et les barques échouées sur la vase. Quand j’arrivai, Trouville n’était assurément pas ce qu’il est aujourd’hui: le chemin de fer n’existait pas, le bassin à flot n’était pas encore creusé, et le marais de Deauville, sans cesse parcouru par d’immenses troupeaux de moutons qui paissaient en liberté, ne laissait aucunement prévoir qu’il serait un jour coupé de rues éclairées au gaz et bordées d’élégantes villas. Néanmoins Trouville n’était déjà plus, il s’en faut, un village de pêcheurs. Il y avait un casino, un bain de mer fréquenté, de nombreux hôtels, et cette population de désœuvrés qu’on rencontre toujours dans les villes d’eaux.

Fig. 51. — La Marée basse. — Retour de la pèche. (Tableau de Jules Noël.)


Comme j’avais négligé de demander l’adresse exacte de l’auberge où allaient les artistes dont on m’avait parlé, je descendis dans le premier hôtel venu, assez désappointé déjà de voir les apparences mondaines d’un endroit qu’on m’avait recommandé comme un pays agreste et solitaire. Un domestique, habit noir et cravate blanche, m’introduisit dans une grande salle où la table d’hôte était servie. Les convives étaient nombreux, et la conversation, sans être générale, paraissait assez animée, chaque groupe causant dé son côté, sans s’inquiéter de ce qui se disait à l’autre bout de la table. On parlait naturellement des bains de mer, de l’eau qui était maintenant très bonne et qui serait encore meilleure dans quelques jours, de l’affluence des baigneurs, de la supériorité de Trouville sur Dieppe et les autres villes de bains, d’un monsieur qui nage parfaitement, d’une demoiselle qui a peur en entrant dans l’eau. Puis, comme la médisance a toujours sa part dans une réunion de ce genre, j’entendais chuchoter à mots couverts des demi-révélations sur les habitués du casino: c’était une baronne qui se consolait de son veuvage en étalant des toilettes extraordinaires; un aventurier qui, l’année précédente, n’avait ni sou ni maille, et roulait maintenant dans un superbe équipage, après quelques coups heureux à la Bourse; un mari qui était bien vieux tandis que sa femme était bien jeune, etc. Je sentais que le monde au milieu duquel j’étais n’avait aucun rapport avec celui que je fréquentais habituellement et que. s’il y avait des artistes dans le pays, ils devaient être partout ailleurs que dans l’hôtel où j’étais descendu. Je ne dis pas un mot de la soirée et personne ne m’adressa la parole.

Le lendemain, j’allai voir la plage, espérant y trouver quelque motif rustique et peut-être des camarades. Elle était remplie de promeneurs, dont l’élégance habituelle prenait, à l’occasion des bains de mer, une désinvolture pleine de recherche. On y voyait des bérets de toutes les couleurs, des chapeaux chinois ou japonais, des vareuses blanches à lisérés rouges, des vestes rouge-ponceau, des capelines bariolées, des robes à grands ramages, et tout l’attirail bizarre que prennent les habitants de la Chaussée-d’Antin quand ils vont respirer l’air de la mer. La plage était remplie de chaises, où les dames formaient des groupes aussi compacts qu’au jardin du Luxembourg ou des Tuileries, seulement elles étaient accoutrées différemment. Le long des villas ou à la porte des chalets qui bordaient la côte, des domestiques, bien empesés, promenaient sur les passants un regard vague et impertinent, ou bien causaient avec les femmes de chambre, en attendant les ordres de leurs maîtres.

Non, jamais ma plume ne pourra traduire ce que j’ai ressenti la première fois que je me suis trouvé sur la plage de Trouville: si j’étais condamné à passer ma vie dans un pareil endroit, je préférerais la déportation à la Nouvelle-Calédonie. Aussi je pris promptement mon parti, et, comme j’avais vu dans la ville un bureau de diligences, je résolus d’aller à l’instant retenir ma place: peu m’importait l’endroit où j’irais, pourvu que je pusse partir de suite.

Je fendis donc bravement la foule, mais, en arrivant sur le port, j’aperçus un attroupement qui se formait autour d’un artiste occupé à dessiner. Je m’approchai de lui pour faire comme tout le monde et pris place dans le cercle qui l’entourait. C’était un homme d’une tenue irréprochable, assis sur un pliant parfaitement verni, et dessinant sur un bel album, tout en causant avec les personnes qui le regardaient travailler. Je reconnus de suite que j’avais affaire à un artiste de casino.

L’artiste de casino est un type tout à fait à part, et que les romanciers ont tort de ne jamais mettre en scène, car, dans bien des circonstances, il pourrait paraître avantageusement dans un rôle de second ordre. L’auteur de la Physiologie du poète, voulant dépeindre les poètes de salon, donne par les vers suivants la tournure habituelle de leur talent:

Les hannetons, fils du printemps,

Qui se nourrissent de verdure,

Font les délices des enfants

Et l’ornement de la nature.

Je voudrais bien pouvoir donner le fac-simile d’un dessin d’un artiste de casino: mais ce serait insuffisant, car, pour en apprécier la portée, il faut l’avoir vu faire. L’habileté de main-d’œuvre, la promptitude de coup d’oeil, la dextérité du crayon, sont vraiment merveilleuses dans ceux qui exercent cette profession peu connue, mais souvent assez lucrative. L’artiste de casino dessine toujours dans les endroits où il y a beaucoup de monde, car, avant tout, il doit être vu à l’œuvre. Il est généralement beau parleur, se connaît à toute chose et porte toujours son album sous le bras; quand on lui demande à voir ses dessins, il s’exécute de bonne grâce et ne se fait prier que juste autant que l’exigent la modestie et les convenances. Souvent même il oublie son album sur la table du salon de lecture, de façon que les habitués puissent le feuilleter tout à leur aise. Sa théorie est que le dessin est la chose du monde la plus facile, et que l’important est de bien savoir se servir du plat ou de la pointe du crayon, connaître la manière d’appuyer où il faut, d’effacer sans graisser le papier. Bien entendu il possède à fond tous les secrets relatifs à son art et se fait fort de les démontrer en dix ou douze leçons. Quand il a séjourné pendant la saison dans deux ou trois villes d’eaux, où il s’est créé de nombreuses relations, il est sûr de trouver à son retour une bonne clientèle, car l’artiste de casino est essentiellement maître de dessin et d’aquarelle au cachet.

Je regardais mon homme, dont l’habileté manuelle m’émerveillait. Avec quelle sûreté il traçait d’un seul coup de crayon, et sans jamais s’y reprendre à deux fois, les mâts, les cordages, les poulies, les vieux matelots qui fument leur pipe et les petits mousses qui font la manœuvre! Et cela sans se donner grand mal, car il parlait en même temps, et, tout en crayonnant, il faisait de l’esthétique à sa façon, passait en revue les ouvrages exposés au précédent Salon et laissait de temps à autre échapper un mot piquant à propos des artistes en renom, qui, à l’entendre, étaient tous ses amis intimes.

Fig. 52. — Les Baigneurs. — La plage d’Étretat, par E. Yon.


L’artiste de casino existe toujours, mais il n’est plus seul dans les villes d’eaux. De véritables peintres se sont avisés de venir aussi parmi les baigneurs, et ils ont trouvé des motifs charmants dont les représentations se montrent depuis quelques années dans toutes nos expositions de peinture. Des scènes de ce genre auraient singulièrement déplu aux artistes de la génération précédente. Ceux-ci, épris des scènes rustiques, fuyaient bien loin quand ils apercevaient les élégants promeneurs des casinos; il n’en est plus de même aujourd’hui. Les jeunes peintres ont vu dans les côtes fréquentées par les Parisiens, des sujets de tableaux que leurs aînés n’avaient pas su découvrir. Tout ce monde de baigneurs, qui circule sur les plages par les beaux jours d’été (fig. 52), forme un chatoiement de couleurs dont l’art sait aujourd’hui tirer le plus heureux parti; les teintes adoucies du ciel et de la mer, qui forment toujours le fond du tableau, ont ici le même rôle que le ton nacré ou laiteux des vases persans ou chinois sur lesquels les artistes orientaux étalent impunément toutes les richesses de leur palette, certains que le fond en déterminera toujours l’harmonie.

Les marées. — Le mouvement des marées diversifie beaucoup l’aspect des côtes; les artistes ont en général une prédilection marquée pour la marée basse, et c’est peut-être pour cela que les côtes de la Normandie ou de la Bretagne forment le sujet de représentations beaucoup plus nombreuses et surtout plus variées que celles de la Provence ou du Languedoc. On sait en effet que le mouvement du flux et du reflux, qui se fait à peine sentir dans la Méditerranée, est au contraire très accusé sur les côtes de la Manche. Un de ses résultats les plus intéressants est de laisser à découvert pendant quelques heures de grandes étendues de terrain mouillé, qui sont généralement parsemées de roches que la mer recouvre ensuite en bouillonnant (fig. 53).

Fig. 53. — Les Côtes. — La baie de Douarnenez. (Tableau de Lansyer. Salon de 1879.)


En 1836, Paul Huet, un des pères du paysage contemporain, avait envoyé au Salon une marine qui fut refusée: on fit un grand tapage de ce refus, et les romantiques déclarèrent que le tableau était un chef-d’œuvre. Le jury se composait alors des membres de l’Académie des beaux-arts, et les quolibets de pleuvoir sur ces vieux peintres qu’on regardait comme des ennemis décidés de tout progrès et de toute innovation. Mais, au Salon de 1838, on vit un tableau de Paul Huet représentant une grande marée par un temps d’équinoxe; or c’était précisément le tableau refusé au Salon précédent, et que l’artiste avait renvoyé sans y rien changer. Pourquoi, se disait-on, le jury, qui l’avait refusé une fois, l’acceptait-il la fois suivante? La critique inventa mille lazzis pour donner la solution de ce problème. Comme les communications entre Paris et le Havre venaient d’être rendues plus faciles, on finit par admettre que le jury qui, jusque-là, n’avait pu voir la mer, s’était enfin décidé à faire le voyage, et avait fini par reconnaître qu’elle était de tout point semblable à la représentation que donnait Paul Huet; qu’ainsi le second jugement n’était qu’un retour à l’équité.

Les eaux courantes. — La naissance et la formation des fleuves a été expliquée par Cuvier de la manière suivante: «Les eaux qui tombent sur les crêtes et les sommets des montagnes, ou les vapeurs qui s’y condensent, ou les neiges qui s’y liquéfient, descendent par une infinité de filets le long de leurs pentes; elles en enlèvent quelques parcelles, el y marquent leur passage par des sillons légers. Bientôt ces filets se réunissent dans les creux plus marqués dont la surface des montagnes est labourée; ils s’écoulent par les vallées profondes qui en entament le pied, et vont former ainsi les rivières et les fleuves, qui reportent à la mer les eaux que la mer avait données à l’atmosphère. A la fonte des neiges, ou lorsqu’il survient un orage, le volume de ces eaux des montagnes, subitement augmenté, se précipite avec une vitesse proportionnée aux pentes; elles vont heurter avec violence le pied de ces croupes de débris qui couvrent les flancs de toutes les hautes vallées; elles entraînent avec elles les fragments déjà arrondis qui les composent; elles les émoussent, les polissent encore par le frottement; mais, à mesure qu’elles arrivent à des vallées plus unies, où leur chute diminue, ou dans des bassins plus larges, où il leur est permis de s’épandre, elles jettent sur la plage les plus grosses de ces pierres qu’elles roulaient; les débris les plus petits sont déposés plus bas, et il n’arrive guère au grand canal de la rivière que les parcelles les plus menues, ou le limon le plus imperceptible. Souvent même le cours de ces eaux, avant de former le grand fleuve inférieur, est obligé de traverser un lac vaste et profond, où leur limon se dépose et d’où elles ressortent limpides. Mais les fleuves inférieurs, et tous les ruisseaux qui naissent des montagnes plus basses ou des collines produisent aussi, dans les terrains qu’ils parcourent, des effets plus ou moins analogues à ceux des torrents des hautes montagnes. Lorsqu’ils sont gonflés par de grandes pluies, ils attaquent le pied des collines terreuses ou sableuses qu’ils rencontrent dans leur cours et en portent les débris sur les terrains bas qu’ils inondent, et que chaque inondation élève d’une quantité quelconque; enfin, lorsque les fleuves arrivent aux grands lacs ou à la mer, et que cette rapidité, qui entraîne les parcelles de limon, vient à cesser tout à fait, ces parcelles se déposent aux côtés de l’embouchure; elles finissent par y former des terrains qui prolongent la côte; et si cette côte est telle que la mer y jette de son côté du sable et contribue à cet accroissement, il se crée ainsi des provinces, des royaumes entiers, ordinairement les plus fertiles et bientôt les plus riches du monde, si les gouvernements laissent l’industrie s’y exercer en paix.»

Les eaux courantes ont été personnifiées dans l’antiquité, comme les vagues de la mer. Il faut distinguer dans ces représentations les sources, qui sont toujours du féminin, puisqu’elles sont figurées par les naïades, et les fleuves, qui prennent au contraire la forme d’un vieillard à longue barbe. Les anciens considéraient les sources comme sacrées. Le moindre filet d’eau s’échappant à travers les fentes d’un rocher était honoré d’un culte particulier et accompagné d’un autel. Les pays montueux, où les sources jaillissantes se montrent plus souvent que dans la plaine, étaient couverts de nymphées, c’est-à-dire de grottes disposées pour recevoir les offrandes que la piété de ces âges naïfs venait déposer en l’honneur de la divinité bienfaisante qui fait sortir l’eau d’un réservoir inconnu, pour la répandre dans les plaines et dans les vallées. Les nymphes des sources sont habituellement représentées sous forme de jeunes filles dont la poitrine est découverte et qui ne sont vêtues que dans la partie inférieure du corps. La figure 54 montre une pierre votive sur laquelle sont représentées trois nymphes: celle du milieu tient une coquille et les deux autres tiennent chacune un vase. D’après l’inscription qu’il porte, ce petit monument est un autel consacré aux nymphes saintes par Epictetus, surveillant des eaux, affranchi de notre empereur Auguste.

Fig. 54. — Nymphes sur une pierre votive.


Les fleuves que nous voyons représentés sur les statues ou les médailles sont des vieillards accompagnés d’attributs qui symbolisent, ou la fécondité que leurs eaux répandent, ou la navigation et le commerce. La belle statue du Nil (fig. 55) est une des plus curieuses par les emblèmes qui caractérisent le fleuve. On sait que l’Égypte doit sa fécondité au limon que ce dernier dépose dans ses débordements périodiques. Les anciens avaient remarqué que, pour avoir une bonne récolte, l’eau devait s’élever durant sa période d’inondation de seize coudées au-dessus de son niveau ordinaire: ces coudées sont représentées sous la forme de seize petits enfants qui jouent autour du vieillard ou grimpent après ses membres robustes. L’un d’eux est assis sur l’épaule du fleuve; un autre est allé se mettre sur la corne d’abondance et croise ses petits bras en signe de satisfaction; quelques-uns agacent un crocodile; d’autres, près du sphinx mystérieux qui personnifie l’Égypte, étendent une draperie devant l’endroit d’où l’eau s’échappe, lieu qui ne saurait être vu, puisque les hommes ignorent où est la source du fleuve. Enfin les animaux qui vivent dans les eaux du Nil sont représentés parmi les roseaux dans les bas-reliefs qui décorent la plinthe.

Fig. 55. — Le Nil.


L’art moderne va nous montrer des représentations d’un ordre absolument différent. C’est peu de chose assurément dans l’immensité de la nature que le mince filet d’eau qui constitue une source, mais c’est beaucoup pour l’impression qu’il cause aux hommes qui vivent par l’imagination. Un petit ruisseau dit autant qu’un grand fleuve au poète ou à l’artiste. Voyez plutôt ce que dit Hégésippe Moreau d’un tout petit ruisseau qui coule à Provins:

«C’était plaisir de voir, sous l’eau l’impide et bleue,

Mille petits poissons faisant frémir leur queue,

Se mordre, se poursuivre, ou, par bandes nageant,

Ouvrir et refermer leurs nageoires d’argent;

Puis des saumons bruyants, et, sous son lit de pierre,

L’anguille qui se cache au bord de la rivière;

Des insectes sans nombre, ailés et transparents,

Occupés tout le jour à monter les courants,

Phalènes, moucherons, alertes demoiselles,

Se sauvant sous les joncs du bec des hirondelles.»

Fig. 56. – Les Sources. – L’Eau qui rit. (Tableau de Hanoteau.)


On éprouve une impression du même genre devant le joli tableau de Hanoteau intitulé L’Eau qui rit (fig. 56). La verdure des feuillages, les oiseaux qui voltigent près de la source murmurante, le clapotement si bien rendu des petites vagues, tout contribue à produire une impression charmante.

Les sources qui s’échappent des rochers moussus, pour serpenter ensuite sous des ombrages verdoyants, ou pour alimenter les moulins, ont toujours séduit les artistes. Corot rend admirablement l’impression de fraîcheur qu’on ressent dans les lieux humides, et nul n’a rendu mieux que Français le clapotement de l’eau qui coule au travers des herbes. On en peut voir un ravissant modèle dans son Daphnis et Chloé, au musée du Luxembourg. Dans la plupart des tableaux qui représentent des sujets mythologiques, la scène est disposée près d’une source de ce genre.

Les eaux qui se forment au sommet des montagnes par la fonte des neiges ont un caractère plus sauvage et plus imprévu. Elles se distinguent tout d’abord par l’irrégularité de leur lit et de leurs allures. L’inclinaison plus forte du sol sur lequel elles coulent, l’inégalité du terrain qu’elles traversent et qui, la plupart du temps, est coupé de rochers, forment des obstacles qu’elles doivent franchir. Aussi ces ruisseaux deviennent promptement des torrents dont les eaux, tantôt se heurtent sur un promontoire d’où elles se rejettent sur la roche opposée, tantôt courent en zigzag sur un lit de cailloux, quelquefois trouvent un terrain plat qui les oblige de s’arrêter un moment pour s’étaler en un large ruisseau, puis rencontrent un vide qui les fait tomber brusquement en cascade, ou un sol escarpé et raboteux, sur lequel elles se transforment en mousse blanchâtre. Cette variété d’aspect que présentent les torrents constitue le plus grand charme des excursions dans les contrées montagneuses.

Les représentations de torrents sont moins fréquentes qu’on ne pourrait le supposer dans les tableaux de l’école moderne. Jacob Ruysdaël en a représenté souvent; mais, quel que soit le mérite de ces ouvrages, ce n’est pas dans les scènes de ce genre qu’éclate la supériorité du maître. Parmi les artistes contemporains, il n’y a guère que chez les peintres allemands ou suisses que fleurit l’habitude des torrents descendant de la montagne; et leurs tableaux, souvent conçus sur une donnée extrêmement pittoresque, manquent presque toujours d’intimité dans le rendu. C’est un fait assez remarquable que notre école de paysage, qui a si bien représenté les plaines, montre tant de répugnance pour tout ce qui se rattache aux contrées montagneuses. Je comprends bien que les grandes cataractes comme celle du Rhin à Schaffouse, ou les chutes prodigieuses comme celle du Staubach, inspirent difficilement les peintres qui, devant ces spectacles grandioses, partagent assurément l’admiration des touristes, mais n’y trouvent pas les conditions voulues pour une représentation graphique; ce que je comprends moins, c’est que les petites cascades bondissantes, les eaux qui courent tumultueusement sur les roches, ne leur donnent pas plus souvent le désir de traduire des impressions qui sont pleines de charme pour les esprits rêveurs, et qui appartiennent absolument au domaine de l’art.

Fig. 57. — Les Rivières. — Le Héron. (Tableau de Decamps.)


Fig. 58 — Les Rivières. — Le Soir à Poissy. (Tableau de Mesgrigny. Salon de 1875.)


Les grands fleuves dont le cours est fortement accusé sur la carte, et qui forment la délimitation des empires ou des provinces, n’ont qu’une importance assez restreinte au point de vue de l’art. Le Missouri avec ses interminables prairies, le fleuve des Amazones avec ses impénétrables forêts, et même le Rhin avec les châteaux qui se dressent sur ses rives ont été rarement reproduits. Quand un peintre veut représenter un fleuve, il cherche un endroit où il y a des accidents, des îles par exemple, ou tout au moins de grands bancs d’herbes, qui rompent l’uniformité de la grande masse d’eau (fig. 58).

Fig. 59. — Inondation de Saint-Cloud. (Tableau de Paul Huet.)


Dans les pays du Nord, les rivières, bordées de saules et de peupliers, laissant voir au loin des coteaux boisés et arrondis, présentent presque toujours des formes douces et des harmonies tranquilles qu’on trouve plus rarement dans le Midi. Ici, les contours sont plus nettement accusés, les collines dénudées sont souvent formées de rochers dont la silhouette se profile sur le ciel; la verdure plus rare ne se montre qu’au bord même du cours d’eau, et l’ensemble présente un aspect moins riant et plus austère. Ce caractère des bords de rivière dans les pays plus chauds, où l’aspect d’humidité des contrées septentrionales est remplacé par une teinte de poussière, a été plus rarement saisi par les peintres. Cependant le Héron, de Decamps, traduit bien la physionomie des rivières qui coulent dans les pays que baigne la Méditerranée (fig. 57).

La navigation fluviale a, comme la navigation maritime, donné lieu à un très grand nombre de représentations. Les peintres hollandais, et notamment Van Goyen, qui a été un des initiateurs du paysage dans les Pays-Bas, ont fréquemment représenté les barques sillonnant les canaux de leur pays. Les grands radeaux, qui redescendent le Rhin, ont fourni à Brion le sujet d’un de ses meilleurs tableaux. Veyrassat s’est fait en quelque sorte une spécialité des berges qui bordent la Seine; il aime surtout à représenter les deux chevaux accouplés, tirant un lourd bateau à l’aide d’une corde, et il a souvent obtenu un beau résultat de ce motif qu’il a reproduit sous toutes ses formes. On se rappelle le joli tableau de Jourdain, exposé au Salon de 1879, et représentant un chaland (fig. 60).

Fig. 60. — Les Rivières. — Le Chaland. (Tableau de Jourdain.)


Il existe un bateau qui a longtemps joui parmi les artistes d’une célébrité particulière, c’est celui de Daubigny. L’artiste, qui a bien souvent peint ses bords de rivières, en s’installant dans la cabine de son bateau, s’est représenté lui-même, au moment où il rame pour lutter contre les vagues que lui envoient les bateaux à vapeur qui passent au large.

Les catastrophes amenées par les inondations des fleuves ont inspiré quelques tableaux remarquables, dans lesquels les figures remplissent presque toujours le rôle principal: c’est là en effet que se trouve forcément l’élément dramatique du sujet. L’inondation elle-même, qui, dans le paysage, présente toujours quelque chose d’anormal et d’irrégulier dans l’aspect, puisqu’elle a pour effet de montrer de l’eau dans les endroits où on devrait voir du terrain, se prête difficilement aux combinaisons du tableau. Paul Huet, dans un tableau célèbre (fig. 59) représentant une inondation, a eu soin de placer la scène dans le parc de Saint-Cloud, où les arbres plantés régulièrement dans un lieu évidemment disposé pour les promeneurs, et recouvert d’eau dans cette circonstance, facilitent la compréhension d’une scène qui eût paru improbable ailleurs. En général, dans les scènes d’inondation, les artistes croient nécessaire de montrer des maisons dont la base est dans l’eau, ou tout autre détail capable d’affirmer le caractère purement accidentel du sujet.

Les eaux stagnantes. — Les lacs, les étangs, les marécages ont aussi fourni leur contingent aux représentations artistiques. Les lacs sont de petites mers intérieures qui se forment dans les dépressions du sol où l’eau arrive par les rivières ou par les pluies. Le trop-plein se déverse par l’échancrure la plus basse du pourtour, ou bien s’évapore, et la nappe d’eau qui reste constitue le lac. Dans les pays de montagnes, les lacs, tantôt environnés de hauteurs boisées, tantôt encaissés dans des escarpements de roches, présentent des sites très pittoresques, dont le peintre Suisse Calame a fait des représentations remarquables.

Quant aux lacs des pays plats, ils présentent un aspect peu différent de celui des marais, qui ne sont en somme autre chose qu’un lac dont les eaux ont peu de profondeur. Comme ces eaux sont généralement stagnantes, ou tout au moins soumises à un courant très faible et très lent, elles présentent peu d’animation, et n’offriraient aux artistes qu’un intérêt des plus médiocres, si leur surface unie n’était çà et là ridée par des joncs ou des roseaux qui prennent au moindre, souffle une inclinaison des plus gracieuses. Le héron, perché sur une patte en guettant sa proie, la nuée d’oiseaux s’envolant à l’approche d’un chasseur, ou effleurant rapidement la nappe d’eau, les deux vaches qui viennent boire, le vieux bateau à demi enfoncé dans la vase, sont les motifs qui animent habituellement les représentations d’étangs ou de marais, dont Th. Rousseau, Corot et Daubigny (fig. 61) se sont fait les fidèles interprètes.

Le monde vu par les artistes : géographie artistique

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